Mais chaque jour, peut-être, on peut
reprendre
le filet déchiré, maille après maille,
et ce serait, dans l'espace plus haut,
comme recoudre, astre à astre, la nuit...
*
Encore
une fois, pourquoi cela plutôt qu’autre chose ? Cela est agréable, je le
veux bien, mais quoi ? Est-ce à de tels pièges que ma vie se laissera
toujours prendre ? Un homme qui serait guidé par les feux d’une rivière…
Un homme qui dirait : je crois plutôt à cette lueur que j’ai vue passer
entre des arbres déjà sombres et s’enfoncer dans la nuit, qu’en aucune loi
humaine… Un homme qui dirait encore : il y a des passages dans le pré…
Suis-je tout à fait écervelé ?
*
Ma
nationalité m’a valu de n’être mêlé directement à aucune guerre. Mais, quand je
me retourne sur le passé, je me rappelle, et je l’entends confusément encore,
le tocsin d’août 1939 qui sonnait dans la vallée de montagne où nous étions
pour une fois en vacances, annonçant la mobilisation générale de l’armée
suisse ; et après tout, mon père, en réendossant son vieil uniforme de
capitaine, il eût suffi de peu pour qu’il fût comme d’autres entraîné dans le
malheur. Je me souviens aussi, peu d’années plus tard, de ces otages martyrs du
Vercors dont les images m’ont fait écrire alors un Requiem aussi malencontreux
que sincère. Quand n’y aura-t-il pas eu depuis lors de ces très noirs nuages
au-dessus de nos vies et plus ou moins près d’elles, même quand le ciel réel
était limpide au point de donner l’espoir – l’illusion ? – d’une lumière
victorieuse ?
*
Quel
est le fruit que tu touches dans la nuit ? Celui-là même qui ne sera
jamais nommé, jamais cueilli, jamais savouré. Que la nuit est légère autour de
ce que l’on ne peut garder !
*
Il n’y a pas d’horreur dans le
flétrissement des fleurs ; l’horreur viendrait-elle avec l’« âme » ?
.
Tous les roses, routes les roses de l’hiver,
nuages, feuillages et fumées, épanouis dans le froid quand le soleil s’apprête
à disparaître à l’horizon. Relais brûlant transmis. Sceptre passé de main en main,
furtivment, serait-il rien qu’un bâton que le rose du soir enflamme. Ne le
lâchez pas trop tôt.
*
Bibliographie
- Si
nous sommes en vie, vaquons à notre affaire, Sorgue, n°1, Mars 2000
- La promenade sous les arbres, éditions La Bibliothèque des Arts, 1980
- Un calme feu, éditions Fata Morgana, 2007
- Tâches de soleil, ou d’ombre, éditions Le Bruit du Temps, 2013
- Carnets 1995-1998 (La semaison III), éditions NRF Gallimard, 2001
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