mardi 1 novembre 2011

Philippe Jaccottet




Mais chaque jour, peut-être, on peut reprendre

le filet déchiré, maille après maille,

et ce serait, dans l'espace plus haut, comme recoudre, astre à astre, la nuit...

*

Encore une fois, pourquoi cela plutôt qu’autre chose ? Cela est agréable, je le veux bien, mais quoi ? Est-ce à de tels pièges que ma vie se laissera toujours prendre ? Un homme qui serait guidé par les feux d’une rivière… Un homme qui dirait : je crois plutôt à cette lueur que j’ai vue passer entre des arbres déjà sombres et s’enfoncer dans la nuit, qu’en aucune loi humaine… Un homme qui dirait encore : il y a des passages dans le pré… Suis-je tout à fait écervelé ?

*
Ma nationalité m’a valu de n’être mêlé directement à aucune guerre. Mais, quand je me retourne sur le passé, je me rappelle, et je l’entends confusément encore, le tocsin d’août 1939 qui sonnait dans la vallée de montagne où nous étions pour une fois en vacances, annonçant la mobilisation générale de l’armée suisse ; et après tout, mon père, en réendossant son vieil uniforme de capitaine, il eût suffi de peu pour qu’il fût comme d’autres entraîné dans le malheur. Je me souviens aussi, peu d’années plus tard, de ces otages martyrs du Vercors dont les images m’ont fait écrire alors un Requiem aussi malencontreux que sincère. Quand n’y aura-t-il pas eu depuis lors de ces très noirs nuages au-dessus de nos vies et plus ou moins près d’elles, même quand le ciel réel était limpide au point de donner l’espoir – l’illusion ? – d’une lumière victorieuse ?

*
Quel est le fruit que tu touches dans la nuit ? Celui-là même qui ne sera jamais nommé, jamais cueilli, jamais savouré. Que la nuit est légère autour de ce que l’on ne peut garder !

*


Il n’y a pas d’horreur dans le flétrissement des fleurs ; l’horreur viendrait-elle avec l’« âme » ?
.

Tous les roses, routes les roses de l’hiver, nuages, feuillages et fumées, épanouis dans le froid quand le soleil s’apprête à disparaître à l’horizon. Relais brûlant transmis. Sceptre passé de main en main, furtivment, serait-il rien qu’un bâton que le rose du soir enflamme. Ne le lâchez pas trop tôt.

*

Bibliographie

-  Si nous sommes en vie, vaquons à notre affaire, Sorgue, n°1, Mars 2000
 La promenade sous les arbres, éditions La Bibliothèque des Arts, 1980
-  Un calme feu, éditions Fata Morgana, 2007
-  Tâches de soleil, ou d’ombre, éditions Le Bruit du Temps, 2013
-  Carnets 1995-1998 (La semaison III), éditions NRF Gallimard, 2001

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