dimanche 6 novembre 2011

Alain Jouffroy




Dans un pli de vêtement j'interroge le sens de l'histoire dans une conversation coupée dans une parole dite avant de disparaître en taxi je vois quelque chose venir tous ces moments inachevés tous ces gestes interrompus quelle parole pour les recoudre ?


*


Les mots sont des briseurs de cercle :

parfois, ils sont la chance, et la seule qui nous reste :

encore faut-il savoir les jeter par la fenêtre.


*

Contre la guerre, sonnet

Naguère, guerre était violente lumière sur la vie.
Dans notre aujournuit,
Toute guerre dérive en jour anéanti.
Mais c’est toujours la même guerre :

Maxi contre Mini :
Les bannis, les frères, les pères et beaux-pères,
Les beaux-frères, les ami@@@s,
Les excellents amis de nos amis.

Que faire contre la guerre ? Avec l’ennemi ?
Un sage lissage de tout conflit ?
De toute vraie et fausse folie ?

La guerre, vernaculaire, ne guérit rien.
Toute guerre commence par haine de soi.
Toute guerre diffère l’emploi qu’on peut faire de sa propre vie.

Paris, printemps 1999.

*

Dans la cellule où tourne en vain la vie
Où la chaleur ne cesse d’assiéger la bouche
Où l’homme prête encore son souci
Au plus mince accident du monde

Dans la cellule où s’évertue la vie
Fièvre sortie de l’aorte comme une lave
Boucherie où l’homme mord son poing

Dans la cellule où le sang féconde
L’énergie de la chance fraternelle
L’homme sans miroir apprend la mort par cœur
.
Grande barrière muette
Qui ose vous franchir aujourd’hui

On a beau se déchaîner sous le couvert des vagues
Le cœur n’y est pas
Les mains trop immobiles
On recherche partout les raisons d’une halte

Les sentiments s’effritent dans le noir
Goutte à goutte

Demain ce sera la hargne rieuse
Nul téléphone ne pourra traverser ce silence
Le déjeuner du matin perpétuera la goinfrerie d’un survivant.
.
Qui pense encore, la bouche ouverte
Dans une grande chambre silencieuse ? Qui marche,
La chemise déboutonnée face à la mer,
Par les derniers chemins du dernier cap,
Le cœur débordant de vin rouge ? Heureux ?

C’est celui
pour qui ces mots sont écrits en français,
Lui qui les lit, en attendant, debout, un train sur le quai.
.
Je ne sais d’où je viens. Je sais seulement que c’est de partout.
Je suis de nulle part, comme tous les Terriens.
J’appartiens, comme chacun, à des sacs, à des ballots incohérents, à la poussière des caravanes.
Depuis des siècles, j’ai marché, erré dans le même soleil, le même froid général.
Tous, nous sommes les fils des horizons de l’égalité…
.
Révolté par les absences de révolte, je suis, depuis toujours, certain d’une invention politique hors saison. Oui : qui pourrait s’en remettre à la mort pour clarifier les combats de guerres sempiternelles, ceux qui tuent dans l’anonymat de tous ?

Les exceptions sont des règles refoulées. Dans l’étroite orbite de l’univers, j’ai catapulté une volonté de tout savoir. Ni moi ni personne ne peut s’y résigner. Non :

Le temps n’est pas le four où l’espace serait le feu.

Kingston, 1991

*

Dans le couloir où me suivent les capes d’hermine
La révolution se prépare à coups de talons hauts
Un broc lancé à perdre haleine dans une vitrine

*

Bêtise dictatoriale de l’homme, assez.

Assez de sornettes sur vos agapes, prouesses, calembredaines, rixes, gaspillages et bénéfices.

Assez d’étiquettes sur vos absences de sexe.

Assez de frénétiques banalités.

Assez d’opacité, de transparence tronquée.

La faux renverse le gouvernement de la mort, et c’est par ricochets qu’elle décrochera les contre-vérités qui nous tuent.

Les yeux fixés sur votre plastron, nous aiguiserons la lame jusqu’à la capitulation de chacun de vos boutons de guêtre, fil compris.

Il n’y aura pardon pour le crétinisme des Etats que dans l’absolu, c’est-à-dire jamais.

Le tranchant succédera à la boursouflure, qui est au sommet, mais par brèches.

Ne vous fiez donc pas à nous, jamais. Nous sommes détenteurs de mots ingouvernables.
.
Mille pardons, messieurs les éternels morts-vivants, critiques énucléés, génuflecteurs de l’œil et de l’oreille, je n’approuve pas votre « je », moins encore le « nous » conventionnel que vous volez à l’assemblée vitupérante des voix distinctes,

Mille pardons, la vie hèle ce qui se refuse à former les tapis de la prépotence, et chaque parcelle criante, éjectée par l’ordre carcéral, doit remplacer l’affreux décor de votre joli monde…

*

Mes idées tournent, toutes, depuis toujours, autour d’une révolution mondiale sans modèle, donc sans précédent. Rien, surtout pas mes déboires, n’a pu m’en faire dévier. Quoi qu’il arrive, quoi qu’il n’arrive pas, rien ne m’en écartera.
.
Le fait révolutionnaire n’est pas dans l’objet, mais dans le sujet, telle était ma formule pour couper court à tout. Eclats de rire, insultes, indignation générale. Inévitable : - Vous êtes donc réactionnaire ? – Oui, dans le sens où je ne crois plus, pardonnez-moi, ni aux partis politiques, ni aux syndicats, ni même à la spontanéité des masses. – Ah bon, vous en êtes là ? – Oui, à peu près, mais je ne parle pas de vous, je parle de ce pays extraordinairement inconscient de sa propre histoire qu’est la France, vous connaissez ce pays sans mémoire de lui-même ?
.
L’art de vivre consiste à cesser de se quereller soi-même sur le parti qu’on a pris et sur le rôle qu’on se donne, mais le jouer le mieux possible.

*

Bibliographie






- Conspiration, récit, éditions nrf Gallimard, L'infini, 2000



- L'ordre discontinu, éditions Soleil noir, 1979




- Liberté des libertés, éditions Soleil noir, 1971




- C'est, partout, ici, éditions nrf Gallimard, 2001




- C'est aujourd'hui toujours (1947-1998), éditions nrf Gallimard, 1999

- L'ami Rezvani, Revue Poésie, n°95, 2002

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