lundi 29 mai 2023

Les épopées d’aujourd’hui sont celles des invisibles

 





À propos de « Ceux qui vont par d’étranges terres, les étranges aventures quérant », de Claude Favre, éditions Lanskine


Car il n’y a pas de mots, n’est-ce pas ?

Pas de mots à poser sur les linceuls, au bord des plages où vont milliers d’indifférents se prélasser, outrés de voir leurs « vacances » sabordées par les étranges corps flottant dans les vagues.


« Des suppliciés n’en reviendrons. Membres fantômes de nos récits, pour leurs proches parfois invisibles. »


Corps qui furent pétris d’espoir.

Corps de femmes, d’enfants, de jeunes et de vieillards rejetés par la mer.

Ces corps là ont marché.

Ces corps là ont fuit pays désespérés, pays désespérants.

Ils avaient des rêves, comme les milliers d’indifférents offusqués devant leur corps tuméfiés et gonflés.


« Bêtes par l’homme ingénieux, pièges pieux. Et lames, déplie, tortures. Et l’oubli. Restent, ne restent que les ombres d’histoires, quelques récits. Les ombres qu’on déplace. Les lèvres qui remuent. Les gorges qui se nouent. »


Ils avaient des rêves qu’ils sont si peu, à l’arrivée, à pouvoir encore dire.

Ils sont le visage de la tragédie humaine, lorsqu’elle se drappe dans son inhumanité.

Ce sont corps sans voix.


« N’imagine. Enterrés dans des fosses communes. Même leur nom on ne le connaît pas. »


Alors on prends leur récit supposé et on en fait épopée moderne.

Les milliers d’indifférents n’ont rien à raconter : ils sont dans le fil d’un courant qui les protège (du moins ils le croient).

Ils ne veulent rien entendre de ces « étranges étrangers » qui vont, traversant forêts et déserts, au risque de s’y retrouver esclaves ou cadavres avant même d’avoir ouvert la première page de leur épopée d’espérance.


Car il y a dans leur rire d’au-delà de l’adversité quelque chose qui devrait chatouiller les consciences.

Ce qui pousse femmes, hommes et enfants à marcher, à traverser les terres les plus inhospitalières en la quête d’une vie rêvée dont ils ne savent pas l’impossibilité, tant les milliers d’indifférents se murent derrière les les barbelés, les grillages de frontières arbitraires.


« Imagine un peuple invisible dont on n’aurait entendu nulle voix, repéré nulle trace, un peuple non pas muet, inaudible. D’un courage exemplaire. Un peuple jamais frôlé. Presque un devenir peuple rompant les amarres, qui ne peuple pas. Imagine.

Les gouttes de rosée pendant du fil à linge. »


Il y a de ça dans ce poème épique : donner voix aux invisibles qui vont qu’étant d’étranges aventures.

C’est peut-être cette épopée des invisibles qui, plus tard laissera sa trace.

Celle des Hommes debout marchant vers l’espérance, jusqu’au naufrage.


Xavier Lainé


29 mai 2023