dimanche 28 septembre 2014

Lettre sans correspondance 5




Vu d'ici il ne se passait rien. Rien qu'un dimanche ordinaire avec ses rues vides, ses rares promeneurs. On aurait pu croire la ville déjà rendormie.
Pour une fois, dès le matin, j'ai regardé le programme. N'y trouvant aucune pépite alléchante, je suis retourné au traitement de mes boiseries avant que l'automne ne vienne me les corrompre. Tout à cette tâche j'avais affiché sur ma porte que l'exposition, en bas, en « L'autre lieu », était ouverte.
Il est vrai que très peu de gens se sont aventurés devant. Mais des rares qui le firent, il n'y eut aucune curiosité. Il est les vrai que celle-là ne fait que rarement la fête, et lorsque trop lui est offert, elle se referme comme une huitre qu'aucun couteau ne saurait ouvrir.

Car c'est une des difficultés : non que pendant quatre jours il y ait trop, c'est la nature même d'un festival que de proposer sur un plateau une pléthore. Mais lorsque ce trop vient dans la foulée d'un rien, même la plus saine curiosité ne sait plus où donner de la tête.
Je me rappelle de ces années fastes où j'achetais compulsivement tous les ouvrages des auteurs invités. Je n'en lisais pas la moitié et certains sont encore là où je les ai posés, sur la pile des ouvrages à lire. D'autres furent entamés sans pouvoir avancer dans leur lecture, faute de m'y retrouver.
Et leur crise passant par là, même le plus lecteur des lecteurs se voit contraint à la parcimonie. Peu à peu, devant l'accumulation des nouveautés, j'ai appris à rester de marbre. Voilà où mène la gigantesque confusion entre démocratisation de la culture et son cantonnement au toujours plus marchand. Trop de livre tue le livre, d'autant que ceux qui les produisent (la filière), n'ont point l'oeil rivé sur le contenu mais sur la quantité suffisante pour alimenter leurs gourmands dividendes.
Ils ont oublié que dans l'achat d'un livre, il ne suffit pas d'un petit cœur qui te fasse clin d'oeil, ni de l'image plus ou moins alléchante que l'auteur saura donner de son œuvre.
Puis-je m'aventurer à émettre cette idée que la véritable œuvre se passe volontiers de son auteur. La véritable œuvre suit sa propre route, une fois émise, non par le nom de son auteur sur une couverture rutilante, mais dans ce subtil agencement des mots qui fait qu'on reconnaît bien un cheminement de pensée, une recherche qui nous pousse, une fois lu, à regarder si celui qui écrit est bien celui auquel on pense.

C'est au fond comme en musique, Mozart n'est Mozart que dans la mesure où son œuvre le dépasse et lui ressemble. Et je n'ai pas besoin de savoir que c'est lui : je peux écouter ses symphonies, me laisser gagner par son Requiem, je sais qu'il est là derrière.
C'est l'oeuvre qui rend l'auteur immortel, non sa façon de parler en public de celle-ci.
Je lisais ici ou là, sans savoir retrouver où, l'attitude insupportable d'agressivité d'une auteur contre une autre qui briguent toutes deux quelque inénarrable prix de littérature.
Ceci contient cela. Depuis fort longtemps je n'achète aucun livre estampillé d'un prix. Et le combat des petits coqs d'écriture, chacun persuadé de mieux écrire que son voisin m'est insupportable.
Voilà à quoi mène une littérature sans âme, un divertissement sans esprit. On fait la guerre pour obtenir la notoriété sans même penser que celle-ci, dans l'histoire a toujours suivi les chemins creux, les sentes abandonnées du grand public pour comme les Sorgues, rejaillir ici ou là sans prévenir tandis que l'auteur depuis longtemps mange les pissenlits par la racine.
Et c'est fascination pour moi que tant de gens au demeurant intelligent se précipitent à regarder le doigt quand il faudrait observer la lune.

La fête est donc une fois de plus finie. La ville n'aura été qu'à peine secouée par sa présence. Leur crise marque plus son empreinte qu'un rassemblement d'intelligence. Je n'ai pas de solution à proposer. Je cherche, et désormais j'ai mon « Autre lieu » pour y travailler. Et l'an prochain sera ce qu'il sera, ni meilleur ni pire, mais si la passion d'écrire vient à la rencontre d'un quartier, peut-être verrons-nous un début d'aurore se profiler à l'horizon de nos rêves.

© Xavier Lainé

29 septembre 2014

Lettre sans correspondance 4




Faut que je vous dise : je n'étais absolument pas allé en ville pour ça. Comme chaque samedi je fais mon tour « social », sinon, déjà que je m'ensauvage en diable, je ne serais sans doute déjà plus de ce monde.
Alors je fais mon tour. Ce n'est pas toujours le même, un peu comme une errance au fil de mes rencontres et qui dure toute la matinée quelle que soit l'heure de mon départ.
La tribu m'attend à la maison, ayant une sainte horreur de ce tour hebdomadaire, avec arrêts obligés à chaque station de vivant dialogue.

C'était plutôt joli d'acheter pain et fromage avec décor livresque. C'était plutôt joli de s'arrêter et de flâner, puis de voir ma libraire tant occupée quand si souvent, le reste de l'année, on se retrouve si solitaires à repeindre le monde de la couleur de nos mots.
N'ayant toujours pas regardé le programme, j'ignore s'il se passait quelque chose. Et l'objet de ma lettre ne faisait guère débat, dans les conversations de passage. Non, j'ai même cru ressentir un certain accablement dont vous ne portez aucune responsabilité : c'est le monde qui se fait lourd, et sans doute est-ce lui l'invité surprise de vos réjouissances. Car, à son stade de déliquescence, bien difficile d'arborer mine joyeuse. Alors il est là, le monde, qui pose son couvercle sur toutes choses et idées. Comme les mouches inopportunes, on tente en vain de le chasser, il revient aussitôt dans un vrombissement d'avions et vous ronge les pensées comme un cancer qu'il est devenu.
Et la seule chimiothérapie, sur ce point, vous avez raison, c'est d'offrir un maximum de mots aux cerveaux qui en manquent.

Je sortais de la librairie, comme chaque samedi, donc, et descendais, un peu pressé la rue Grande. Deux hommes dans la foule clairsemée remontait sans que nous puissions nous rencontrer vraiment. Et pourtant nos regards se sont croisés et nous nous sommes salués sans nous connaître. Enfin, sans que vous me connaissiez, parce que, voyez, moi, je vous ai reconnu tout de suite, Monsieur Pascal Quignard. Et j'ai trouvé une bonne dose d'humanité dans votre regard, au point que pour le reste de la journée, qui fut fort occupée à ouvrir mon exposition à deux yeux de passage et échafauder des projets d'avenir, je ne rêvais que de reprendre ma déambulation pour vous rencontrer de nouveau avec secret désir de boire un coup quelque part et de nous parler.

Et je suis reparti, secret espoir au ventre. Place de l'Hôtel de ville, Emmanuel Carrère parlait de sa bible. Je ne me suis arrêté qu'un instant, ai dirigé mes pas vers la place D'herbes où il ne se passait déjà plus rien, pour finir Place Marcel Pagnol. Trois jeunes femmes devisaient devant des gradins clairsemés. C'est fou comme je vous envie de savoir autant soigner votre image, d'être capable de dire comment l'écriture vous vient, de savoir canaliser à ce point le fil de vos livres. Je vous envie et ça m'attriste : je ne suis pas si sûr qu'une démarche intellectuelle aussi redoutablement cohérente ait quelque chose à voir avec ces mots qui viennent, qui cheminent entre les deux oreilles en cherchant la sortie et qui éclatent au grand jour de la page, sans chercher à savoir quelle image de nous ils peuvent offrir. Ils se dressent là comme une évidence et ne peuvent que s'articuler sous nos doigts, au risque de finir comme beaucoup de mots, en un autodafé salutaire, juste avant de tirer notre révérence.

Etrange, mais justement, à l'heure de ma petite sieste je lisais Milan Kundera, et m'étais noté ceci qui me semble heurter de front notre prétention littéraire : « Le souci de sa propre image, voilà l'incorrigible immaturité de l'homme. Il est si difficile de rester indifférent à son image ! Une telle indifférence dépasse les forces humaines. L'homme ne la conquiert qu'après sa mort. Et encore, pas tout de suite. Longtemps après sa mort. Vous n'en êtes pas encore là. Vous n'êtes toujours pas adulte. Et pourtant, vous êtes mort...
Etre mortel est l'expérience humaine la plus élémentaire, et pourtant l'homme n'a jamais été en mesure de l'accepter, de la comprendre, de se comporter en conséquence. L'homme ne sait pas être mortel. Et quand il est mort, il ne sait même pas être mort. »1
Je vous écoutais d'une oreille un peu distraite, parce que, juste devant moi, comme dans « L'immortalité », Goethe et Hemingway poursuivaient leur dialogue post mortem. Ils n'étaient pas invités, ni Kundera d'ailleurs, mais, lui, refuse désormais de soigner son image et ne répond plus à personne. Il n'existe plus que par ses livres, tirant les leçons de ce dialogue inaudible en ce monde médiatique.

En fait, je n'aurais jamais du chercher à nouveau la rencontre. J'aurais du en rester à ce croisement de regard et à cette petite reconnaissance mutuelle dans un « bonjour » hésitant.
D'abord, parce que, voyez-vous, Monsieur, je ne me suis mis que récemment à vous lire. J'ai commencé bien sûr par « Tous les matins du monde » que je n'ai même jamais vu au cinéma. Et puis, je me suis lancé dans « Dernier royaume » mais en commençant par le début. Alors votre nouvel opus attendra encore un peu.
Je disais que le monde était le grand invité qui s'impose en ces festivités très littéraires. J'ai entendu des propos très enthousiaste de votre prestation, et j'ai regretté d'avoir été ainsi prisonnier de mon travail. Mais peut-être reviendrez-vous une autre fois, et j'aurai alors pu m'imprégner un peu plus de vos mots.
Mais je ne peux que remercier les organisateurs de m'avoir accordé le croisement de votre regard et ce mot échappé, sans retour possible.
« Il n’y a plus moyen de discerner entre guerre mondiale et guerre civile dès l’instant où il n’y a plus qu’un seul monde. »2 Etait-ce prémonitoire de cet état dans lequel nous nous trouvons ?
Ce qui m'attire en vos ouvrages est sans doute cet aspect chaotique de la pensée qui ne trouve cohérence qu'en le regard de l'autre, du lecteur.

Je n'en aurai pas terminé sans dire qu'il y a ici gens de bonne volonté qui contre vents et marées, tentent encore, de diffuser les œuvres. De « Rencontres du cinéma » en « Eclats de lire », ils sont la cheville ouvrière d'une ville hélas bien morte. Il leur en faut de la constance, à demander subventions parcimonieuses, drainer public qui ne vient à eux qu'à condition d'inscrire l'action dans une durée.
Je m'y suis éreinté si longtemps que j'en fus vacciné. La poésie ici n'est bonne que chez les poètes morts. Sans doute un de ces pieds de nez de l'immortalité...
Et je vous assure que les plumes d'ici sont nombreuses qui sommeillent dans l'ombre tandis que vous agitez votre image.

Je ne sais si aujourd'hui me laissera du temps encore pour circuler. Nous verrons bien. Mais comme vous l'avez remarqué, je n'ai même pas besoin de lire vos quatrièmes de couverture pour savoir me faire aiguillon, caillou dans la chaussure, empêcheur de penser en rond.
Parce que, comme Pascal Quignard, je pense que « La vie d’un homme peut toujours être autre, et meilleure, et plus intense, et pire, et plus brève. » 3

© Xavier Lainé
28 septembre 2014


1 Milan Kundera, L'immortalité, édition Folio
2 Pascal Quignard, Les ombres errantes, édition Folio

3 Pascal Quignard, Sur le jadis, édition Folio

vendredi 26 septembre 2014

Lettre sans correspondance 3




Pas eu une minute à consacrer à votre présence. Et ne suis pas le seul, voyez-vous, sinon que pour accéder à mon univers de travail, ce fut un peu dur de trouver une place.
Alors, j'aimerais savoir comment vous faites. Sans doute n'avez-vous pas besoin de travailler, ou êtes-vous gratifiés d'un travail qui vous rapporte assez pour vous offrir du temps et des spectacles.
Vous me direz que ceux-là ne sont pas si cher, mais quand même. Et puis voyez-vous, le coup du père François étant passé par là, il faut quand même toujours travailler plus pour gagner moins, et avec quatre enfants dans la maison, et qui mangent, en plus, il ne reste pas grand chose pour les réjouissances.

Et ne suis pas le seul, savez-vous ?
Non, je ne suis pas sûr que vous sachiez, ou même que vous soyez en mesure de savoir.

C'est beau cette jeunesse de la filière universitaire du livre, qui s'esbaudit d'être là, petit carton autour du cou pour bien signifier qu'ils sont du sérail.
Vous les chargez de twitter leur enthousiasme et ils le font. Et ils ont raison : à leur âge j'étais pareil, et me serais enflammé pour moins que ça !
C'est toujours agréable d'être le gentil organisateur d'un bel événement.

Parce que, voyez-vous, je ne serai pas bégueule : c'est pas mal, ces scènes ouvertes sur la vieille ville, ces écritoires un peu fantastiques créés pour l'occasion, et repris d'année en année, avec petits changements de place pour éviter la monotonie.

Non, je vous jure, je n'ironise pas : j'aime assez que ma ville se pare ainsi de livres, que ma libraire fasse son chiffre d'affaire de l'année en quatre jours, que les hôtels et restaurants soient pleins, au moins pendant que vous êtes là. Parce que, avant et après, ce n'est pas la même chanson, et le tourisme par ici est assez parcimonieux.
On passe, mais on ne s'arrête que fort peu. Et encore heureux qu'il y ait les curistes de Gréoux-les-Bains pour rehausser un peu les statistiques !
Bref, je ne sais trop s'il s'agit de littérature, avec petite rentrée médiatique et provinciale pour les acteurs, ou s'il s'agit de tourisme culturel.

J'ignore si cette sociologie du public serait enfin accessible, et je regrette de n'avoir pu en prendre connaissance. Mes rares incursions dans la ville me laissent pourtant un drôle de goût.
Des couples de jeunes ou moins jeunes retraités se promènent, plan en main, à la recherche de nos curiosités locales, et suivent avec une grande attention les ébats littéraires sur la place de l'Hôtel de Ville, fringués très propres sur eux, et arborant petit regard condescendant pour le péquin qui passe sans s'arrêter faute de temps.
Car c'est crime à leurs yeux, sans doute, que de ne pouvoir assister à cette salade culturelle déversée « gratuitement » sur les places.

Je souligne le « gratuitement » car, à y réfléchir un peu, ce qui semble gratuit est payé par ailleurs en subventions elles-mêmes alimentées par nos impôts. Autrement dit, même celles et ceux qui ne se sentent pas concernés ont payé leur place, mais on se soucie bien peu de savoir comment ils pourraient s'intégrer dans la chose.

Là n'est pas le sujet. En temps de leur crise, il convient de se réjouir que l'évènement ait encore lieu. Et l'écrivain en posture de demi-dieu aurait bien tort de cracher dans la soupe, de se griller les ailes, puisqu'enfin on parle de lui et devant un public venu de loin pour sa pomme.
Dans une région réputée d'abord pour sa circulation difficile, pour son manque d'attractivité culturelle (hormis donc ceux-là et les musiques à Manosque du mois de juillet), il s'agit d'être heureux que tant de gens bien mis viennent, dans une ville de droite répandre leur parfum de gauche cultivée.

Aigri ? Point du tout, juste un peu irrité que le mot culture ici ne rime qu'avec spectacle, divertissement et patrimoine. Et désolé de n'avoir pas su vous faire savoir, pour ma lecture de l'autre soir : je me serais senti moins seul ! A être « hors », on finit à la porte !

© Xavier Lainé

27 septembre 2014

jeudi 25 septembre 2014

Lettre sans correspondance 2




Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est en marchant que je réfléchis. Mille excuses donc à celles et ceux qui me croisent, ici ou là, et que mes yeux ne voient pas. Mais ce sont mes pas les fautifs et qu'il vous faut sermonner.
Je marche, et mes yeux, ou, du moins, le cerveau qui est derrière, regardent ce qu'ils veulent, et surtout voient.
Parfois, je suis contraint de me méfier de ce que mes neurones (qui sont plus que deux, contrairement à d'autres) interprètent de ce que mes yeux voient.
Et puis tout en marchant, je soupèse mes pensées. C'est du lourd une pensée qui marche : il me faut sans cesse la contempler, l'interroger, la rouler dans un sens puis dans l'autre pour qu'elle ne m'en fasse pas de même dans la farine de mes états d'âme.

Je marchais donc, je traversais la place, vaquant à mes préoccupations quotidiennes. Mes yeux erraient comme moi (bien que, parfois, il semblerait qu'ils s'accrochent à certaines images tandis que je vais).
Peut-être suis-je dans l'erreur d'un certain ressentiment, mais il m'a semblé voir foules plus dispersées que l'an dernier à la même heure, c'est à dire au rendez-vous des prestations littéraires de la fin d'après-midi, place de l'Hôtel de ville et D'Herbes.
Non que je sois à me réjouir d'une telle baisse de fréquentation si elle s'avérait vraie. Non, je ne me réjouirait pas d'un tel fait. Il ne ferait que traduire physiquement un autre sentiment : celui qu'il ne peut y avoir d'extension du domaine de la culture en territoire de misère pandémique.
Le virus de la curiosité d'apprendre ne pique pas facilement le cuir de la survie. Quand il faut déjà manger, payer son toit et ce qui va avec, revenus à la baisse, retraites pitoyables quand encore ces deux là affirment leur présence, c'est déjà bien beau d'être en vie. Mais, bien sûr, cette question là sera hors sujet des réjouissances.
Tu lis quoi quand tu as faim, ou que tu dors sous le porche miteux d'un Palais de Justice sans moyens ? Tu lis quoi, quand ton ultime horizon se borne aux mauvaises nouvelles du monde qui se posent dans ton salon, ta cuisine, au pied de ton lit (puisque si tu n'as pas de livre, tu as plusieurs télévisions, histoire de ne pas paraître ringard) ? Tu lis quoi ?
Tu ne lis pas. Et à l'heure où commençaient les réjouissances manosquines, un reportage sur France-Info expliquait que 30% des enfants des milieux défavorisés ne comprenaient pas ce qu'on leur demandait à l'école et qu'un enfant sur deux dans les quartiers défavorisés n'ont aucun livre chez eux (mais des portables en tous genres oui : on s'endette comme on peut, puisque l'appât est si fort!).
Mais de tout ceci on ne parlera pas ici. Manosque est une île au ban du monde. Les problèmes d'ailleurs n'y jaillissent jamais. Et comme certains me l'ont déjà asséné, ici, on aime vivre sans histoire.
Et la minorité très de gauche embourgeoisée peut se cultiver en paix : l'honneur est sauf, le décor est joli, les questions posées sentent l'hypocrisie à plein nez, mais nul n'y prête attention, car...

Car, en ces circonstances on vient admirer l'écrivain en posture de demi-dieu. Je dis demi car les dieux, comme chacun sait, ne se montrent jamais. L'écrivain est donc l'émissaire d'un éditeur, lui-même ange messager d'un financier qui n'apparaît surtout pas au devant de la scène mais tiennent les ficelles en coulisse.
C'est d'ailleurs leur clandestine présence qui permet au grand chef d'orchestre de l'évènement, qui sait très bien où laisser traîner ses semelles pour obtenir ce qu'il veut, de revendiquer des moyens sans commune mesure avec la politique culturelle de la ville, et caresser de ce fait les Néron du pouvoir local dans le sens de leur mégalomanie.
A ce sujet hors, comme tous les sujets exposés à mes réflexions randonneuses, nul ne s'offusquera de la disparition pure et simple de tout adjoint à la culture depuis les dernières élections municipales au grand profit d'une communauté de commune sans visage qui maintient avec brio ce qui se fait (presque) depuis toujours : l'extension du divertissement aux dépends d'un véritable travail culturel.

Mais je m'égare, me diront les contempteurs de la chose, et si je suis tant critique c'est que je suis jaloux de ces gens qui tiennent le devant de la scène tandis que je marche dans l'ombre !
Tout faux : je préfère être à ma place qu'à la leur, car si un jour j'éprouve le besoin d'une psychanalyse, je préfère encore qu'elle se fasse à l'abri du cabinet d'une personne compétente et non sous les regards avides de mes contemporains et sous le flot roulant de questions formatées façon université de lettre et qui ne laissent que peu de place au jaillissement créateur.

Autrement ? Autrement je préfère voir ma ville envahie par des décors livresques que son désert coutumier. Voyez que je ne fais pas que critiquer !
Et si je suis critique, c'est que j'aimerais que ce même événement soit le résultat d'un travail permanent, d'une rencontre entre des productions culturelles locales et celles importées pour l'occasion. J'aimerais que ça nous nourrisse, histoire de repartir avec les piles bien rechargées à la rencontre de cette foule de déshérités de la culture...
Mais je rêve, je sais. Vous n'êtes pas là pour ça...

Et pour ne pas m'étendre et vous lasser, je reviendrai demain sur la drôle de vision d'un tourisme culturel qui m'est venue en marchant, hier. Elle aura eu le temps de mijoter dans ma cervelle toute une journée au travail. Tenu ainsi à distance des réjouissances, elle n'en aura peut-être que plus de poids.

Réjouissez-vous donc bien !

© Xavier Lainé
26 septembre 2014


mercredi 24 septembre 2014

Lettre sans correspondance 1





Ecrire, ce n'est pas boycotter, n'est-ce pas ? Ecrire, c'est dire ce qu'on réprouve, ce qu'on approuve, accords mineurs ou désaccords majeurs déposés au creux d'une page qui va demeurer, bien plus longtemps que celui qui y dépose ses mots.

Qu'ai-je fait donc de ce petit carnet jaune où vous aviez consigné votre programme ? Et comment ai-je pu passer tout ce temps sans même trouver le temps de l'ouvrir ?
J'en ai pourtant ouvert, des livres et des programmes, tout ce temps révolu. Mais le vôtre point : comme si j'avais l'assurance, comme peut-être le pensent beaucoup de mes voisins plus ou moins proches, que tout ceci n'était pas pour moi.
Car, voyez-vous, nous avons beau travailler (quand nous avons la chance d'avoir un travail), bien difficile de libérer argent et temps pour vous rendre visite.
Mais ce n'est qu'argument fallacieux, et vous aurez raison de le souligner.
Sans doute faut-il creuser plus profond pour être sûr de découvrir ce qui provoque le rejet, ce qui fait que résolument je me tiens hors champ de vos « Correspondances » qui, sinon par la présnece des « écritoires » n'ont que très peu à voir avec ce qu'elles proclament.
Nous vivons un temps qui va ainsi qu'il ne dit plus ce qu'il fait, qu'il proclame autre chose que ce qu'il traduit en actes.
Prenez la maison de poésie de Paris si chère à Pierre Seghers, par exemple : depuis son changement de direction, il faut y chercher la poésie dans les recoins.
Bien d'accord avec vous que la poésie n'intéresse que peu de monde, avec son par-terre de poètes abscons, de paroles confuses, échafaudées en psalmodies incompréhensibles à la plupart.
Et je vais me mettre à dos votre public enseignant en disant que désormais, il en est tant qui sorte de l'école sans la moindre compréhension de la langue qu'ils exercent que, peu à peu, votre public ne pourra que se réduire comme peau de chagrin.

Je ne sais pas si vous l'avez constaté, mais il semble bien que le monde va résolument mal. Et l'été qui vient de se clore en cataractes de pluies pour votre inauguration ne fait qu'apporter eau au moulin de ma critique.
Deux options s'offrent donc :
  • celle de regarder en face les faits, lire, écrire, se réunir et réfléchir ensemble pour tirer les leçons du désastre et inventer quelque hasardeuse solution
  • celle de se distraire, comme nous y invitent médias, maisons d'édition, écrivains bien gentils et bien polis, chanteurs clonés façon télé-réalité.
De quel côté penchez-vous ?

Pourtant je lis, voyez-vous, je lis beaucoup : demandez donc à ma libraire préférée le budget que je lui laisse, à longueur d'années. Mais je n'arrive pas à me convaincre que je trouverai, dans le nombrilisme culturel, réflexion propice à me nourrir.
Pendant qu'on se trucide au nom de l'argent ou de quelques dieux, en ce monde devenu criminel, nous assisterons une fois de plus à la psychanalyse des écritures plongées au moule du divertissement. Vous serez ravi de voir du monde défiler dans les rues. Nombre sont déjà là, arrivés avec leurs valises, hier, qu'ils boucleront dimanche pour nous laisser à notre désert bien pensant.
Nos édiles seront content qu'on parle d'eux et de leurs mirobolantes « programmations ».
Comme si la culture relevait d'un « programme » !

Alors voyez-vous, sans boycotter je voudrais dire d'entrée que je ne me reconnais pas dans votre grand-messe, parce qu'elle ne me parle pas de la vie comme elle ne va pas, comme elle pourrait aller si, au lieu de chercher à me distraire, vos écrivains, prête-noms des groupes financiers qui parrainent leurs œuvres, m'invitaient à quelque salutaire réflexion.

© Xavier Lainé

25 septembre 2014

mardi 9 septembre 2014

Boris Vian


A l’endroit où les fleuves se jettent dans la mer il se forme une barre difficile à franchir et de grands remous écumeux où dansent les épaves.

*

La vie, c’est comme une dent
D’abord on y a pas pensé
On s’est contenté de mâcher
Et puis ça se gâte soudain
Ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu’on soit vraiment guéri
Il faut vous l’arracher, la vie.

*
Bibliographie



 - L’écume des jours, éditions 10/18, 1963


- Je voudrais pas crever, éditions Le livre de poche, 2012