vendredi 26 septembre 2014

Lettre sans correspondance 3




Pas eu une minute à consacrer à votre présence. Et ne suis pas le seul, voyez-vous, sinon que pour accéder à mon univers de travail, ce fut un peu dur de trouver une place.
Alors, j'aimerais savoir comment vous faites. Sans doute n'avez-vous pas besoin de travailler, ou êtes-vous gratifiés d'un travail qui vous rapporte assez pour vous offrir du temps et des spectacles.
Vous me direz que ceux-là ne sont pas si cher, mais quand même. Et puis voyez-vous, le coup du père François étant passé par là, il faut quand même toujours travailler plus pour gagner moins, et avec quatre enfants dans la maison, et qui mangent, en plus, il ne reste pas grand chose pour les réjouissances.

Et ne suis pas le seul, savez-vous ?
Non, je ne suis pas sûr que vous sachiez, ou même que vous soyez en mesure de savoir.

C'est beau cette jeunesse de la filière universitaire du livre, qui s'esbaudit d'être là, petit carton autour du cou pour bien signifier qu'ils sont du sérail.
Vous les chargez de twitter leur enthousiasme et ils le font. Et ils ont raison : à leur âge j'étais pareil, et me serais enflammé pour moins que ça !
C'est toujours agréable d'être le gentil organisateur d'un bel événement.

Parce que, voyez-vous, je ne serai pas bégueule : c'est pas mal, ces scènes ouvertes sur la vieille ville, ces écritoires un peu fantastiques créés pour l'occasion, et repris d'année en année, avec petits changements de place pour éviter la monotonie.

Non, je vous jure, je n'ironise pas : j'aime assez que ma ville se pare ainsi de livres, que ma libraire fasse son chiffre d'affaire de l'année en quatre jours, que les hôtels et restaurants soient pleins, au moins pendant que vous êtes là. Parce que, avant et après, ce n'est pas la même chanson, et le tourisme par ici est assez parcimonieux.
On passe, mais on ne s'arrête que fort peu. Et encore heureux qu'il y ait les curistes de Gréoux-les-Bains pour rehausser un peu les statistiques !
Bref, je ne sais trop s'il s'agit de littérature, avec petite rentrée médiatique et provinciale pour les acteurs, ou s'il s'agit de tourisme culturel.

J'ignore si cette sociologie du public serait enfin accessible, et je regrette de n'avoir pu en prendre connaissance. Mes rares incursions dans la ville me laissent pourtant un drôle de goût.
Des couples de jeunes ou moins jeunes retraités se promènent, plan en main, à la recherche de nos curiosités locales, et suivent avec une grande attention les ébats littéraires sur la place de l'Hôtel de Ville, fringués très propres sur eux, et arborant petit regard condescendant pour le péquin qui passe sans s'arrêter faute de temps.
Car c'est crime à leurs yeux, sans doute, que de ne pouvoir assister à cette salade culturelle déversée « gratuitement » sur les places.

Je souligne le « gratuitement » car, à y réfléchir un peu, ce qui semble gratuit est payé par ailleurs en subventions elles-mêmes alimentées par nos impôts. Autrement dit, même celles et ceux qui ne se sentent pas concernés ont payé leur place, mais on se soucie bien peu de savoir comment ils pourraient s'intégrer dans la chose.

Là n'est pas le sujet. En temps de leur crise, il convient de se réjouir que l'évènement ait encore lieu. Et l'écrivain en posture de demi-dieu aurait bien tort de cracher dans la soupe, de se griller les ailes, puisqu'enfin on parle de lui et devant un public venu de loin pour sa pomme.
Dans une région réputée d'abord pour sa circulation difficile, pour son manque d'attractivité culturelle (hormis donc ceux-là et les musiques à Manosque du mois de juillet), il s'agit d'être heureux que tant de gens bien mis viennent, dans une ville de droite répandre leur parfum de gauche cultivée.

Aigri ? Point du tout, juste un peu irrité que le mot culture ici ne rime qu'avec spectacle, divertissement et patrimoine. Et désolé de n'avoir pas su vous faire savoir, pour ma lecture de l'autre soir : je me serais senti moins seul ! A être « hors », on finit à la porte !

© Xavier Lainé

27 septembre 2014

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