vendredi 11 septembre 2020

C’est au Chili que sonnait le glas

 



À propos de Les années Allende de Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta, éditions Otium, 2019


Un onze septembre qui vit s’écrouler les tours de l’empire tend à effacer des mémoires un autre, de bien plus sinistre mémoire qui vit l’empire aux commandes, assassinant un peuple et l’espoir.


Je me souviens de ces jours gris de septembre.

Mes parents venaient d’emménager non loin de la ville du Havre, à l’époque encore ville rouge sous la férule d’un maire communiste.

Je les avais suivis contre mon gré et, refusé dans un lycée public parce que précédemment élève d’une glorieuse école privée en région bordelaise, le public ne semblait pas vouloir m’accueillir.

Tous les matins, prenant le funiculaire qui m’emmenait vers cette année de terminale, entre les murs de brique rouge, mes yeux glissaient à la surface d’une mer aussi grise que le ciel.

Mon âme d’adolescent essuyait ses larmes d’avoir quitté amis juste avant de franchir le pas vers l’âge adulte.

Je mettais pour la première fois les pieds sur le chemin de l’engagement politique.


Bien sûr, si jeune, comment aurions-nous pu vivre sans l’espérance d’un monde meilleur ?

Nous allions avec la fougue de la jeunesse, manifester notre soif de liberté et de justice.

Un pays était à la hauteur de notre espérance et ce pays était aussi l’un des plus pauvre au monde.

Il nous adressait un signal : quelque chose serait possible sans en passer par la violence usuelle des révolutions du début du siècle.

A ce formidable espoir, certes pêchant par sa naïveté, ont répondu les chars, les doigts coupés de Jara, la mort du président Allende dans le palais de la Moneda.

Nous ne savions pas, ce 11 septembre 1973 que nous allions entrer dans la plus formidable époque de récession sociale de l’histoire.


Sous l’action des Golden boys formés à l’école de Chicago sous la férule du très dogmatique Milton Friedman, le général Pinochet allait inaugurer la longue litanie des peuples appauvris.

Du Chili à l’Argentine en passant par le Brésil, puis dans l’Angleterre de Margaret Tatcher et de ses successeurs, à la Chine convertie au capitalisme libéral d’Etat et à la Russie de Boris Eltsine puis Poutine, ce sont les mêmes conseillers qui se mirent au travail pour laminer tout ce que le XXème siècle avait pu offrir comme espérance aux plus démunis.

Cette longue infamie fut représentée en France par un avocat d’affaire (Nicolas Sarkozy), puis par un banquier (Emmanuel Macron) après le socialiste converti aux dogmes qu’il prétendait combattre (François Hollande).

Tout ceci avec, en toile de fond, la désespérance des peuples, qui, s’ils leur prend encore  de relever la tête, se trouvent immédiatement mis en joue par des polices converties en gardiennes du temple libéral et des intérêts des oligarques, grands profiteurs de la régression.


Toutes les violences, y compris celle d’un autre 11 septembre qui vit les tours de l’empire s’effondrer, ne sont que le résultat du trouble semé par une école dont les dogmes ne cessent d’être appliqués avec zèle malgré les preuves de plus en plus flagrantes de leur inhumanité.


Il est loin le temps où, avec les réfugiés chiliens parvenus au péril de leur vie à Paris, nous buvions la tequila dans une petite boite souterraine de la Contrescarpe, cherchant ensemble à comprendre ce qui arrivait avec l’espoir jamais entamé d’une construction différente du monde.

Les réfugiés d’aujourd’hui meurent dans l’indifférence quasi totale en mer ou sur les îles grecques, les cortèges de manifestant sont interdits ou mutilés, et tout ceci ne serait pas si, un jour gris de septembre 1973, Salvador Allende avait pu mener jusqu’au bout les objectifs du Front Populaire qui l’avait mené au pouvoir.


Il aura fallu attendre 2019 pour que deux auteurs/dessinateurs chiliens, Rodrigo Elgueta et Carlos Reyes tirent de l’oubli cette histoire.

C’est une entreprise salutaire car si nous n’ouvrons pas les yeux sur les exactions des adorateurs du profit et de son ruissellement qui n’arrive jamais, alors, ils risquent fort d’aller jusqu’au bout de notre déshumanisation.

Lire et relire Les années Allende est une nécessité historique.


Xavier Lainé

11-12 septembre 2020