mardi 5 juillet 2022

Remettre de l’humain dans la relation de soin

À propos de Edouard Zarifian, « La force de guérir », éditions Odile Jacob, 2001





Des années que ça dure, que vous n’allez pas bien. Vous consultez votre médecin. Puis vous devez être « pris en charge » (le terme en dit long sur le mépris de votre autonomie) par des infirmières, des kinésithérapeutes.

Des années que ça dure, que les soignants qui vous accueillent ont été formés à une théorie scientifique de la médecine qui considère que les statistiques ont valeur d’exactitude et que l’acte technique reconnu par celles-ci est l’alpha et l’omega des traitements qui vous conviennent.

Des années donc que l’humain que vous êtes est considéré de haut par une pratique soignante dont on ne peut pas dire qu’elle soit volontairement déshumanisée puisque l’humain n’est pas compris dans les formations.

Pour couronner le tout, des années que, par l’entremise de l’Assurance maladie gérée par des technocrates plus soucieux de la gestion financière de l’organisme que de la santé publique, les honoraires et salaires des soignants sont maintenus à un niveau assez bas pour qu’ils soient amenés à multiplier les actes pour se garantir un revenu digne de ce nom.

Vous allez donc chez votre médecin, je ne cherche pas ici à généraliser mais c’est si souvent le cas : il vous reçoit le plus rapidement possible, cherche dans le catalogue Vidal le traitement qui semble vous convenir (sans aucune certitude scientifique soit dit en passant), et quelques minutes plus tard, vous voici ressorti muni de votre ordonnance vous autorisant à prendre des molécules auxquelles vous ne comprenez rien (sans même mention des effets indésirables), vous invitant à faire venir infirmier(ère) ou kinésithérapeute  qui appliqueront, avec soin et compétence, les mentions précisées sur l’ordonnance, sans prendre le temps, eux non plus, car persuadés que leur geste technique sera le bon, et qu’il serait vain d’en perdre, du temps, à mieux connaître le terrain économique, social, affectif ou psychologique qui vous a peut-être conduit à perdre votre santé.


Je disais ne pas chercher à généraliser. Si certains ne rentrent pas dans le jeu, c’est plus par disposition personnelle et non parce que les formations permettent d’envisager une autre manière de concevoir la relation de soin.

Ainsi en est-il d’Edouard Zarifian⁠1, et de son ouvrage publié en 1999, intitulé « La force de guérir ».

Parfois, on me dit exagérer lorsque je parle d’une « médecine scientiste ». On a peut-être raison et bien évidemment les tenants de cette médecine là étant plus nombreux que les autres, on pourra toujours m’expliquer que c’est une manière de se rassurer que de lire un ouvrage comme celui-ci.

Or, il se trouve que mes recherches de praticiens recevant chaque jour des patients englués dans une vie parfois ingrate, me mènent bien souvent aux mêmes considérations qu’Edouard Zarifian : 

« Quoi qu’en pensent les tenants de l’idéologie scientiste, parler et être écouté est encore le meilleur moyen pour apaiser la souffrance de quelqu’un qui « veut dire quelque chose ». » (Page 116)

Si la souffrance et la maladie ont un sens inscrit dans la vie de chacun, ce sens ne peut être mis en évidence que dans une relation aux autres et en particulier dans la relation de soin.

En quelque sorte, la relation de soin devient ce moment qui permet d’opérer les relations, les liens entre ce qui est vécu parfois depuis de nombreuses années, et l’émergence des symptômes.

Le relation de soin  devient alors un échange, un dialogue qui nécessite d’en prendre le temps : « On a toujours besoin de l’autre pour découvrir qui on est », écrit Edouard Zarifian, « pour atteindre son propre savoir et connaître son propre pouvoir. C’est la vertu de l’échange, où chacun donne et reçoit, que d’y aider. La prouesse technique peut aider à guérir, mais cette alchimie ne se produit vraiment que si l’on y introduit de l’humanité. » (Page 123)

C’est ce temps nécessaire, non reconnu par les nomenclatures obsolètes d’un système social condamné à la rentabilité financière, qui manque le plus aux soignants.

Ce temps qui permet de prendre connaissance, d’observer et de mesurer la place que tiennent les symptômes chez le patient.

C’est en prenant ce temps nécessaire qu’il devient possible de mesurer à quel point la maladie se met à occuper tout l’espace, avec des graduations différentes d’un sujet à l’autre.

« Un homme n’est pas malade, il devient la maladie. Il se transforme. Intégralement. Il se met à vivre différemment, on ne le regarde pas non plus  de la même façon. Il est quelqu’un d’autre. » (Page 156)

C’est à ces différents stades d’envahissement par la maladie que le soignant doit pouvoir porter attention afin de proposer les aides thérapeutiques capables de soutenir le patient dans sa volonté de rémission.


Je parle de rémission car le terme de guérison sous-entend un retour à l’état originel quand chaque évènement traumatique est un apprentissage, un changement en profondeur permettant le retour à un équilibre, une homéostasie un instant perdue.

Le patient alors devient acteur de sa rémission, de son évolution avec les symptômes. Il ne s’agit pas seulement de « guérir » :  « Guérir ? Pour faire quoi ? Qu’est-ce qui est préférable ? Être bien portant, mais confronté à toutes les obligations et contraintes de la vie en société ? Ou être protégé par le statut de malade ? » (Page 158)

Il s’agit donc, non d’installer le patient dans sa maladie et une dépendance à des traitements absorbés passivement, mais de le rendre acteur de sa rémission, plus conscient du rôle de son environnement dans la survenue de sa pathologie.

Pour aller dans ce sens, c’est d’humanité que la médecine doit s’imprégner, non simplement de l’application de gestes techniques répétés à l’identique, patient après patient, sans avoir le temps de connaître chez chacun dans quelle relation pathogène avec son milieu il s’est installé, le plus souvent à son insu.


Xavier Lainé


Manosque, 4-6 juillet 2022



1 Édouard Zarifian, né le 22 juin 1941 à Asnières (Hauts-de-Seine) et mort le 20 février 2007 à Ouistreham (Calvados), est un psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier français. Il est connu pour ses ouvrages alertant sur les intérêts des laboratoires pharmaceutiques et les dangers de l’utilisation systématique de substances chimiques tels les psychotropes en place de traitements plus humanistes prenant en compte la personne du malade.

Voir sa fiche sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Édouard_Zarifian