samedi 15 octobre 2011

Jean Giono



Toute la terre est sous les yeux d’or du matin.

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- J’appelle grands mercis aux dieux, dit-il, pour cette ambroisie qu’ils mêlent à chaque jour de ma vie. Il se peut que là-haut –il montrait le village accroupi sur son aire- d’aucuns ne soient pas aussi satisfaits que moi. J’entends des jérémiades dans le sentier et des volées de jurons. Mais ils sont eux-mêmes les artisans de leur peine, et j’en connais qui dépensent plus de temps pour construire leur malheur qu’il ne faut d’école pour acquérir la sagesse.

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Un rossignol dessinait sur le silence une volute de lumière.

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Tout bleu d'iris, terre et ciel avec, à l'ouest, un bouquet de nuages; le jeune soleil marche, enfoncé dans les herbes jusqu'aux genoux. Le vent éparpille de la rosée comme un poulain qui se vautre. Il fait jaillir des vols de moineaux qui nagent un moment entre les vagues du ciel, ivres, étourdis de cris, puis s'abattent comme des poignées de pierre.

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Le corbeau s'en va sur ses ailes lentes. On l'entend voler, il y a un vaste silence sur la terre; seul, au bord du champ, un tas de fumier geint doucement comme quelque chose qui cuit.

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Chaque soir, Pauline mit une robe longue. Son petit visage, que la maladie avait rendu plus aigu encore, était lisse et pointu comme un fer de lance et, sous la poudre et les fards, légèrement bleuté.

- Comment me trouves-tu? dit-elle.

- Très belle.

Le matin du départ, Angelo tendit tout de suite la main au cheval qu'il avait lui-même, chaque jour, nourri d'avoine. Il pouvait être fier de cette allure. Il voyait venir vers lui au galop les montagnes roses, si proches qu'il distinguait sur leurs flancs bas la montée des mélèzes et des sapins.

"L'Italie est là derrière", se disait-il.

Il était au comble du bonheur.

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Dans son souvenir, les pays étaient des femmes.

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[...] La terre jutait tellement bien comme un beau sein bien nourri qu'on la tétait sans plus penser à la caresser et à tirer son plaisir de ça. On ne donnait d'importance qu'à des jeux de têtes et, dans chaque clan, tous les matins on regardait avec volupté des vieux hommes, habiles à parler, habiles à gouverner, habiles à dissimuler leur faim de richesses et qui se gonflaient la tête comme des bulles de savon. On était orgueilleux d'avoir les plus grosses bulles. Les poètes n'allaient plus aux champs, ils bavaient dans des clairons. Pendant ce temps, le lait de la terre ruisselait dans toutes les herbes et la gloire des bêtes et des arbres montait. Les hommes trop nourris avaient oublié leurs génitoires; ils faisaient l'amour avec du pétrole et des phosphates, des choses sans hanches; ça leur donnait envie de sang.

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Ce dont on te prive, c'est de vents, de pluies, de neiges, de soleils, de montagnes, de fleuves, et de forêts : les vraies richesses de l'homme! Tout a été fait pour toi; au fond de tes plus obscures veines, tu as été fait pour tout. Quand la mort arrivera, ne t'inquiète pas, c'est la continuation logique. Tâche seulement d'être alors le plus riche possible. A ce moment là, ce que tu es, deviens.

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Je trouve que personne ne respecte plus l'homme. De tous les côtés on ne parle plus que de dicter, d'obliger, de forcer, de faire servir. On dit encore cette dégoûtante baliverne : la génération présente doit se sacrifier pour la génération future. On le dit même de notre côté, ce qui est grave. Si encore nous savions que c'était vrai! Mais, par expérience, nous savons que ce n'est jamais vrai. La génération future a toujours des goûts, des besoins, des désirs, des buts imprévisibles pour la génération présente. On se moque des diseurs de bonne aventure. Il faut sinon se moquer, en tous cas se méfier des bâtisseurs d'avenir. Surtout quand pour bâtir l'avenir des hommes à naître, ils ont besoin de faire mourir les hommes vivants. L'homme n'est la matière première que de sa propre vie.

Je refuse d'obéir.

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Bibliographie

Un roi sans divertissement, Les âmes fortes, éditions France-loisirs, 1995
Jean le bleu; Jean Giono, une vie, une oeuvre, éditions France-Loisirs, 1995
Ennemonde et autres caractères, L'iris de Suse, éditions France-Loisirs, 1995
Jean Giono, Bulletin n°64, automne-hiver 2005
Jean Giono, Bulletin n°65, printemps-été 2006
Revue Giono, n°3, Association des amis de Jean Giono, 2009
Oeuvres romanesques complètes IV : Angelo, Mort d'un personnage, Le hussard sur le toit, Le bonheur fou, nrf, Bibliothèque de la Pléïade, 1977-2001
L'homme qui plantait des arbres, éditions Gallimard, Folio cadet rouge, 1990
Romans et essais : Colline, Un de Baumugnes, Regain, Présentation de Pan, Le serpent d'étoiles, Jean le Bleu, Que ma joie demeure, Les vraies richesses, Triomphe de la vie, éditions Livre de poche, La pochothèque, 1992
Correspondance Jean Giono Henri Pourrat, Hors-série de la Revue Giono, 2009
Jean Giono ou le voyageur immobile, catalogue d'exposition, Centre Jean Giono, 1992
Voyage dans l'enfer, Giono, un manosquin parmi d'autres, 14/18, Exposition Littéraire et artistique, Centre Jean Giono, 13 décembre 1997 au 28 mars 1998
André Gide Jean Giono, Correspondance 1929-1940, Hors série de la Revue Giono, Association des Amis de Jean Giono, 2012

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