Toute la terre est sous
les yeux d’or du matin.
*
-
J’appelle grands mercis aux dieux, dit-il, pour cette ambroisie qu’ils mêlent à
chaque jour de ma vie. Il se peut que là-haut –il montrait le village accroupi
sur son aire- d’aucuns ne soient pas aussi satisfaits que moi. J’entends des
jérémiades dans le sentier et des volées de jurons. Mais ils sont eux-mêmes les
artisans de leur peine, et j’en connais qui dépensent plus de temps pour
construire leur malheur qu’il ne faut d’école pour acquérir la sagesse.
*
Un
rossignol dessinait sur le silence une volute de lumière.
*
Tout
bleu d'iris, terre et ciel avec, à l'ouest, un bouquet de nuages; le jeune
soleil marche, enfoncé dans les herbes jusqu'aux genoux. Le vent éparpille de
la rosée comme un poulain qui se vautre. Il fait jaillir des vols de moineaux
qui nagent un moment entre les vagues du ciel, ivres, étourdis de cris, puis
s'abattent comme des poignées de pierre.
*
Le
corbeau s'en va sur ses ailes lentes. On l'entend voler, il y a un vaste
silence sur la terre; seul, au bord du champ, un tas de fumier geint doucement
comme quelque chose qui cuit.
*
Chaque
soir, Pauline mit une robe longue. Son petit visage, que la maladie avait rendu
plus aigu encore, était lisse et pointu comme un fer de lance et, sous la
poudre et les fards, légèrement bleuté.
-
Comment me trouves-tu? dit-elle.
-
Très belle.
Le
matin du départ, Angelo tendit tout de suite la main au cheval qu'il avait
lui-même, chaque jour, nourri d'avoine. Il pouvait être fier de cette allure.
Il voyait venir vers lui au galop les montagnes roses, si proches qu'il
distinguait sur leurs flancs bas la montée des mélèzes et des sapins.
"L'Italie
est là derrière", se disait-il.
Il
était au comble du bonheur.
*
Dans
son souvenir, les pays étaient des femmes.
*
[...]
La terre jutait tellement bien comme un beau sein bien nourri qu'on la tétait
sans plus penser à la caresser et à tirer son plaisir de ça. On ne donnait
d'importance qu'à des jeux de têtes et, dans chaque clan, tous les matins on
regardait avec volupté des vieux hommes, habiles à parler, habiles à gouverner,
habiles à dissimuler leur faim de richesses et qui se gonflaient la tête comme
des bulles de savon. On était orgueilleux d'avoir les plus grosses bulles. Les
poètes n'allaient plus aux champs, ils bavaient dans des clairons. Pendant ce
temps, le lait de la terre ruisselait dans toutes les herbes et la gloire des
bêtes et des arbres montait. Les hommes trop nourris avaient oublié leurs
génitoires; ils faisaient l'amour avec du pétrole et des phosphates, des choses
sans hanches; ça leur donnait envie de sang.
*
Ce
dont on te prive, c'est de vents, de pluies, de neiges, de soleils, de
montagnes, de fleuves, et de forêts : les vraies richesses de l'homme! Tout a
été fait pour toi; au fond de tes plus obscures veines, tu as été fait pour
tout. Quand la mort arrivera, ne t'inquiète pas, c'est la continuation logique.
Tâche seulement d'être alors le plus riche possible. A ce moment là, ce que tu
es, deviens.
*
Je
trouve que personne ne respecte plus l'homme. De tous les côtés on ne parle
plus que de dicter, d'obliger, de forcer, de faire servir. On dit encore cette
dégoûtante baliverne : la génération présente doit se sacrifier pour la
génération future. On le dit même de notre côté, ce qui est grave. Si encore
nous savions que c'était vrai! Mais, par expérience, nous savons que ce n'est
jamais vrai. La génération future a toujours des goûts, des besoins, des
désirs, des buts imprévisibles pour la génération présente. On se moque des
diseurs de bonne aventure. Il faut sinon se moquer, en tous cas se méfier des
bâtisseurs d'avenir. Surtout quand pour bâtir l'avenir des hommes à naître, ils
ont besoin de faire mourir les hommes vivants. L'homme n'est la matière
première que de sa propre vie.
Je
refuse d'obéir.
*
Bibliographie
- Un roi sans divertissement, Les âmes fortes, éditions
France-loisirs, 1995
- Jean le bleu; Jean Giono, une vie, une oeuvre, éditions
France-Loisirs, 1995
- Ennemonde et autres caractères, L'iris de Suse,
éditions France-Loisirs, 1995
- Jean Giono, Bulletin n°64, automne-hiver 2005
- Jean Giono, Bulletin n°65, printemps-été 2006
- Revue Giono, n°3, Association des amis de Jean Giono, 2009
- Oeuvres romanesques
complètes IV :
Angelo, Mort d'un personnage, Le hussard sur le toit, Le
bonheur fou, nrf, Bibliothèque de la Pléïade, 1977-2001
- L'homme qui plantait des arbres, éditions Gallimard,
Folio cadet rouge, 1990
- Romans et essais : Colline, Un
de Baumugnes, Regain, Présentation de Pan, Le serpent
d'étoiles, Jean le Bleu, Que ma joie demeure, Les vraies
richesses, Triomphe de la vie, éditions Livre de poche, La
pochothèque, 1992
- Correspondance Jean Giono Henri Pourrat, Hors-série de la Revue
Giono, 2009
- Jean Giono ou le voyageur immobile, catalogue
d'exposition, Centre Jean Giono, 1992
- Voyage dans l'enfer, Giono, un manosquin parmi d'autres,
14/18,
Exposition Littéraire et artistique, Centre Jean Giono, 13 décembre 1997 au 28
mars 1998
- André
Gide Jean Giono, Correspondance 1929-1940, Hors
série de la Revue Giono, Association des Amis de Jean Giono, 2012
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