mardi 20 septembre 2011

François Cheng



Assurément, la Terre est le lieu de notre destin. Elle est d'abord le lieu de notre mémoire. C'est là que sont enterrés nos morts. C'est là que nos prédécesseurs ont laissé les traces de leur quête - et conquêtes -, les fruits de leurs créations. De ce fait, elle est aussi le lieu de notre formation. En son sein, devenus des êtres de langage, nous avons entrepris un dialogue de fond avec nos semblables, avec l'univers des vivants et, comme irrésistiblement, avec une forme de transcendance. Car, si transcendance il y a, c'est encore à partir de la Terre, à partir des données de la Terre que nous pouvons l'envisager, que nous pouvons en dire quelque chose de valable. A travers ce dialogue à grande échelle et à tous les niveaux, nous apprenons à nous initier au vrai et au beau.
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En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourra paraître incongru, inconvenant, voir provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l'univers vivant: d'un côté, le mal; de l'autre, la beauté.

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Voie tienne dans la nuit toujours familière déjà étrangère
De nuit en nuit plus loin puis une nuit soudainement le sillage
Etoile filante au cœur d'un cœur brisé

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La beauté est quelque chose de virtuellement là, depuis toujours là, un désir qui jaillit de l'intérieur des êtres, ou de l'Etre, telle une fontaine inépuisable qui, plus que figure anonyme et isolée, se manifeste comme présence rayonnante et reliante, laquelle incite à l'acquiescement, à l'interaction, à la transfiguration.
Relevant de l'être et non de l'avoir, la vraie beauté ne saurait être définie comme moyen ou instrument. Par essence, elle est une manière d'être, un état d'existence.

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L'infini qui sépare
Le silex bref
de la flamme durable
La chenille grimpante
de la chute des feuilles
L'appel de l'enfant perdu
de la mère qui attend
L'infini que traverse le souffle
du Vide médian
Là est le lieu de vie
Là est le lieu
Là est
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Sommes-nous là pour durer,
Ou bien pour un seul été ?
La gloire née d’une main d’homme
A glissé d’entre les murs.
Trouant l’espace diapré,
La licorne sans tête pourchasse

L’ombre de l’après-midi.
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Le vrai Espace, pour un poète, c’est celui qui vit dans le signe et entre les signes.
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Introduire le Vide dans le langage, c’est briser un tant soit peu la linéarité, c’est restituer à chaque signe sa pleine existence et laisser les signes jouer un jeu plus libre, lequel engendre une possibilité de signifiance plus riche et plus profonde.
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Nous sommes clôture et finitude

Pourtant c’est entre nous
Que sans fin jaillira
Ce que la vie désire
De plus vaste
De plus haut
D’indéfiniment transmuable

Aimer c’est être
En avant de soi
Aimer c’est dire
« Tu ne mourras pas ! »
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Au fond, ce qui arrive, c’est tout ce qui est arrivé. C’est cette vie même, c’est une autre vie, c’est une autre vie dans cette vie, c’est cette vie qui ne peut pas ne pas être autre. Ce qui peut arriver, ce qui doit arriver, ce n’est plus à nous de le mesurer.
Que s’élève le chant des âmes retrouvées !

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Bibliographie

-       A l’orient de tout, éditions NRF Poésie/Gallimard, 2005
-       Cinq méditations sur la beauté, éditions Albin Michel, 2006
-       L’un vers l’autre, En voyage avec Victor Segalen, éditions Albin Michel, 2008
-       L’écriture poétique chinoise, éditions du Seuil, Folio essais, 1996
-       Le long d’un amour, éditions Arfuyen, 2005
-       Quand reviennent les âmes errantes, éditions Albin Michel, 2012
-       Main lettrée, Revue Poésie, n° 65, 1996
-       La vraie gloire est ici, Revue Poésie, n° 85, 2000

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