dimanche 4 septembre 2011

Angélique Del Rey & Miguel Benasayag

Même s'il semble plus simple d'épouser la logique de l'affrontement que celle du conflit et de sa complexité, perçue comme source d'impuissance, nous pensons au contraire qu'il est plus simple de chercher à l'assumer. [...] C'est ainsi que, par exemple, il est toujours plus facile de collaborer avec une dictature que de s'engager dans la résistance.[...] Cette absence de résistance, cependant, est au prix, non d'une collaboration passive, mais d'un refoulement de ce qui, au coeur des conflits structurant nos situations, nous convoque. Il faut un grand effort pour tourner le dos au désir de résister, ou même à l'irritation grandissante éprouvée face à un quotidien scandé par les preuves multiples de la tyrannie.[...] La voie de la facilité exige ainsi un effort permanent et quotidien, jusqu'à créer l'habitude de l'indifférence. En vérité, le terme de "passivité" ne convient pas à une telle dépense d'activité. celui, ou celle, qui a cédé au chant des sirènes de la facilité verra inévitablement sa vie, non pas devenir complexe, mais se compliquer, car, pour justifier et maintenir sa position de facilité, il lui sera de plus en plus compliqué de le faire.
La simplicité est un choix difficile, parfois risqué, mais c'est celui qui va de soi, en quelque sorte. Et, s'il est plus simple d'assumer un conflit que de l'éviter, c'est que ne pas l'assumer implique un refus: celui de la tâche qui se présente à nous et qui est celle de la vie même.[...]
Dans la logique de l'affrontement, ce que nous trouvons à l'oeuvre est un devenir identitaire des parties en présence, une détermination mutuelle des identités dans l'opposition. Le devenir identitaire fait perdre, aux individus comme aux groupes, toute pensée complexe des problèmes.

.

Nous sommes celles et ceux qui étaient censés vivre des lendemains qui allaient chanter, et la question que nous commençons à nous poser n'est même plus, à vrai dire, celle de savoir "par où sortira le soleil", mais si, un jour, tout simplement, le soleil est sorti pour quelqu'un...

Mais il sort pourtant tous les jours, et il se couche pour tous, même pour celles et ceux qui ne l'ont pas vu sortir, chaque fin de journée, de dure journée, sans espoir ni promesse pour l'énorme majorité de nos contemporains. Le soleil sortira, il est en train de sortir, il est en train de se coucher. la pensée héraclitéenne du conflit nous dit qu'obscurité et lumière se succèdent, éternellement. Elle nous dit qu'il faut guetter par où le soleil est en train de sortir, mais qu'il ne faut pas trop s'effrayer quand il se couche. Pour celles et ceux qui, peut-être, vivront des époques plus lumineuses que la nôtre, qu'ils sachent que la lumière ne leur est pas due, que l'ombre guette, qu'à une époque lumineuse succède une époque obscure, et qu'ombre et lumière font partie du même devenir, du conflit. Qu'ils sachent que le conflit détermine toutes choses et que le refouler, loin de le faire disparaître, nous conduit vers un processus de déréalisation du monde et des liens. L'éloge du conflit, loin de célébrer l'affrontement, affirme pour nous le principe même de toute émergence du nouveau, de toute création.

Si lumières et ombres se succèdent, le défi ne peut être de désirer vivre dans une autre époque, mais de parvenir à créer, lutter, penser, résister, bref vivre pour et par une époque obscure. Joie et tristesse ne dépendent pas d'une époque particulière. la joie émerge de la possibilité d'assumer l'époque. Mais, dira-t-on, à quoi bon lutter, à quoi bon résister si la rédemption, la solution finale des problèmes, ce moment messianique qui devait "couper l'histoire en deux" n'arrive jamais? Il est vrai qu'en continuant à résister, à créer, à vivre, nous rencontrons une autre menace, celle de la dispersion. Et nous devons alors savoir comment contruire concrètement des multiplicités agencées qui n'aillent plus s'échouer dans des projets de centralisation, sans se perdre pour autant dans la dispersion.

.

Au nom de la transparence et du consensus, le sens commun a tendance a considérer aujourd'hui que nous savons toujours dans quelle intention nous agissons. Que toute activité humaine renvoie par nature à une intention ou du moins à un but humainement compréhensible. Que rien n'est fait hors de la visée d'une utilité. Qu'enfin la revendication de transparence - de soi à soi, des autres à soi, de soi aux autres, du pouvoir aux citoyens, etc… - est légitime et sans complexité aucune.

*

Bibliographie



- Eloge du conflit, éditions La Découverte, 2007

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu, avec vos commentaires qui sont modérés. Il vous faudra attendre avec patience leur modération pour les voir apparaître au bas de chaque article. Merci de votre compréhension