mardi 20 septembre 2011

François Cheng, Du souffle à la langue : la voie du vide-médian



 Du Souffle à la langue: la voie du vide-médian

A propos de “Dialogue” de François Cheng, éditions Desclée de Bouwer



La langue n’est au fond qu’un emprunt. Rien ne nous prédestine à telle ou telle utilisation du langage sinon l’expérience vécue. N’importe quel humain trempé dans la bain sonore de la voix dès avant sa naissance pourrait ainsi développer sa compétence sur n’importe quel territoire d’échange langagier. Ceux qui, comme François Cheng, se sont trouvés par leur exil dans l’obligation de quitter leur langue maternelle pour en adopter une autre en ont fait l’expérience.

Ne s’agit-il que de langue? Tomatis nous expliquait combien la survenue d’une langue était le résultat de conditions géographiques, climatiques. La naissance de la langue, patiemment élaborée au fil de millénaires d’évolution, s’est donc diversifiée au gré du milieu. On pourrait ainsi rêver de notre capacité à adopter toutes les langues connues. Mais ce serait aussi en adopter les usages comportementaux, cognitifs...

François Cheng nous emmène à la découverte de ce long processus qui mène un homme, éduqué en chinois, à adopter le français comme véhicule culturel. Tant de choses opposent les deux pôles que l’exilé dût ne faire qu’un objet de deux modes de pensée.

Il s’en vient alors une poétique qui puise à la source du taoïsme, du confucianisme, du bouddhisme et de la pensée occidentale de l’ego. Il s’en vient l’idée d’une entrée dans la complexité linguistique, la volonté de ne rien simplifier pour au contraire développer les points de convergence.



Au début était le souffle, le souffle de la respiration paisible, modifié par le mouvement: accéléré dans la marche et la course, suspendu par la peur et la crainte ou l’attente, accompagnant le plaisir en le rendant possible. Au début était le souffle et, lorsque les cordes vocales furent assez descendues par notre station érigée, vint la voix. Peut-être alors fut-elle une des voies d’accès à l’abstraction.

La pensée chinoise s’inspire de cette origine: Yin, Yang et voie du milieu (vide médian) ne sont que la suite logique de la découverte du son jailli de nos entrailles pour conquérir l’espace proche, s’assimiler ensuite à d’autres venus des lointains.

Le souffle vocal fut alors le lien entre notre monde intérieur et notre environnement, entre la terre et le cosmos. Ainsi naquit le “Tao”, la voie, fragile parcours au cœur d’une nature qui ne fut pas toujours celle que nous connaissons.

L’homme qui vient d’orient est l’héritier du souffle, intériorisé dans sa philosophie de l’existence. Il en est imprégné jusque dans la symbolique de l’écriture. Différence fondamentale entre une pensée intégrée dans la cosmologie de la nature, et une philosophie anthropomorphique, centrée sur la place de l’homme et sa conquête intérieure, indépendamment de la nature.



François Cheng nous invite à la synthèse, non pour constituer un syncrétisme des modes de pensée différents mais pour envisager la complémentarité, nourrissant ainsi chaque culture en la faisant évoluer; suivant sa propre évolution rendue nécessaire par l’exil, il nous invite à prendre dans chaque culture ce qui vient enrichir notre savoir originel. Il invite à rompre avec les particularismes pour tendre vers l’universel.



L’occident a posé la notion du sujet et du droit, dégageant l’être humain du monde vivant originel; l’orient a posé le sujet comme élément d’un tout au sein de l’univers. Chaque culture se trouve donc en manque de l’autre, chacune vient se compléter au contact de l'autre.

L'orient serait en “déficit du côté du Deux”, le Deux dépeint le Sujet en face de l’Objet, ou le Sujet en face d’un autre Sujet.”

“Nous avons pu montrer que, selon cette pensée” (la pensée chinoise), “ une vue cosmologique et globale s’appuie sur l’idée du Souffle et que le fonctionnement de ce Souffle est ternaire”: Yin-Yang et Vide médian. “Le vide-médian est proprement le Trois - que les confucéens traduisent par l’idée du Milieu juste - , qui, né du Deux, permet au Deux de se dépasser. La pensée chinoise, convaincue qu’un sujet ne peut l’être que pour d’autres sujets, a compris la nécessité du Trois, seul capable de prendre en charge le Deux tout en le transcendant”.



Et de conclure: “D’où tout l’intérêt d’une leçon que la Chine peut recevoir de l’Occident”. D’où aussi tout le sens d’une leçon que l’Occident pourrait recevoir de l’Orient.



Au début, avec la vie vint le Souffle, ici certains choisirent le Trois, d'autres le Deux, peu encore, explorant les voies des uns et des autres, tendirent vers le Un.



Xavier Lainé

26 décembre 2004

Cette note de lecture peut être lue aussi ici :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu, avec vos commentaires qui sont modérés. Il vous faudra attendre avec patience leur modération pour les voir apparaître au bas de chaque article. Merci de votre compréhension