mercredi 4 décembre 2013

Alain Berthoz


La décision est sans doute la propriété fondamentale du système nerveux.
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Au début n’était pas la raison, au début n’était pas l’émotion, au début n’était pas le corps, au début était l’acte. L’acte n’est pas le mouvement, l’acte est intention d’interagir avec le monde ou avec soi-même comme partie du monde. L’acte est toujours poursuite d’un but, il est toujours soutenu par une intention. Il se fait donc organisateur de la perception, organisateur du monde perçu.
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La surprise, qui est ouverture sur le monde, est toujours accompagnée d’une ouverture de la bouche. Fermer la bouche, c’est arrêter de laisser le monde entrer en nous. La fermer c’est interrompre le dialogue. La prise de décision est enfermement, concentration.
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La décision n’est pas seulement calcul d’une utilité, pari sur une probabilité. Elle est prédiction vécue par un esprit incarné dans un corps sensible.
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La décision est présente dans le geste qui s’ébauche et tout à coup change de but ou de direction, dans le regard qui change sa visée selon l’intérêt du sujet, dans la colère maîtrisée et le désir retenu.
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C’est dans les mécanismes de la décision d’agir qu’il faut chercher les bases des mécanismes de la pensée qui décide, la décision est un acte, sa source est dans l’action.
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La vision du double dans le miroir devient possible lorsque s’est construit le schéma corporel.
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Le pouvoir projectif de notre cerveau fait qu’il n’assemble pas seulement les données du monde mais qu’il construit le monde sensible en fonction de ses projets, clé de ses hallucinations.
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Nous n’avons pas seulement un homonculus dans le cerveau, nous avons un autre nous-mêmes.
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Percevoir, c’est lever des ambiguïtés, c’est choisir une interprétation plutôt qu’une autre, c’est donc décider.
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Percevoir, c’est décider ce que l’on veut voir.
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Nous savons que la vision joue un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre et que des perturbations visuelles peuvent déséquilibrer une personne et la faire chuter. Cette perturbation de l’équilibre par la vision vient d’une difficulté que rencontre le cerveau à intégrer les informations contradictoires des sens lorsqu’un conflit surgit. Dans certains cas, les réactions posturales qui normalement empêchent la chute peuvent être complètement bloquées. Par exemple si, au cours d’une chute, le monde visuel se déplace en même temps que la tête et donne au cerveau l’illusion que la tête ne bouge pas, l’activité réflexe des muscles des jambes qui stabilise la posture ne se produit pas. Tout se passe comme si le cerveau « croyait » plutôt la vision au détriment du maintien de l’équilibre.
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Le cerveau élabore avec une rapidité remarquable des stratégies pour résoudre des conflits en utilisant sa capacité de prédiction.
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Prendre une décision, c’est souvent être capable d’échapper à toutes les habitudes acquises, à tous les schémas de pensée ou d’action habituels pour créer une nouvelle solution.
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L’émotion est préparation de l’action, elle établit le contexte dans lequel est vécue l’action. Elle est créatrice d’un monde qui résout les conflits, un monde possible, acceptable pour notre cerveau, ses désirs, ses contraintes, ses espoirs. Au fond, les émotions sont comme des couleurs : elles catégorisent le monde et simplifient la neurocomputation. Dans l’infinie complexité du monde physique, elles aident le cerveau à catégoriser.
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La perception est décision. La perception est décision et l’émotion en est le juge suprême.
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Devant un ensemble de choix possibles, la préférence prépare nos actes comme la posture prépare nos mouvements.
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La préférence est imagination du futur, projection vers les conséquences de l’action, mémoire du passé utilisée pour prédire l’avenir, c’est un subtil mélange de réaction archaïque et d’imagination féconde et vivante.
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La tyrannie de la pensée formaliste désincarnée et insensible qui domina le XXe siècle, est particulièrement représentée par l’abandon du toit sur les maisons et les bâtiments publics. Seul le quartier de la Défense, illuminé par le dôme du palais des Expositions, version moderne du dôme de Florence, échappe à cette crise du goût. La pauvreté de la pensée soi-disant rationnelle est symbolisée, à l’autre bout de Paris, par le quartier de Bercy, de la grande bibliothèque et de Tolbiac dont le toit a disparu, où la froide logique du rangement a remplacé la finesse d’une pensée souple.
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Délibérer, c’est parcourir un chemin mentalement sans la lumière du monde des faits. C’est dans le dédale sombre de la nuit du cerveau qui pense parcourir des arguments en gardant clairement « à l’esprit » le point de départ et d’arrivée. Cette capacité de cheminer (le mot est emprunté à la navigation), en étudiant les objets mentaux de divers points de vue, est fondamentale.
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Le cerveau est un détecteur de différence entre ses espérances, ses estimations et ce qu’il obtient ; ce principe est général et provient sans doute du fait que le cerveau est une machine biologique « intentionnelle », c’est-à-dire qui fonctionne en se donnant des buts.

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Bibliographie







La décision, éditions Odile Jacob, 2003



-     - Le sens du mouvement, éditions Odile Jacob, 1997



      L’empathie, avec Gérard Jorland, éditions Odile Jacob, 2004



      - La simplexité, éditions Odile Jacob, 2009



      Phénoménologie et physiologie de l’action, avec Jean-Luc Petit, éditions Odile Jacob, 2006








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