vendredi 20 janvier 2012

Maria Zambrano

Si la vie est un songe, c’est un songe qui exige l’éveil.

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Ce qui nous permet de déchiffrer les rêves, c’est le temps et eux, à leur tour, ils nous permettent de nous approcher du temps tel qu’il est vécu par l’homme.

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L’homme  est l’être qui endure  sa propre transcendance.

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La voie d’accès pour découvrir la structure métaphysique de la vie, le lieu où elle se révèle sans autre conséquence que de permettre finalement d’accepter la condition humaine, c’est l’être de l’homme.

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Pénétrer à l’intérieur de la réalité qui l’entoure n’est pas possible à l’homme. Mais intérieurement, il la connaît. Intérieurement  et non « subjectivement », comme s’il avait été plongé dans le cœur de la réalité. Et tout en lui restant étranger.

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La poésie, sans attendre que la validité, l’expérience de « l’autre » et le négatif dans toutes ses variantes soient établis, a suivi le soleil dans son cheminement, essayant de refléter ce qu’il éclaire de façon invisible pour ceux qu’il a abandonnés dans sa course.

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Un humain ne manifeste jamais l’absolu de sa présence.

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Etre avec soi-même est toujours un état relatif et requiert également une vigilance, comme le présent de l’être devant autrui. Sa présence est apparition, phénomène, même pour soi-même. Et l’ici, avec autrui ou avec soi-même, n’existe jamais complètement.

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Ce n’est pas dans la conscience que se génère le sentiment d’être étranger à soi-même, mais c’est sous le regard de la conscience que l’on peut le devenir. Celui qui se voit, n’est pas forcément avec lui-même, il se voit hors de soi.

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La conscience objectivise avec sa clarté la réalité dans laquelle elle trempe.

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L’homme souffre de sa propre transcendance, de sa propre occultation, de son immanence ou être, jusqu’à sombrer, en elle. L’homme dort.

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Dormir est une chute dans un zone d’ombre de laquelle émergé l’état de veille.

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Dans le vide entre l’hier et l’aujourd’hui, se trouve l’irréparable du temps passé.

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S’il y avait une continuelle continuité, est-ce que quelque chose pourrait être révélé à l’homme sur lui-même ? Sans le temps, l’homme aurait-il ce minimum de perception de ce qu’il est en train de vivre ?

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A long terme, maîtriser le lieu de la réalité devient une tension intolérable, la tension qui surgit du fait de rester toujours présent à soi-même.

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Là où commence la vie, commence la discontinuité.

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La maîtrise de l’espace physique par le corps implique chez l’homme l’état d’éveil, un autre espace à parcourir et à maîtriser.

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Il ne s’agit pas d’être présent, mais de devenir présent, de devenir soi-même, tout en se plongeant dans une unité qui poursuit des degrés divers.

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Si la vie n’était pas initialement un songe, il n’y aurait pas de rêve.

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Dormir, c’est régresser. Retourner à la situation prénatale, être immergé à l’intérieur de quelque chose d’immense, d’obscur, d’invisible, revenir à la cécité initiale, à l’invalidité congénitale ; respirer, fonction primaire du vivant, non à l’extérieur mais à l’intérieur de quelque chose/ la température baisse, le cœur espace ses battements, toutes les fonctions, celles qui n’ont pas cessé, diminuent leur rythme et leur intensité. Comme si l’organisme revenait à la situation archaïque de laquelle il ne peut se détacher. Comme si l’état de veille, état habituel de l’homme et de l’animal qui les différencie de la plante, était acquis et consommait une énergie qui doit être renouvelée chaque nuit. Et comme si la nuit était un temps primaire, le temps obscur, pré-temporel, d’où la racine surgit, où elle demeure encore enfouie.

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Il y a sans doute, un voyage en rêves du sujet humain à travers toutes les régions et les confins de sa vie.

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L’homme qui dort, plutôt qu’image de la mort, est image de ce qui n’est pas tout à fait né, image de celui qui est là, mais sans avoir encore ouvert ses yeux.

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Dormir pour l’homme, c’est s’abandonner à la vie, sous la nuit de l’être.

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La prière qui ferme l’état de veille du croyant est la plus adéquate des préparations pour entrer dans le rêve, c’est l’acte de confiance absolue qui renvoie à la situation de complet abandon, le renvoi de la réalité – toujours relatif dans la vie humaine –, le retour à cet état initial absolu.

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Le squelette qui demeure est le corps qui reste dans le monde des corps, il montre qu’il a été quelque chose, il est un signe du passé.

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Etre en vie, c’est être resté seul dans la vie, c’est quelque chose qui est donné au sujet et qui dure. Etre sous le rêve, dans le rêve, c’est être dans la durée, s’assimiler à elle.

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Dans le désert de la durée, tout mouvement, soit physique, soit relevant de la psyché ou du sujet, dans leur plus profonde intimité, produit comme une sphère temporelle sans réalité, où ce qui ne peut pas être le réel est ; il prend l’apparence de l’être.

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Rêver, c’est se réveiller en l’être, sans le temps.

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Une nuée de rêves traverse le sommeil sans que pourtant ceux-ci apparaissent dans le souvenir à l’état de veille. Seuls, ceux qui précèdent le réveil du matin, ou le provoquent à n’importe quel moment, atteindront une certaine présence. Mais, il y a quelque chose en eux qui s’évanouit immédiatement dans la conscience, qui s’enfonce à travers elle, pour aller s’abîmer dans le lieu d’où ils sont sortis.

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Là ou la réalité commence, commence la différence et, avec elle, la discontinuité.

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Tout rêve est l’immobilité d’un mouvement. Puisqu’il n’existe aucun état, aucune situation d’immobilité complète dans la vie humaine. La Vie au niveau le plus élémentaire, dans sa limite avec la non-vie, est une tension, une détermination du mouvement, une prédisposition à un mouvement ou mouvement refoulé, subi, captif.

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Le prolongement de l’attention, portée sur une expérience quelconque, ou sur plusieurs, libère leur référence à la réalité.

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L’être nous est donné précisément dans le sentir, dans nos entrailles.

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Le sujet est certainement dans sa vie, mais il semble savoir, et par moment sentir, que la vie a ses confins, et qu’il est en train de faire sienne une vie qu’on lui a donnée, sa vie, puisqu’elle lui appartient. Que cette vie change d’ampleur, et même de tonalité et de consistance, qu’elle est un milieu fluide avant d’être flux ; que le « fleuve » de sa vie se fraye un chemin dans la vie comme dans la mer.

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L’oubli de soi-même, qui dans l’état de veille crée un état analogue à celui du rêve, permet au sujet de se laisser porter par la vi, presque immobile, de se soutenir au-dessus d’elle par le seul fait de respirer au compas de son rythme, en coïncidence avec ses pulsations.

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La vie flotte sur les eaux.

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L’homme n’est pas là en tant que créateur mais en tant que créé ; il ne consume ni ne détruit. Il illumine, irradie, se détachant lentement de la vie, ce qui lui permet de flotter au-dessus d’elle.

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Le songe est une intimité sans temps. Qui n’a pas encore le temps.

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Si la vie ne débordait pas la loi de l’auto préservation, il n’y aurait ni songe ni rêve (la loi de la conservation biologique, bien entendu). Ce  serait l’état réparateur, puisque vivre produit une usure.

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La vie a tendance à échapper à son propre repos ; telle l’eau qui déborde pour s’atteindre elle-même. Et ce débordement est déjà son temps. Ainsi le songe n’est-il pas encore temps, temps dans le sens de temporalité. C’est une sorte de pré-temporalité dans laquelle s’annonce le temps ; ce vagabondage, ce courir sans cours, c’est l’avidité de temps.

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Il y a dans le songe, même en celui de la seule intimité avec la vie, un désir. Un désir qui semble constituer l’essence même du vivre. Vivre, c’est désirer, et désirer suppose de ne pas avoir et, en, même temps, d’avoir davantage ; ne pas être arrivé et être au-delà. Désirer, c’est l’a priori de la vie.

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Sans désir, la vie ne se donnerait pas dans le temps, elle-même ne serait pas temps. Le désir est le fondement du devenir qui est vie. C’est un devenir qui provient d’un sujet, qui suppose un sujet même dans le fondement biologique de la vie, la plus élémentaire.

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Dans le songe, la vie poursuit la loi élémentaire du désir, et à cause de cela, déborde et poursuit son cours pour s’approprier un présent dans lequel on doit être présent à soi-même. La vie se cherche dans le présent, se réveille successivement en cherchant des présents où elle puisse se trouver et produire une forme.

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Du point de vue du vivant, la matière est « un passé » qui doit faire son chemin pour trouver son « présent », qui arrivera d’une certaine manière à devenir passé, à être matière.

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Songer, c’est déjà se dématérialiser, commencer à vivre dès cet état d’occultation dans la matière qui est passé et poids. Désirer le temps, tout le temps. Mais depuis la forme du présent, à travers un présent immédiat.

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L’avidité du présent ne constitue pas le présent.

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Songer, c’est s’échapper de la vie, fuir la matière organique : ce passé resté là, dépossédé.

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La matière est le contraire du temps, ce qui lui est irréductible, du fait d’avoir été consumé par lui. Se souvenir, revivre, c’est comme un songe : se sauver du révolu, sauver le révolu.

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Songer, c’est transformer le passé en présent en tant que temps de celui qui vit : cesser d’être tourné vers le passé pour chercher le présent, mais sans y parvenir, puisque le présent ce serait d’être déjà réveillé, sous la plus élevée des formes, l’hyper-conscience.

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Le présent, qui signifie être présent et rendre présent, est le salut du passé dans le futur.

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La vie est un continuel dévoilement. Et l’homme, par et à travers la conscience, est l’instrument du dévoilement : ce qui entre en elle devient réalité.

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Si le réveil est un arrachement, le moment d’entrer dans le rêve est une entrée en abîme de la conscience, qui se submerge comme si elle était à nouveau absorbée. Ce sont les mouvements du corps qui prennent leur place, si on peut dire. La respiration, en fait, diminue et devient la protagoniste de l’être vivant. En même temps, a lieu un mouvement insaisissable qui la traverse, un élan intérieur horizontal qui tend vers la courbe. C’est le mouvement ancestral proposé aux enfants, pour les conduire au sommeil, le bercement.
En berçant l’enfant, l’ancienne nourrice suivait le mouvement de la Terre, même si elle ignorait tout de lui, et n’avait jamais eu l’intention de l’évoquer.

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Le bercement ou ce mouvement du bras de la nourrice déterminait sans doute un mouvement interne, d’abord musculaire ; les muscles latéraux du thorax qui accentuent leur mouvement de l’intérieur vers l’extérieur : la respiration s’atténue jusqu’à la limite du possible, l’air baigne les poumons de façon non-régulière, comme dans l’état de veille. On vérifie ainsi l’élargissement de la boite thoracique et le creux qui correspond au diaphragme tend à s’élever.
Si la position correcte dans le sommeil est la position horizontale, elle n’est pas la plus spontanée ; celle-ci, on le sait, aurait tendance à être la même que celle de l’embryon dans le sein maternel : les extrémités inférieures pliées de façon à ce que les genoux touchent le front pour former une figure oblongue, le corps tend à occuper un espace à la manière d’une sphère, à se replier sur lui-même, à se blottir. Tout cela paraît indiquer que l’attitude la plus spontanée, quand on est disposé à entrer dans le rêve, est le retour au stade prénatal.

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Les rêves, (…), sont un état prénatal, qui participe d’une certaine manière de l’état prénatal biologique…

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Pour une genèse des rêves il faut donc prendre en compte trois éléments : les mouvements corporels et la position du corps ; les associations de la mémoire profonde, ce qui est aussi fantaisie ; la situation de la personne, le point du processus dans lequel elle se trouve.

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Tout rêve est un voyage.

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Ainsi, le Je, dans les rêves, comme dans les situations extrêmes de la vie réelle, côtoie l’enfer, les enfers, quand il est menacé d’être anéanti. Et cela du fait qu’il a perdu sa propre demeure. Y a-t-il un lieu du Je en rapport avec le temps ?

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Les rêves sont des amorces, des étapes dans l’humanisation.

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Le Je apparaît comme un héros et même comme un rédempteur. Il descend, conduit et s’éveille. Mais au réveil, du fait qu’il se trouve dans un autre monde, dans une vie différente, il tend à agir comme à l’état de veille : il tend à créer la vie.

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Les rêves considérés en tant qu’histoire, en tant qu’argument, sont des histoires sans auteur et en quête d’auteur.

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Les rêves typiquement archaïques, préhistoriques ou prénatals sont ceux où le Je apparaît en caricature, et encore plus, ce sont ceux où apparaissent plusieurs Je sans qu’aucun d’eux n’ait la qualité du véritable Je. Le Je véritable n’est jamais revêtu d’aucun vêtement ni déguisement.

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Les personnages fondamentaux du répertoire du théâtre humain sont relativement peu nombreux ; ils ont surgi progressivement de l’homme, de ses prédispositions, de ses élans, de ses besoins et de ses espoirs incontrôlés, ils sont les créatures de son désir délirant d’être.

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Le Je n’est pas seul. Il attire vers lui tout un cortège d’expériences. Son lieu est le vide. Mais ce vide est entouré d’expériences, les unes plus proches que les autres.

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Tout ce qui est énergie provient de la psyché ou se manifeste à travers elle.

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L’angoisse, c’est la situation de pure condition anonyme ; on tombe en elle depuis le plus intime dans l’anonymat. Mais, dans l’angoisse, on est dans le plus intime de la personne ; elle est un attentat à son essence.

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Les rêves sont la première forme du réveil de la conscience et le premier pas sur le chemin de la représentation.

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La vie de la psyché est tendancieuse.

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La blessure de la psyché consiste davantage dans le fait d’être, dans un être qui doit affronter la réalité dans le temps, affronter la liberté et, donc, qui est avide de connaissance.

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Les rêves ne passent pas, ils s’évanouissent ; ils ne tombent pas dans le passé, ils ont lieu par rapport aux évènements vécus à l’état de veille.

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On se souvient rarement de ces rêves, c’est-à-dire, qu’ils se présentent rarement à la conscience, à moins que l’émotion ne soit très intense, ce qui n’arrive que lorsqu’ils sont liés à l’histoire rêvée ; ce sont les rêves du désir et de la crainte, dans lesquels nulle action n’est proposée.

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L’expérience du déjà vu, du déjà vécu dans l’état de veille, a sans doute une de ses origines dans une ouverture de la conscience qui est une façon de s’avancer pour ensuite saisir l’objet qu’on lui présente précédé de tant de désir.

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Si la conscience s’accommode de la destitution, la vie tranquille ne cesse cependant de s’écouler, comme un fleuve ajusté à son cours. Toutes les expériences se mettent en accord entre elles, toutes suivent une même direction et, de plus, elles suivent le même rythme, qui ne se distingue pas du rythme de la respiration.

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La clarté des expériences essentielles condamne celles qui ne le sont pas.

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On dirait qu’une même vitesse les enveloppe toutes ; c’est la raison de l’harmonie de la marche, qui ressemble à l’immobilité et au rythme commun, qui semble obéir à un rythme élémentaire primaire. Nous appelons tout cela, qui est de l’ordre de l’aspiration, la vie. La vie offerte à elle-même, à son ordre qui semble spontané, d’où a disparu l’effort qui précède la réussite, de la même manière que les calculs et les efforts, les tâtonnements qui ont accompagné le cours de l’exécution d’une œuvre d’art réussie ne sont pas visibles.
Le sujet adhère à cette situation ; il y adhère, il n’y est pas soumis comme dans les rêves primaires de la psyché ; c’est à cause de cela qu’il se maintient. Et du fait qu’elle est l’inverse d’un rêve, que cette situation revient à être l’équivalent d’un degré supérieur de l’état de veille. Elle équivaut à son contraire, puisque le rêve c’est l’immobilité d’un mouvement. Et dans cette situation nous avons un mouvement qui coule, au rythme égal, de façon harmonieuse.

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La poésie est née pour être le sel de la terre et une grande partie de la terre ne l’accueille toujours pas.

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La poésie, c’est réellement l’enfer.

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Le poète est possédé par la beauté qui brille, par la beauté resplendissante qui se détache entre toutes les choses.

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On raconte qu’un empereur de Chine ordonna qu’on joue une tendre mélodie pour accompagner les fleurs qui s’ouvraient. Le poète ne fait rien d’autre ; il reste en éveil jusqu’à en mourir, devant les changements, devant les minuscules et terribles changements par lesquels naissent et meurent, se consument les choses.

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Le poète n’a jamais voulu prendre de décision et quand il l’a fait, ça a été pour cesser d’être poète.

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Oui, le poète est immoral. Il est juste qu’il erre dans les banlieues de la cité de la raison, de l’être et de la décision.

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Le poète a ce qu’il n’a pas cherché et plus qu’il ne possède, il se sent possédé.

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Le poète vit dans le saisissement de la parole ; il est son esclave.
Le philosophe veut posséder la parole, devenir son maître. Le poète est son esclave ; il s’y consacre, il s’y consume.

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"Un bonheur qui ne peut pas être communiqué n’est pas un bonheur." (Kierkegaard)

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Pour donner corps au rêve virginal de l’existence, à ce rêve d’innocence où l’esprit ne sait encore rien de lui-même ni de son pouvoir, il faut à la poésie toute la lucidité dont est capable un être humain ; il lui faut toute la lumière du monde.

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Si la poésie se fait avec des mots, c’est parce que le mot est la seule chose intelligible.

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Le philosophe vit tourné vers l’avant, il s’éloigne de l’origine, il se cherche « lui-même » dans la solitude, il s’isole et s’éloigne des hommes. Le poète défait sa vie en s’éloignant de son éventuel « lui-même », par amour de l’origine.

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La poésie, qui est née en Grèce, qui s’attachait au temps, refusait d’y renoncer, le traverse aujourd’hui, le déchire parce qu’elle refuse de se séparer du rêve originaire, de l’innocence antérieure à l’histoire.

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La poésie montre l’homme tel qu’il est, hors de tout évènement, excepté celui du premier acte inconnu de ce drame où on le voit naître pour tomber de ce lieu jamais retrouvé, antérieur au commencement de toute vie et auquel on a donné tant de noms différents. Noms différent qui ont en commun de faire allusion à quelque chose, à un espace, à un temps hors du temps, où l’homme fut autre chose qu’un homme. Un espace et un temps auxquels l’homme ne peut accéder par la mémoire, parce qu’alors la mémoire n’existait pas, mais qu’il ne peut oublier, parce que l’oubli n’existait pas non plus.

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Ce n’est pas lui-même que cherche le poète, c’est tous et chacun. Son être n’est qu’un véhicule, n’est qu’un moyen pour qu’une telle communication se réalise. Une médiation, l’amour qui lie et délie, qui crée. La médiation de l’amour qui détruit, qui consume et se consume, de l’amour qui s’arrache la vie.
Pourra-t-il venir le jour bienheureux où la poésie recueillera tout le savoir de la philosophie, tout ce que la distance et le doute lui ont appris, afin de donner forme avec lucidité et pour tous à son rêve ?

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La philosophie, c’est se trouver soi-même, arriver enfin à se posséder.

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Le philosophe veut échapper au cours du temps, à la procession des êtres, se détacher de la longue chaîne de la création où, condamnés au temps, ensemble nous marchons avec les autres, avec tous les hommes, toutes les créatures aussi, ombres et lumières qui nous accompagnent.

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Tous nous avons espéré voir, entièrement et pour toujours, ce qui ne s’est manifesté que sous forme d’ombre et d’hallucination. Et, du fait de cette espérance, certains n’osent pas entreprendre sérieusement, c’est-à-dire jusque dans ses ultimes conséquences, la tâche de se donner un nom à eux-mêmes. D’être eux-mêmes leur propre créateur.

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Le philosophe part en quête de son être par le détachement. Le poète reste immobile, dans l’attente du don.

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Le poète vit dans l’amour du monde, et son attachement à chaque chose, à son éphémère instant, à ses ombres multiples ne signifie que la plénitude de son amour pour tout ce qui est.

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La poésie se sépare de la philosophie parce que le poète ne veut rien conquérir pour lui-même.

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Le poète est un enfant perdu parmi les choses.

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La poésie, établie dès l’origine dans l’ineffable, lancée dans l’aventure de dire l’indicible, ne voit pas son existence menacée.


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Bibliographie

-     - Les rêves et le temps, éditions José Corti, 2003
-     - Philosophie et poésie, éditions José Corti, 2003

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Liens internet
- Maria Zambrano chez José Corti : http://www.jose-corti.fr/auteursiberiques/zambrano.html

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