vendredi 21 mars 2014

Shlomo Sand


N’en déplaise aux antisémites, les adeptes de la foi juive n’ont jamais fait partie d’une « ethnie » étrangère envahissante venue d’un ailleurs lointain ; ils trouvent au contraire leur origine au sein des populations autochtones dont les ancêtres ont été convertis, sur place, au judaïsme avant la venue du christianisme et de l’islam.
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Une pulsion naturelle inscrite chez l’homme le pousse à se constituer un territoire qu’il protégera coûte que coûte. Cette pulsion est un instinct héréditaire qui dicte à toutes les créatures vivantes comment agir dans des circonstances données.
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Ce n’est que lorsque la nature a pu remédier à ses carences de base que l’homme s’est fixé dans une région précise pour en faire sa résidence.
Cependant, si, beaucoup plus tard, l’homme s’est attaché de façon pérenne à un sol, cela provenait non pas de son attirance biologique pour un territoire fixe, mais des débuts du développement de l’agriculture.
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Le sol a presque toujours été considéré comme un patrimoine divin, et non comme le bien des humains.
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Il faut être conscient que ce n’est pas la patrie qui a engendré la nation, mais bien plutôt la nation qui a créé la patrie ; et il s’agira là d’une des créations les plus stupéfiantes (et peut-être, aussi, dévastatrice) de l’ère moderne.
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La carte et l’enseignement sont devenus des outils naturels qui ont modelé un espace défini et connu.
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L’Etat moderne, par son système judiciaire civil et son code pénal, a constitué une des conditions premières du fondement de la propriété bourgeoise.
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Le territoire est la propriété commune de tous les « actionnaires » de la nation ; il est même la propriété de ceux qui n’ont rien, tandis que ceux qui disposent de modestes biens privés se sentent également propriétaires des vastes biens nationaux. Ce sentiment de propriété procure une satisfaction émotionnelle et une impression de sécurité qu’aucune utopie politique ou promesse d’avenir n’a pu concurrencer.
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Le processus par lequel la terre se transforme en propriété nationale est généralement engagé d’en haut par le pouvoir central, mais il devient au fur et à mesure un élément de la conscience sociale élargie, qui, par en bas, le pousse et le complète.
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L’histoire des communautés rurales est toujours plus méconnue que celle des centres de pouvoir, des temples de la finance et des cités marchandes.
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Toute mémoire collective est toujours, dans une certaine mesure, le produit d’une construction culturelle porteuse, dans la plupart des cas, des préoccupations et des courants d’opinion du présent.
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S’agissant de l’histoire des nations, le présent découle certes du passé, mais il façonne aussi assez librement ce dernier ; et ce passé recréé comporte toujours d’immenses zones d’oubli.
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Comme toujours s’agissant des histoires nationales, la part d’ombre est refoulée, en attendant, dans le meilleur des cas, d’être exhumée par les générations futures. Les barons de la mémoire sont supposés faire preuve d’esprit scientifique, il ne leur est pas demandé d’avoir également une approche éthique.
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La dissimulation de l’existence de l’autre conditionne la justesse de la voie historique.
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Le souvenir et la connaissance des victimes que nous avons causées permettent davantage la réconciliation entre les humains et une vie guidée par des valeurs que le fait de ressasser en permanence que nous sommes les descendants d'autres victimes du passé. la mémoire généreuse et courageuse, même empreinte d'une pincée d'hypocrisie, constitue une condition décisive de toute civilisation éclairée.

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Bibliographie



Comment le peuple juif fut inventé, éditions Fayard, 2008



Comment la terre d’Israël fut inventée, éditions Flammarion, 2012

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