dimanche 23 mars 2014

Isabelle Richard, Jean-Paul Saint-André


Les améliorations à venir de l’état de santé de la population et de l’espérance de vie seront probablement autant liées à la réduction des inégalités sociales de santé, c’est-à-dire à l’accès de tous aux soins existants, qu’au développement de nouvelles techniques. La formation de professionnels de santé capables de mettre en œuvre ces évolutions devra inclure une part croissante de sciences humaines et sociales, indispensables à une approche non strictement « biomédicale » des malades et de leurs maladies.
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L’accès de professionnels au niveau de coordination devra être possible quelle que soit la formation initiale du professionnel de santé.
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La nécessité pour de nombreux secteurs de la recherche dans le domaine de la santé d’une approche pluridisciplinaire, liant biologie et sciences humaines, est de mieux en mieux identifiée. Elle est par exemple nécessaire à la compréhension des inégalités sociales de santé. L’inclusion de professionnels non médicaux dans l’université comprend en germe le développement de ces activités, leur articulation avec l’évolution des soins, et renforce les potentialités de recherche.
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Si rien n’est fait rapidement, la formation aux métiers de la santé pourrait être le prochain sujet sur lequel la France accusera cinquante années de retard, faute d’être capable de tirer les leçons des évolutions en cours et d’adapter au système français certaines des bonnes solutions imaginées ailleurs.
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A l’intérieur de l’université, les filières qui abandonneront les premières leur immobilisme et leurs préjugés pour intégrer la demande sociale d’une formation à l’université de tous les professionnels de santé prendront une avance déterminante. Les facultés de médecine ont toutes les cartes en main pour le faire, à condition de renoncer à quelques vieux réflexes.
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Personne ne suppose vraiment que les connaissances de biophysique sont déterminantes pour distinguer un futur « bon » professionnel de santé d’un candidat inadéquat. Le fait que la validité ne soit pas recherchée, alors que c’est une préoccupation affichée par d’autres systèmes de sélection pour les études de santé dans d’autres pays, a plusieurs explications. La première est que les méthodes valides pour juger des aptitudes relationnelles sont considérées, dans notre environnement culturel, comme insuffisamment reproductibles pour être acceptées dans le contrat entre l’université et l’étudiant. C’est ce qui explique l’absence d’entretien. Une autre explication plus intéressante est la perception que les caractéristiques permettant de prédire l’aptitude à un métier n’existent pas, et/ou qu’elles ne sont pas stabilisées et mesurables chez des lycéens de 17 ans, et/ou qu’elles s’acquièrent, et donc qu’il n’est pas central que les étudiants les possèdent déjà si leur cursus ultérieur les développe.
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Le pouvoir discriminant des épreuves est l’unique préoccupation des étudiants, alors que les enseignants peinent à sortir d’un paradigme de validation de connaissances (souhaitant par exemple que les étudiants admis aient une note supérieure à 10/20). Les caractéristiques des épreuves et surtout le très petit nombre de leurs modalités (la grande majorité sont des QCM) donnent un poids élevé aux aspects techniques de l’épreuve. C’est au fond son inconvénient principal. Actuellement cette épreuve recrute des étudiants avant tout « bons en QCM », ce qui réduit la diversité des profils des étudiants reçus. Enfin, « l’impact éducatif » de ces modalités est probablement très négatif, induisant à l’extrême un « bachotage » avec des stratégies d’apprentissage « de surface » (par cœur), qui imprègnent durablement les étudiants.
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Si l’on décide d’évaluer la compétence des internes à conduire un entretien d’annonce d’une mauvaise nouvelle par le nombre d’entretiens de ce type auxquels ils ont assisté, qu’ils ont conduit avec une supervision et qu’ils ont conduit seuls, on n’a au fond pas mesuré pour chacun la réalité de sa compétence à le faire, mais on assure qu’aucun n’effectuera cette activité pour la première fois après sa formation initiale, sans aucune formation antérieure.
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La formation à la recherche de certains étudiants en médecine est une illustration presque caricaturale d’une question non résolue alors que le diagnostic est partagé par la majorité des acteurs, que les solutions sont connues, que leur mise en œuvre technique est évidemment possible. Résoudre ce problème est un enjeu majeur pour notre pays. Mais le caractère centralisé des décisions concernant l’enseignement en général et celui de la médecine en particulier, le fantasme de l’égalité de traitement des étudiants de Lille à Marseille, la faible autonomie des acteurs, l’absence de possibilités d’expérimentation, figent le système et imposent une procédure napoléonienne d’accès aux différents modes d’exercice, interdisant de reconnaître et d’encourager l’excellence scientifique et la créativité de certains étudiants.
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A partir du triangle formé par le développement des connaissances, le pouvoir politique et l’environnement social, les facultés de médecine disposent d’espaces de liberté pour développer un projet pédagogique, dont certains aspects sont partagés avec d’autres formations universitaires et d’autres très spécifiques, mais pouvant alors avoir des points communs avec la formation aux autres professions du soin. Ces espaces sont actuellement en France peu utilisés et le sont de façon totalement empirique. La centralisation de toutes les décisions, malgré l’autonomie des universités, freine de façon significative les évolutions.
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L’existence dans de nombreux pays de facultés de santé en charge de la formation de la plupart des professionnels de santé doit inspirer une réflexion collective sur notre organisation actuelle au moment où il est question de collaboration entre professionnels de santé, de délégations de tâches et de transfert de compétences. La possibilité pour de jeunes français d’aller se former à la médecine dans divers pays européens, puis de revenir exercer la médecine dans leur pays d’origine, doit inspirer une réflexion urgente sur la pertinence d’un numerus clausus national à l’entrée des études médicales et aussi sur la place que la France souhaite occuper dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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Bibliographie



- Comment nos médecins sont-ils formés ? , éditions Les Belles Lettres, 2012





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