dimanche 5 janvier 2014

Valentine Goby


Elle ne sait rien de la distance, ni de la durée du voyage. Arrêts brefs, sans pause, portes ouvertes aussitôt closes dans un fracas de ferraille. De brusques éblouissements, des plaques d’air frais laissent tout juste entrevoir l’alternance du jour et de la nuit, de la nuit et du jour. Trois nuits, quatre jours. A un moment on passe la frontière, forcément…
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Maintenant les quatre cents femmes passent les barrières et entrent dans le camp. Les chiens, les hurlements, les projecteurs. On est où ici, demandent des voix, c’est quoi ce merdier. On frappe, on hurle, on compte, on recompte. Elles traversent une place vide, remontent une allée de bâtisses au cordeau puis sont bouclées, ventres contre ventres contre dos, quatre cents femmes moins les mortes, debout dans une seule salle obscure…
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Chaque nuit répète le jour, le jour traversé deux fois, donc, revécu la nuit, et chaque journée nouvelle semblable à la précédente. C’est à perdre toute notion du temps, de ses ruptures dans le monde du dehors, en dehors du camp, le camp est une journée sans fin qui dure toute la nuit et tous les jours qui suivent, une longue journée sans coutures infectée par des images de mort.
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Le jour du lilas, le 24 avril 1945, j’ai pensé à une amie, à ma sœur de Ravensbrück, Teresa, à qui je dois de vivre. C’est à Teresa que je pense encore alors que je vous parle. Et d’ailleurs regardez, cette branche de lilas blanc, oui, juste derrière vous jeune homme ; regardez-la, qui cogne tout doucement à la fenêtre.

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Bibliographie




- Kinderzimmer, éditions Actes Sud, 2013


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