dimanche 26 janvier 2014

Arnost Lustig



Dans le rapport que Friedrich Brenske, officier de la section secrète, rédigea un peu plus tard pour ses supérieurs à Berlin sur le cas de ces hommes (faits prisonniers en Italie après le 9 juillet 1943, munis jusqu’à la fin de passeports américains et si vilainement reniés par leur propre gouvernement, comme si les généraux et autres hauts dignitaires allemands valaient plus encore que leur pesant d’or), il fit état aussi des détails. Il décrivit le voyage pénible mais, de son point de vue, réussi qu’il entreprit avec eux jusqu’à la mer, à Hambourg, et qui fut pour lui l’occasion d’acquérir de nouvelles expériences précieuses (outre une somme rondelette pour la Banque du Reich) ; il mentionna aussi la mutinerie de Katarzyna Horowitz, insistant sur sa beauté et son air d’ingénuité quasi enfantine pour expliquer la mort et la blessure de cadres de la Waffen-SS : notamment de l’officier Horst Schillinger, mais aussi du jeune Sepp Hoyer, familièrement surnommé « le blanc-bec », qui fut atteint d’une balle en tentant de désarmer la prisonnière ; le danger, écrivit-il, aurait pu se solder par des blessures graves pour une bonne douzaine d’hommes, et le susdit Sepp Hoyer resterait vraisemblablement infirme à vie. Son dernier mot fut cependant pour l’argent encaissé. Point final. Signature. Malgré toute sa culture et la richesse de son expérience, il ne vint pas à l’esprit de M. Brenske que ses supérieurs pourraient trouver une lointaine parenté entre sa propre rencontre avec Katarzyna Horowitz et l’aventure d’une autre femme, entrée dans l’histoire pour avoir décapité un chef d’armée, il est vrai, après l’avoir au préalable enivré. Il était donc tout naturel qu’il n’en fît pas mention dans son rapport. Le texte n’en était pas moins d’une lecture captivante.
M. Friedrich Brenske contempla son œuvre, satisfait de la présentation soignée. Pendant ce temps il fit ouvrir la fenêtre à son adjudant ; le chant du rabbin Dayem de Lodz, plaintif mais indéniablement beau, lui parvint de la salle de séchage proche.
« Pour eux c’est normal et, pour nous, insensé. Ou serait-ce l’inverse ? »
Mais il laissa la question sans réponse.
Et le rabbin Dayem de Lodz se mit à caresser les cheveux de Katarzyna Horowitz, comme une fois déjà, puis aussi ses joues. Sans cesser de lui parler :
« Ô ma toute petite, ma tendre, ma courageuse. Loué soit ton nom, avant même le nom de Dieu. Ô ma vaillante, ma combattante. Que ton nom soit cent fois loué. »
Et après il regarda brûler son corps, dépouillé de la chevelure, et il redit tout dans son chant que ni M. Friedrich Brenske ni son adjudant ni aucun des autres ne comprenait. « Cent fois courageuse, cent fois bonne, mille fois juste, belle mille fois. »

*

Bibliographie




- La danseuse de Varsovie, éditions Galaade, 2012


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