samedi 11 mai 2013

Antonio Damasio


L’homéostasie désigne les réactions physiologiques coordonnées, et en grande partie automatisées, qui sont indispensables au maintien des états internes stables dans un organisme vivant.
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Les émotions font partie intégrante de la régulation que nous appelons homéostasie.
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Lorsque nous sentons qu’une personne est « tendue » ou « à cran », « découragée » ou « enthousiaste », « démoralisée » ou « enjouée », sans qu’on ait invoqué un seul mot pour traduire le moindre de ces états possibles, nous détectons des émotions d’arrière-plan. Nous détectons des émotions d’arrière-plan par de subtils détails dans la posture corporelle, la vitesse et le contour des mouvements, des changements minimes dans la quantité et la vitesse des mouvements oculaires, comme dans le degré de contraction des muscles faciaux.
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Les émotions font partie des dispositifs biorégulateurs dont nous sommes équipés pour survivre.
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La conscience permet aux sentiments d’être connus et promeut ainsi l’impact de l’émotion de façon interne ; elle permet à l’émotion d’imprégner le processus de pensée par l’entremise du sentiment.
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Pour qu’un organisme sache qu’il a un sentiment, il faut ajouter le processus de conscience aux processus d’émotion et de sentiment.
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Le premier usage qu’on peut faire du compte rendu en images de la relation organisme-objet est d’informer l’organisme sur ce qu’il est, en fait, en train de faire ou, pour le formuler différemment, de répondre à une question qui n’a jamais été posée par l’organisme : qu’est-ce qu’il se passe ? Quelle est la relation entre les images des choses et ce corps ? A qui ces choses arrivent-elles ? Le sentiment de connaître est le commencement de la réponse.
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C’est le commencement de la liberté de comprendre une situation.
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La conscience a pour conséquence une vigilance accrue et une attention concentrée, qui, toutes deux, améliorent le traitement de l’image pour certains contenus et peuvent ainsi contribuer à optimiser des réponses immédiates et planifiées.
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C’est peut-être bien parce que l’on s’est mis un jour à raconter une histoire où les mots n’étaient pas encore là que l’on a fini par créer des pièces de théâtre et finalement des livres.
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Le monde de l’inconscient psychanalytique s’enracine au sein des systèmes neuronaux qui forment le support de la mémoire autobiographique ; on considère d’ailleurs généralement que la psychanalyse est une manière de retrouver un réseau de connexions psychologiques entrelacées au sein de la mémoire autobiographique.
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la mémoire autobiographique se développe et mûrit à l’ombre d’une biologie héritée. Mais à l’inverse du Soi-central, de nombreuses facettes du développement et de la maturation de la mémoire autobiographique dépendent de l’environnement et sont même régulés par ce dernier.
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La conscience va au-delà du simple état de veille et de l’attention : elle suppose que l’on ait un sens intérieur de soi dans l’acte même de connaissance.
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Le cortex cingulaire est une structure essentiellement somato-sensorielle chargée de recevoir des informations issues de toutes les parties du système somato-sensoriel. En plus de nombreuses informations sur le milieu interne et les viscères, il reçoit aussi des signaux importants de la partie musculo-squelettique du corps. Mais le cortex cingulaire est aussi une structure motrice impliquée, directement ou indirectement, dans l’exécution d’une grande variété de mouvements complexes (comme les mouvements associés à la vocalisation, les mouvements simples ou coordonnés des membres, les contractions des viscères). Ce n’est pas tout. Il est également clair que le cingulaire joue un rôle dans les processus qui sous-tendent l’attention, l’émotion et la conscience. Cette juxtaposition inusitée de fonctions n’est pas sans rappeler un autre secteur du système nerveux central, soit la partie supérieure du tronc cérébral.
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Des situations de suspension ou de diminution de la conscience, par exemple lors des phases de sommeil à ondes lentes, ou bien d’hypnose, ou encore dans certains cas d’anesthésie, vont de pair avec une réduction de l’activité du cortex cingulaire. En revanche, lors de la phase de sommeil paradoxal et de multiples situations engageant l’attention, l’activité du cortex cingulaire s’intensifie.
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Le fait d’être doté d’émotions et d’attention est intrinsèquement lié au maintien et à la gestion de la vie de l’organisme. Or ce dernier ne peut garantir sa survie et maintenir son équilibre homéostatique sans avoir accès à des informations sur l’état actuel de son corps propre.
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Nous savons que nous éprouvons une émotion quand nous avons à l’esprit le sentiment de soi sentant.
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Le fait de donner une explication scientifique du processus qui nous amène à penser ou faire l’expérience de quelque chose n’a rien à voir avec le fait de penser ou d’éprouver directement cette chose.
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L’idée que la conscience serait un sentiment de connaissance s’accorde avec les résultats que nous avons pu obtenir sur les structures cérébrales qui lui sont les plus étroitement liées. Les structures en question (depuis celles qui sous-tendent le proto-Soi jusqu’à celles qui fondent les cartographies du second ordre) sont toutes chargées de traiter diverses informations en provenance du corps, du milieu interne comme de l’appareil musculo-squelettique. Or ces structures fonctionnent toutes avec le vocabulaire non verbal du sentir.
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De ses humbles débuts à sa grandeur actuelle, la conscience consiste en une révélation, toujours partielle, de l’existence. Elle devient aussi, à un certain stade de son développement et avec l’aide de la mémoire, du raisonnement et du langage, un moyen de modifier l’existence.
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Nous ne pouvons concevoir la différence entre le bien et le mal, et inventer des règles normatives de comportement qu’à partir du moment où nous disposons d’une certaine connaissance de notre propre nature et de celle d’autrui.
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Mieux savoir permet de mieux vivre.
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Les émotions se manifestent sur le théâtre du corps ; les sentiments sur celui de l’esprit.
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L’expérience de la douleur ou du plaisir n’est pas la cause des comportements de douleur ou de plaisir ; elle n’est en aucun cas nécessaire à l’apparition de ces comportements.
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Le but de l’homéostasie est plutôt de créer un état vital qui ne soit pas que neutre, ce que nous autres créatures pensantes privilégiées appelons bien-être.
L’ensemble des processus homéostatiques gouverne à tout instant chaque cellule de notre corps. Ce pouvoir s’exerce selon un dispositif simple : premièrement, quelque chose change dans l’environnement d’un organisme individuel, de façon interne ou externe. Deuxièmement, ce changement a le potentiel d’altérer le cours de la vie de l’organisme. (Il peut constituer une menace pour son intégrité ou bien une occasion de mieux-être). Troisièmement, l’organisme détecte le changement et agit en fonction de lui d’une façon conçue pour créer la situation la plus bénéfique à sa préservation et à son fonctionnement efficient.
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Les organismes peuvent produire des réactions avantageuses donnant de bons résultats sans décider de les produire, et même sans avoir le sentiment du déroulement de ces réactions. Compte tenu de ce qu’est la formation de ces réactions, il est évident que, lorsqu’elles apparaissent, l’organisme connaît pendant une certaine période des états de plus ou moins grand équilibre psychologique.
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Les émotions constituent le moyen naturel pour le cerveau et l’esprit d’évaluer l’environnement à l’intérieur et hors de l’organisme, et de répondre de façon adéquate et adaptée.
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Nous pouvons même moduler notre réponse émotionnelle. En effet, l’un des buts clés de notre développement éducatif est d’interposer une étape d’évaluation non automatique entre les objets causatifs et les réponses émotionnelles.
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Malgré les succès remarquables de la neurobiologie, notre compréhension du cerveau humain est assez incomplète.
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L’esprit conscient des êtres humains, armé d’un soi complexe et s’appuyant sur des aptitudes encore plus grandes de mémoire, de raisonnement et de langage, engendre les instruments de la culture et ouvre la voie à de nouveaux modes d’homéostasie au niveau de la société et de la culture. Faisant un bond extraordinaire, l’homéostasie acquiert ainsi une extension dans l’espace socioculturel.
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L’émergence de la conscience a ouvert la voie à une vie digne d’être vécue.

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Bibliographie


- L’erreur de Descartes, éditions Odile Jacob, 1995
Le sentiment même de soi, éditions Odile Jacob, 1999
Spinoza avait raison, éditions Odile Jacob, 2005
L’autre moi-même, éditions Odile Jacob, 2010


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