samedi 11 février 2012

Pierre Magnan, Laure du bout du monde



L’espérance du bout du monde

A propos de « Laure du bout du monde » de Pierre Magnan, éditions Denoël



Laure a la gracilité du petit gris, la vigueur du sanguin, la rareté du cèpe. Le hasard l’a fait naître au versant sombre de ces Alpes du sud fermées, il y a peu, au monde des humains. La nature n’y laissait guère de place à l’humanité. Il fallait y survivre, coûte que coûte, arracher à la pauvre terre encombrée de caillasses une subsistance aussi maigre que les revenus qu’elle voulait bien procurer. On était loin, en ces temps pas si lointains, de l’idyllique nature et du retour béat à une terre inhospitalière.

Laure a la rareté du poème le plus fin : celui qui se love au cœur de l’être, et l’entraîne loin de la réalité obsédante. Laure est le poème même, qui se tisse en chaque vie, si les yeux du poète savent s’ouvrir à sa présence et en démontrer la saveur.

Laure eut la malchance d’arriver en terre d’ignorance et de bêtise. Mais, comme chacun le sait, le vent finit toujours par tourner, et la chance pointe toujours son nez derrière l’hasardeuse naissance.

Celle de Laure, c’est d’avoir rencontré, en Pierre Magnan, un cœur prêt à l’entendre, à amplifier sa sourde plainte, à en faire jaillir la splendeur d’une vie, le rayon du soleil tant attendu sur ces ubacs froids, prémisses de printemps et de renouveau.

Pierre, ici, signe sans doute son plus beau roman. Il nous livre du cœur même de sa sensibilité, toute sa connaissance d’un pays aveugle et sourd, mais qui s’éveille contre son gré à la lumière, à la variation des couleurs. Pierre nous parle d’un pays, et d’une âme qui en elle-même est porteuse de cette douce révolution que les hommes doivent faire sur eux-mêmes pour découvrir toute la bonté dont ils sont capables.

Laure ne peut laisser personne indifférent : même le plus sourd, le plus aveugle se met à entendre sa complainte. Son amour de la vie rayonne de page en page, nous entraîne aux rives incertaines de l’existence chaotique.

Et, même si la vie se fait dure, que l’homme demeure au fond un loup pour lui-même, que les enfants reproduisent à l’infini le monde borné de leurs parents, se font guerriers, reproduisent les crimes, se repaissent du sang des autres, c’est quand on arrive au fond de ce précipice qu’une lumière surgit, minuscule dans la nuit, précédée d’un troupeau bêlant de terreur dans le noir de l’automne, une infime lumière tenue à bout de bras par une fillette dont le regard clair, d’un coup, vous fait la démonstration qu’une autre humanité est possible.

Laure est cette lumière qui  interrompt nos doutes, nous fait espérer à nouveau, nous transporte loin de l’absurdité du monde.



Assis dans le TGV, revenant vers ces cimes désertiques que j’aime autant que Pierre peut les aimer, une larme se glisse entre mes paupières. Je l’arrête d’un geste furtif, épiant le visage de ceux qui m’entourent. Mon geste est aussi monstrueux que celui dénoncé par Laure. Je saisis un mouchoir en papier au fond de ma poche, essuie la larme suivante. Je m’aperçois alors que ce n’est pas larme de tristesse mais de bonheur vrai, devant la sincérité lue entre les lignes.

Il y a donc un droit de pleurer, de chagrin ou d’amour, de tristesse ou de joie, de peine ou de tendresse. Réprimer ce droit, c’est déjà plonger dans l’absurdité d’un monde amputé de toute sensibilité.

Je l’avoue, du fond de moi-même, une profonde tendresse est venue me submerger à la fermeture du livre. Je suis resté un moment sous le charme, regardant le paysage aride défiler sous mes yeux. Je suis revenu au pays ; je l’ai regardé, et, plein de cette tendresse nouvelle, je crois ne l’avoir jamais aimé aussi fort que ce soir de juillet torride.

Laure est venue me prendre par la main, devant la gare de Manosque, elle n’était plus Laure, elle avait pris les traits de mon fils, un infini bonheur nous envahissait de nous retrouver après quelques jours au loin. Le soleil en ses dernières heures faisait rougir les cimes des collines, une odeur de résine envahissait l’espace.

De retour auprès des miens, je posais l’ouvrage sur ma table pour écrire sans attendre. Mes mots ont fait que le livre n’est pas resté là. D’autres mains tendres sont venues le prendre, d’autres yeux l’ont dévoré, en sont revenus attendris à leur tour.

Je me prends à rêver que cette tendresse, comme la peste et le choléra du passé, vienne contaminer chaque maison, chaque être. Je guette chaque jour, dans les yeux ternes que je croise sur le chemin de mon labeur, les signes de cette contagion.



Xavier Lainé

Manosque, 10 septembre 2006

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Note publiée précédemment sur les sites


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