mercredi 23 octobre 2013

Robert Misrahi



La crise n’est pas dans les choses, elle est dans les esprits.
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La « crise » domine tout et, en même temps, tout est dominé par la recherche du bien-être.
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La substantialité même de la conscience, ce qui fait son existence et son sens, est le désir et le « souhait », le mouvement vers la perfection, la plénitude et l’idéal.
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L’action s’invente à partir de l’imagination d’un monde meilleur et, par conséquent, à partir de l’avenir. Et celui-ci est notre œuvre, loin qu’il soit le résultat nécessaire et mécanique d’un passé qui ne ferait ainsi que se répéter lui-même dans un avenir sans avenir.
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La crise est le moment culminant d’une insatisfaction, d’une contradiction intérieure ou d’une souffrance.
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Le sujet qui s’embarque pour son voyage vers le bonheur, c’est-à-dire vers la plénitude de sa propre réalisation, n’est pas seulement le sujet intellectuel de la connaissance et de la réflexion, c’est aussi le sujet du désir.
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Le combat  pour le bonheur et la liberté ne disparaît pas devant la pensée du déterminisme ; il est au contraire rendu possible par le levée de ces contradictions apparentes entre déterminisme et liberté.
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La conscience n’est ni une chose ni une machine. Elle est « substantielle » par le désir, et consciente par la réflexion.
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Parce que le désir est la substance qualitative de la conscience, il est en même temps la substance de la liberté.
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La philosophie est un couronnement. La joie de fonder sa vie par la compréhension de soi et par la connaissance peut commencer à s’exprimer au contact de ce qu’il est convenu d’appeler la culture.
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Seule la relation concrète à autrui offre à l’individu la pleine justification de son existence et, par conséquent, la réalisation concrète des promesses de la philosophie. La Plénitude et la signification aux quelles aspire le désir d’être ne peuvent trouver leur pleine réalisation que par ces relations vivantes que sont l’amitié, la coopération active ou l’amour.
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Le plaisir limité à l’instant sombre dans l’absurde et l’angoisse. Pour se révéler comme élément de la joie, il doit être lui-même le moment d’une activité, l’un des aspects d’une action plus durable et enveloppante : comme le plaisir d’amour ne prend son sens que par la joie de l’amour et de la relation vive et permanente, le plaisir esthétique ne prend tout son sens qu’à l’intérieur d’une activité durable : pratique d’un art ou contemplation habituelle et durable d’une ou de plusieurs formes d’art.
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Agir est une joie parce que l’action est construction et expression de soi en même temps que communication avec autrui et participation réjouissante à la vie commune de la société.
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C’est par la création que la conscience est en mesure de se réjouir de sa propre activité.
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Toute œuvre n’est pas source de joie, toute action n’est pas œuvre de vie : seules la création et l’action déployées dans la perspective de la joie, c’est-à-dire de la liberté généreuse et de la réciprocité dynamique, peuvent livrer toute leur richesse, c’est-à-dire induire chez leurs auteurs la joie même de l’expression, de la création et de la communication.
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Qu’elle soit scientifique, médicale ou philosophique, qu’elle soit esthétique, littéraire, ou simplement empirique comme dans l’artisanat ou l’industrie, la recherche est aussi, par elle-même, source de joie. Car elle est toujours une sorte de quête. Elle exprime toujours le mouvement même de la conscience vers une plus grande consistance par l’accroissement de son savoir et vers une plus grande liberté par la maîtrise de son avenir.
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Le sujet du bonheur, c’est-à-dire l’individu concret ayant décidé de construire sa vie comme vie heureuse, sur la base de ses activités et de ses expériences substantielles, doit cependant opérer un choix : toutes ces activités ne peuvent être exercées simultanément, toutes ces expériences ne peuvent être vécues dans un seul temps. Certes, la plénitude idéale de l’existence devrait intégrer à la fois la philosophie et l’amour, l’exercice d’un art et la recherche scientifique, la rêverie contemplative et le voyage de découverte, la quête existentielle et l’action politique. Ces activités, ces voies, sont comme les Portes d’or qui conduiraient au Royaume, ou dans les Demeures de l’être.
Mais, si elles ne peuvent être ouvertes ou parcourues simultanément, chacune de ces voies conduit au Domaine, et chacune de ces Portes ouvre sur lui.
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Toutes les Portes d’or ouvrent donc sur l’Etre, et toutes les voies réfléchies conduisent au Domaine. Chacun doit seulement inventer la formule de son alchimie, c’est-à-dire la synthèse originale et singulière des voies qui le conduiront au Domaine, ainsi que l’accord resplendissant de ses Portes. (On aurait donc raison de dire que chacun doit inventer le contenu de son bonheur, à la condition que soit respectée une triple exigence : prise en compte du désir, exercice constant de la réflexion et référence impérieuse à la réciprocité.)
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S’il arrive que certains meurent au seuil du Domaine, ou de la Terre promise, sans y entrer, ce n’est pas que les « Portes de la Loi » soient fermées, c’est que le voyageur a pensé que les Portes ouvertes ne lui étaient pas destinées.
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Pour qu’il parvienne à l’Etre, c’est-à-dire à une forme de l’existence qui mérite d’être désignée par un terme dont le sens implique l’autosuffisance d’une plénitude active (comme c’est le cas pour le verbe être), il faut simplement que le sujet s’avise de sa liberté véritable. Lui-même fait son malheur ou sa joie ; lui-même, entièrement libre et responsable, décide de son mouvement et de son repos, de son inertie ou bien de son dynamisme. C’est que la conscience s’accorde toujours à ce qu’elle croit, c’est-à-dire toujours aussi à ce qu’elle instaure et à ce qu’elle crée.


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Bibliographie



- Le bonheur, essai sur la joie, éditions Cécile Defaut, 2011

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