mercredi 31 août 2011

Charles Baudelaire




Lorsque, par un décret de puissances suprêmes,

Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,

Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes

Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié:

.

"- Ah! que n'ai-je mis bas tout un nœud de vipères,

Plutôt que de nourrir cette dérision!

Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères

Où mon ventre a conçu mon expiation!"

*
Ils marchent devant moi, ces yeux pleins de lumières, Qu'un ange très savant a sans doute aimantés; Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères, Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.
.

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,

Ils conduisent mes pas sur la route du Beau;

Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave;

Tout mon être obéit à ce vibrant flambeau.

.

Charmants yeux, vous brillez de la clarté mystique

Qu'ont les cierges brûlant en plein jour; le soleil
Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique;
.

Ils célébrent la mort, vous chantez le Réveil;

Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,

Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme!

*

LE JOUJOU DU PAUVRE
Je veux donner l’idée d’un divertissement innocent. Il y a si peu d’amusements qui ne soient pas coupables !
Quand vous sortirez le matin avec l’intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites inventions à un sol, — telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l’enclume, le cavalier et son cheval dont la queue est un sifflet, — et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s’agrandir démesurément. D’abord ils n’oseront pas prendre ; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s’enfuiront comme font les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l’homme.

Sur une route, derrière la grille d’un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d’un joli château frappé par le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie.

Le luxe, l’insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu’on les croirait faits d’une autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté.

À côté de lui, gisait sur l’herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d’une robe pourpre, et couvert de plumets et de verroteries. Mais l’enfant ne s’occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu’il regardait :

De l’autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif, fuligineux, un de ces marmots-parias dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme l’œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier, il le nettoyait de la répugnante patine de la misère.

À travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l’enfant pauvre montrait à l’enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c’était un rat vivant ! Les parents, par économie sans doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.

Et les deux enfants se riaient l’un à l’autre fraternellement, avec des dents d’une égale blancheur.

*

Bibliographie

- Petits poëmes en prose (Le spleen de paris), nrf Poésie/Gallimard, 1998

- Les paradis artificiels, Garnier-Flammarion, 1966

- Les fleurs du mal, éditions G. Crès et Cie, Paris, 1930

- Les fleurs du mal - Les épaves, éditions A. Leconte, Paris

- Oeuvres choisies, éditions Librairie Delagrave, Paris, 1929

- L'oeuvre de Charles Baudelaire, Le club français du livre, 1955

1 commentaire:

  1. ce blog est un encouragement à nos propres besoins de vouloir encore et toujours rechercher ou découvrir du beau, dans les textes, les mots!! ils sont là devant nous, dansent, rient, chantent!! et nous font rêver, tout simplement, merci d'exister. Respects. RCC

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