Encore une note de lecture, un peu
ancienne, mais qui garde toute son actualité:
L’acte fondateur du théâtre
À propos de Peter Brook, L’espace vide, Ecrits sur le théâtre, éditions
Points Seuil Essais
Texte publié en février 2004 sur le site
www.e-littérature.net
“Je peux
prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse
cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant
pour que l’acte théâtral soit amorcé”.
Prendre
un espace vide comme il en existe peu, le nommer. Ainsi commence l’acte
théâtral. Ne serait-ce pas nommer aussi l’espace du quotidien, celui dans
lequel chacun joue piètrement son rôle? Non il s’agit bien de cet espace précis
qu’on affublera du nom de “scène”. Il s’agira aussi de quelqu’un qui entre dans
cet espace tandis qu’un autre l’observe. Il y aura la volonté d’entrer dans
l’espace pour l’un et celle de l’observer pour l'autre. L’acte théâtral se
fonde donc dans son intentionnalité: j’entre en scène même pour ne rien vous
dire, et vous êtes venu me voir entrer en scène. Intentionnalité qui nous met
dès lors hors du jeu quotidien dont pourtant je vais m’inspirer pour bâtir mon
entrée en scène.
Parler
ainsi de l’acte fondateur du théâtre, c’est revenir à son essence perdue. Rien
à voir avec le musée de cire d’un théâtre empesé. Le théâtre aujourd’hui ne
fait plus peur, il a perdu de cette essence qui lui faisait sentir le soufre.
Il l’a perdue parce que l’intention n’est plus d’entrer silencieusement en
scène pour y condenser les images du quotidien, les sublimer en quelque sorte,
mais pour y donner à voir ce que l’auteur, resté hors jeu, aurait à nous dire.
Nous avons donc glissé progressivement d’un théâtre corporellement engagé à
celui de la mise en scène. Nous avons glissé d’un théâtre d’acteur, à celui du
metteur en scène qui bien souvent n’apparaît plus sur la scène. Il en est
peut-être ainsi du fait même de la parcellisation des tâches. Au théâtre comme
dans les entreprises, chacun doit rester à sa place, l’acteur s’effaçant devant
son metteur en scène, le théâtre s’effaçant devant son auteur.
“Le
théâtre a souvent été traité de prostituée parce que son art était impur.
Aujourd’hui, cette affirmation est vraie d’un autre point de vue: cette
“putain” se fait payer, mais ne vous en donne pas pour votre argent.”
Glissement, glissement de la putain. De celle qui dérange les bonnes âmes à
celle qui ne dérange plus du moment qu’elle est économiquement rentable. Perte
de substance, le théâtre a perdu de son fard, et perdant son maquillage il a
perdu de sa force à travestir, et dénoncer les travers du monde.
Vidé de
sa substance contestataire, privé de demeurer la putain qui veille, le théâtre,
récupéré par la société qu’il contestait hier, subventionné par elle sur des
bases, louables à l’origine, perverties à l’arrivée, le théâtre donc
n'intéresse plus que la poignée de nostalgiques qui y trouvent l’assurance que
rien ne changera.
“Quiconque
se penche sur les grands succès du théâtre actuel découvre un phénomène très
curieux. On pourrait s’attendre à ce que la pièce qui a le plus de succès soit
aussi la plus brillante, mais il n’en est rien. Dans chaque capitale, il y a
chaque année une pièce qui n’a de succès que parcequ’elle est ennuyeuse. C’est
sans doute qu’on associe la culture à un certain sens du devoir, aux costumes
historiques, et aux longues tirades... Il s’ensuit qu’une bonne dose d’ennui
sert de garantie au spectacle.”
La
culture de l’ennui, voilà la nécessité pour en détourner une majorité. Dès lors
que tout ce qui est un tant soit peu culturel devient ennuyeux, on peut être
certain que la jeunesse en particulier s’en détournera. Gagné pour ses
fossoyeurs, gagné pour la pérennité d’un système qui fait le pari de
l’esclavage sur la liberté. Tandis qu’une minorité huppée de gens riches se
vautrent dans l’ennui, la majorité se drogue devant des écrans bleutés vides de
substance culturelle. Et nous voici de nouveau
devant la reproduction de l’élite avec exclusion forcée de la majorité.
Car le
théâtre pour vivre se doit de demeurer
dans l’éphémère, quelque chose doit se produire qui interpelle le spectateur et
le transforme en témoin, témoin à charge ou à décharge. Quelque chose qui ne
peut le laisser indifférent, qui le rends responsable de ses actes, responsable
de sa passivité, responsable du monde. En ceci, “le théâtre est un art auto
destructeur. Il est écrit sur le sable. Le théâtre réunit chaque soir des gens
différents et il leur parle à travers le comportement des acteurs. Une mise en
scène est établie et doit être reproduite - mais, du jour où elle est fixée,
quelque chose d’invisible commence à mourir.” Ainsi en va-t-il du théâtre comme
de la vie: la vie mobile, le vie en mouvement est une formidable capacité
d’adaptation, une ouverture sur le monde, tandis que la vie immobile, figée,
étriquée, sans âme et sans curiosité n’est que prélude à la mort. En ceci le
théâtre se doit de nous montrer le chemin (ce qu’il fait rarement), en ceci le
théâtre se doit de remuer ses spectateurs, de ne pas les enfoncer dans leur
fauteuil, d’être dérangeant. Ainsi celui qui cherche à sortir le “théâtre
mortel” de son ornière se doit-il d’inventer des mises en scène vivantes qui ne
figent pas le jeu des comédiens dans leurs carcans immuables, et ne collent pas
le spectateur dans l’ennui de son fauteuil.
Car la
difficulté est celle-ci: une fois révélé dans son art, peut-on s’y installer,
mener une “carrière”, sans compromettre sa recherche, sans mettre en péril son
talent créateur? Ou faut-il considérer l’art comme une activité à part, comme
une fulgurance de l’instant, une veine capable de s’éteindre à peine allumée.
S’installer dans la fragilité pour ne pas succomber au conformisme, ne pas se
conformer aux louanges pour surprendre encore le spectateur, lui donner à voir
quelque chose qui le révèle à lui-même. “Faire carrière et progresser sur le
plan artistique ne vont pas toujours de pair”, affirme Peter Brook: c’est
peut-être tout l’art de l’artiste de savoir ne pas s’installer dans son art, de
savoir en sortir pour mieux y revenir. L’art en lui-même ne peut se conformer à
aucune norme imposée, l'artiste est ce perpétuel empêcheur de penser en rond,
c’est pourquoi sa place est si souvent contestée.
Le
théâtre est confronté à cette difficulté supplémentaire que l’objet artistique
présenté n’est pas l'œuvre du seul metteur en scène. Ce que nous voyons arriver
sur la scène vide, c’est la résultante de talents juxtaposés. Le recours à une
mise en scène totalement réglée d’avance est donc une facilité qui évite les
distorsions; il en est de même dans le recours de plus en plus fréquent au
monologue d’acteur. Que devient la créativité collective dans cette
reproduction précise de gestes, d’intonations, quand la mise en scène devient
la reproduction mécanique, soir après soir du même réglage millimétrique?
Etre
comédien dans ces circonstances, ce serait faire un boulot comme un autre, l’art
du comédien y perdrait son âme, et le spectateur sa curiosité. Et c’est ce qui
se produit dans l’esprit du public qui ne cherche plus la nouveauté mais la
reproduction exacte de ce qu’il connaît déjà. Il suffit alors pour l’acteur de
se fier à son talent naturel pour reproduire ce que le public attend de lui.
Or, “se
faire les muscles ne peut, à soi seul, favoriser l’éclosion d’un art. Les
gammes ne font pas un pianiste, pas plus que les exercices du poignet n’aident
le pinceau du peintre. Et pourtant, tout grand pianiste fait des exercices
plusieurs fois par jour, et les peintres japonais s’exercent toute leur vie à
réussir un beau cercle. L’art du théâtre est, d’une certaine façon, le plus
astreignant de tous, et sans une éducation constante, l’acteur ne pourra faire
que la moitié du chemin.” Etre acteur, c’est donc sans cesse remettre en
question son art, entrer à l’écoute de soi pour mieux comprendre les gestes qui
font le quotidien des autres. Car c’est à la fois par l’observation constante
de lui-même et du monde qui l’entoure que le comédien pourra entrer en
communication avec son public, entrer dans ce jeu qui fonde l'œuvre collective
sans répétition ennuyeuse de la même mise en scène. Celle-ci n’est plus alors
que la partition dont l'interprétation, soir après soir est laissée à l’art du
comédien. Ce théâtre sans cesse renouvelé sort alors de l’ennui, et vient nous
réveiller à notre conscience d'appartenir à la communauté des hommes, et à
notre responsabilité.
Ce
théâtre là nous tire vers le sacré, nous fait grandir dans cette conscience que
“comprendre, comprendre la visibilité de l’invisible est l'œuvre d’une vie”. Ce
théâtre nous fait grandir collectivement, nous pousse dans ces retraits non
verbaux de nous-mêmes où siègent nos émotions. Nous invitant à l’évasion, sans
pour autant perdre le contact avec notre réalité. Il nous tire hors du champ du
réel pour mieux nous y ramener. Distance nécessaire pour la compréhension de ce
qui nous entoure, nécessaire à l’accomplissement de notre humanité.
“Nous
pouvons capter l’invisible mais nous ne devons pas perdre contact avec le bon
sens”, nous précise Peter Brook. Et c’est dans cet aller-retour du sacré à la
réalité que le champ de notre perception tend à s’élargir. Il tend à le faire
pour nous faire comprendre que nous ne pouvons pas tout comprendre, tout
saisir, tout ranger sous la coupe de notre raison: “Nous devons admettre que
nous ne verrons jamais l'invisible dans son entier. Donc, après avoir tenté à
toute force de l’atteindre, nous devons reconnaître notre défaite, revenir sur
terre et recommencer l'ascension.”
L’invisible,
nous faisons chaque jour comme s’il n’existait pas. Et s’il n’était des œuvres
d’art, des musiques, des danses, pour nous le rappeler, nous sombrerions
rapidement dans l’illusion de notre matérialité. Nous avons donc besoin de
l’art comme de l’air que nous respirons; le théâtre, s’il fut une somptueuse
découverte du monde hellénique fut vraisemblablement précédé d’autres oralités,
de jeux capables de mettre en contact les humains que nous sommes avec
l’invisible. Retirer à l’art de la scène son rapport à cette constante, c’est
en soustraire l’humanité fondatrice. L’art consiste donc à faire jaillir sur la
scène cette émotion des origines. Ce n’est possible qu’à la condition d’aller à
l’essentiel: le lien invisible de nos émotions. “Soustraire et mettre à nu ne
peut se faire qu’à la lumière d’une constante”, nous dit Peter Brook:
soustraire ce qui ne fait que nous ramener à la banalité, mettre à nu le
ressort de notre humanité, entrer dans la lumière de l’art pour y discerner la
constante qui sous-tend notre conscience d’être humains et du rôle qui nous
incombe depuis la nuit des temps.
Ainsi
donc devons-nous, sur la scène, voir surgir ce qui nous relie au sacré, ce qui
nous relie à l’état brut de notre humanité, à ce questionnement permanent quant
à nos origines, à la naissance de notre conscience, aux raisons de notre
existence. Le théâtre est ce lieu par excellence où tout se noue, où notre
visage prend figure d’authenticité. La perte irréparable que constitue la
désertion, par une majorité de la population des lieux de la représentation,
est sans doute le plus grand coup porté à notre humanité. Car la lucarne
bleutée devant laquelle chacun se réfugie ne peut remplacer l’émotion collective
qui nous relie à nos origines. Pour peupler notre imaginaire, nous fonder dans
notre humanité pensante et pensée, il nous est nécessaire de laisser entrer
l’invisible, l’illogique, l’émotion pure de toute conceptualisation.
On voit
aujourd’hui une certaine dictature de la pensée, contester au nom de la raison
pure, le flot émotionnel constructeur. Tout devrait être régenté par la raison,
tout se devrait d’être prévisible, rien ne doit être livré au hasard. On
constate à quel degré de violence quotidienne nous livre cette idéologie
rationaliste: à l'absence de pensée pour la majorité d’entre nous, à la perte
de notre autonomie, à la distanciation de notre humanité.
Ecoutons
donc ce qu’ont à nous dire ceux qui viennent de cet espace vide, traversé d’émotions
qu’est la scène. Ecoutons donc: “le moment où l’illogique pénètre notre
compréhension habituelle nous fait ouvrir plus grand nos yeux”. Ouvrant plus
grand les yeux, c’est notre perception du monde, de nous-mêmes et des autres
qui s’en trouve changée. Nous ne pouvons plus alors nier notre responsabilité
d’être humain incorporé, nous ne pouvons plus fuir celle-ci, nous devons
revenir à ce qui nous fonde, hors des champs étroits de la raison absolue.
Le
retour au théâtre, à cette oralité collective partagée entre l’acteur et le
spectateur est une impérative nécessité si nous ne voulons pas quitter
définitivement notre statut d’humanité. Se pencher sur le théâtre, comme
d'ailleurs sur la place de tout acte créateur, artistique en particulier, dans la
cité moderne; réfléchir au statut, aux moyens nécessaires à mettre en œuvre
pour que le penseur, le créateur trouvent leur place dans la société
contemporaine, voilà la tâche, la noble tâche que nous devrions nous assigner,
tandis que nous nous dispersons, nous nous contraignons en vaines psalmodies
économiques. “Quiconque est intéressé par le fonctionnement du monde naturel
tirerait profit de l’étude des conditions du travail théâtral. Les découvertes
qu’on y ferait seraient bien plus applicables à la société en général que
l’étude des abeilles ou des fourmis”. S’ouvrir au monde, c’est savoir s’en
retirer, prendre la distance nécessaire, les poètes le savent qui pratiquent
cet art subtil: le théâtre, comme la poésie, nous offre le recul dont nous
avons besoin, mais, contrairement à l’acte poétique, il nous met en lien, car
l’émotion vécue dans la salle est une émotion partagée collectivement.
Retrouver le sens de ce partage, ce serait revenir à la poétique de nos
origines. Renouer avec la poétique de la langue, c’est nous reconnaître dans
notre humanité. Sortons donc la langue de la gangue des livres, confrontons le
texte à son oralité, soumettons nos écritures à la vérité sans fard de l’espace
scénique, vérifions la validité de nos langues à la réaction d’un auditoire
attentif, croyons donc en l’intelligence du public. Soumise à cette épreuve, la
littérature serait-elle ce qu’elle est en passe de devenir: le parent pauvre
éditorial, l’exclue sur le tamis de la rentabilité, l’apanage de
l’intelligentsia auto-proclamée?
Revalorisation
donc de l’écrit confronté à son oralité, mais aussi revalorisation du travail
du comédien. Car la vérité du texte n’existe qu’à travers la vérité de
l’acteur. “Pendant certaines périodes de l’histoire du théâtre”, nous dit Peter
Brook, “le travail de l’acteur était fondé sur des gestes et des expressions
conventionnels, sur toute une panoplie d’attitudes figées que nous rejetons
aujourd’hui. Mais la liberté dont disposent les acteurs qui suivent la méthode
de Stanislavski et qui peuvent choisir ce qui leur semble bon dans les gestes
de la vie courante offre un champ d’action tout aussi restreint. En fondant ses
gestes sur l’observation ou sur sa propre spontanéité, l’acteur ne fait appel à
aucune créativité réelle. Il ne trouve en lui-même qu’un alphabet fossilisé,
car le langage qu’il pratique dans sa vie quotidienne n’est pas forcément celui
de l’invention, mais celui de sa propre aliénation. Les comportements qu’il
observe chez autrui sont souvent des projections de lui-même. Ce qu’il croit
spontané a été en fait, trié et programmé.”
Revenir
à l’acteur, à l’acteur comme être de chair, et d’émotions, lui donner le temps,
les moyens de se construire son intériorité pour devenir cet instrument vibrant
donnant corps à la littérature. Y a-t-il une méthode, une voie royale qui fasse
du comédien ce passeur de vie à travers les mots? Des méthodes existent, non
spécifiques aux acteurs, qui nous invitent à ce travail sur notre intériorité,
elles ont des noms: Matthias Alexander, Gerda Alexander, Moshé Feldenkrais. On
sait combien Peter Brook lui-même fut curieux de ces recherches qui fondent
l’homme en lui-même, non par une approche réductionniste ou déterministe de
l’homme à son vécu corporel, mais réellement par le vécu ressenti de ce qu’est
notre être somatique.
C’est
sans doute dans ce sens qu’il invite l’acteur à cultiver son jardin: “Un
acteur, comme tout artiste, est semblable à un jardin: on ne peut pas le
désherber une fois pour toutes; les mauvaises herbes ne cessent de croître et
il faut les arracher sans cesse, ce qui est naturel et nécessaire.” Arracher la
mauvaise herbe nécessite d’avoir conscience de sa présence. On est loin du rôle
infatué du comédien, sûr de son art , installé dans un rôle taillé pour lui que
nous présente un peu trop souvent la scène des théâtres officiels.
On
rejoint sans doute ici une préoccupation commune à d’autres chercheurs sur
cette voie étroite d’une véritable re-création du théâtre contemporain (je
pense en particulier à Edward Bond dont j’ai déjà commenté la “Compagnie des
hommes”).
Plongeant
en lui-même avec la plus grande virtuosité, le comédien entre en contact avec
cette réalité invisible, impalpable car tissée dans la partie non verbale de
nous-mêmes. C’est cet interface variable et inconstant qu’il est invité à
découvrir, interface entre ce qui paraît et ce qui est, entre une histoire et
un comportement, entre ce qui est vu et ce qui se fonde. Essence de notre
humanité donc, qu’il faut sans cesse redécouvrir pour s’engager dans la vérité
du texte mis en scène. Les musiciens connaissent cet accès à l’invisible, car,
nous dit Peter Brook, “la musique est un langage en liaison avec l’invisible,
grâce auquel le néant est présent, tout à coup, sous une forme invisible, mais
que l’on pourra certainement percevoir”.
Tout
artiste au fond est confronté à cette mise en abîme de lui-même, c’est ce qui
fait la force de l'œuvre que cette plongée dans la trame de notre humanité.
C’est aussi ce qui permet à l’émotion fondatrice de toute nos expressions, de
tout notre vécu psycho-cognitif, de s’exprimer au dehors. C’est peut-être pour
cette raison que des hommes, nos lointains ancêtres, se donnèrent un jour la
parole, prirent langue pour donner corps à l'impalpable.
Car ce
qui nous fait prendre voix, parole, langage, c’est cette intensité émotionnelle
qui guide nos actes les plus ordinaires. Ce qui fait la force d’une œuvre,
aussi simple que des pieds et des mains imprimés dans la glaise d’une caverne,
c’est justement notre contact immédiat avec cette intensité émotionnelle.
L’épreuve physique de l’acteur, confronté à sa propre vérité émotionnelle,
véhicule de l'émotion d’un texte dont il n’est pas l’auteur, ne peut trouver de
réparation que dans cette réconciliation avec lui-même: mieux connaître son
centre pour mieux en sortir, être plus lui-même pour mieux donner vie à cet
autre qu’est le personnage qu’il incarne. L’acteur se doit de puiser au
réceptacle infini de sa vie émotionnelle. “Il est sain pour un acteur, soumis à
une activité physique intense, de ressentir des émotions intenses”, nous dit
Peter Brook. C’est sans doute dans le théâtre immédiat que vit le spectateur,
ce qui se noue de plus intime, de plus subtil dans cet espace vide qu’est
l’espace théâtral.
Tout se
résume en somme par cette aphorisme savoureux mais ô combien vibrant de toute
notre réalité humaine: “Au théâtre, on écrit sur une ardoise qu’on peut
toujours effacer”. Sans doute est-ce pour cette raison qu’il est advenu, car
enfin l’homme créait un lieu où l’émotion pouvait être gommée, effacée, puis
reprise et ajustée à l'intensité de chaque jour, la vie étant le fil, la
mémoire vibrante de ce qui ne s’efface jamais.
Xavier Lainé
La Burlière
Ferrage de Guilhempierre
Manosque
Janvier
- février 2004
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