mercredi 23 mai 2012

Gérard Arseguel, Le journal du bord de terre


Le poète, assis, jambes pendantes au bord du monde

À propos de Gérard Arseguel, Le journal du bord de terre, éditions Virgile, collection Ulysse fin de siècle.

On connaissait l'art des surréalistes qui consistait en coupures de phrases dans les grands quotidiens, en leur mélange au creux de leur chapeau et en réécritures ésotériques liées au hasard de la résurgence de ce vocabulaire emprunté.

Gérard Arseguel plonge avec délice dans ces jeux. Avec des yeux acérés il décortique la presse locale, il y détecte le verbe savoureux, y cherche avec ardeur le bon mot et la métaphore subtile. Il s'ensuit un déluge de rapprochements étranges, comme étrangers à eux-mêmes, rendus aux antipodes de leur origine.

Gérard Arseguel joue avec dextérité, son poème prend une étrange résonance en ces lieux où rien ne parvient plus du monde que les pauvres piges de journaux en creux. Il nous démontre par la même occasion combien la pauvreté de ces lieux en marges du monde, l'immobilisme de la pensée qui domine la préoccupation de leurs autochtone, rend vaine toute élévation de l'esprit. La banalité des phrases piégées ici et là au gré des saisons nous laisse entrevoir cette vie des confins, cette vie des bords du monde que rien ne vient atteindre ou toucher tant le temps s'est définitivement arrêté, la vie suspendue devant le vide de l'existence.

Rien n'existe plus au fond en ces espaces qui se veulent préservés mais qui, au nom de la sauvegarde d'une nature paisible, en oublient le monde, ou font comme s'il n'existait pas.

Et c'est dans les longues heures de l'hiver que la lecture du journal demeure cet éphémère lien avec le monde extérieur. Les courtes journées, la nuit qui désertifie le pays dès les dernières heures de l'après-midi, les volets qui se ferment sur une vie de reclus, apeurés, terrifiés, soupçonneux, craintifs: ne pas ouvrir la porte, ne pas sortir de crainte de..., ne pas adresser la parole au voisin au cas ou...

D'octobre à janvier ne restent que des phrases anodines comme réminiscence d'être ou d'avoir été. On imagine volontiers la terre autour se déchirant dans d'ultimes convulsions, tandis qu'en un lieu isolé, des êtres ignorants de tout croiraient au privilège de vivre hors de portée de la violence qui s'exprime au grand jour à deux pas de chez eux.

Le collage nous parle de voyages et de belote, de sangliers et de sortie des pompiers. Le collage nous sert le petit monde de ces villages fantômes que nulle âme ne vient animer au fond de leur hiver. Le collage nous met devant la misère et l'indigence du quotidien. Et c'est une révélation qui nous emporte jusqu'à ce bord de terre, ce lieu mythique habité par le poète et qui vibre à l'unisson de cette misère ordinaire.

L'aphorisme entre alors en jeu comme le journal le plus subtil qui puisse dire l'immobilité de ces lieux.

"Au bord de rien, la feuille du figuier,

de l'air, de la tendre aphasie."

Le poète s'assoit au bord de la terre, il balance ses jambes dans le vide de l'existence, d'une phrase il vient nous chuchoter la vanité de nos quêtes, de nos batailles pour l'acquisition de biens éphémères.

Il nous entraîne avec une infinie tendresse dans le frémissement d'une terre pacifique quand les hommes veulent bien lui laisser la parole :

"Le roitelet sous l'auvent. Il pèse moins  

que la gauloise que j'allume, en le regardant.

Insaisissables oiseaux, mes amis."

On se laisse donc aller au fil de ce temps immobile, de cette terre qui ne laisse rien entrevoir après elle. On se laisse aller au silence et à la vanité de toute parole.

Gérard Arseguel a tenu son pari, il nous a démontré que l'isolement n'est pas inéluctablement une fuite, si les yeux, les oreilles et nos sens savent rester en éveil et vibrer au doux son de la terre qui nous porte et nous emporte dans sa folle course universelle.

Xavier Lainé

Manosque, La Burlière, Ferrages de Guilhempierre

26 juin 2004
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Un temps où chaque livre lu avait droit à son article, publié ici :

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