mardi 15 mai 2012

Michèle Desbordes, La robe bleue


Lorsque Camille rencontre son frère, célèbre diplomate et écrivain, elle rêve encore de sortir de l'hôpital où elle fut enfermée. Alors, elle enfile sa plus belle robe, sa robe bleue et elle attend...

Les passionnés de l'art de Camille Claudel liront et reliront avec délice cet ouvrage dont la note de lecture est publiée ici:


La cinquième rencontre
À propos de Michèle Desbordes, La robe bleue, éditions Verdier.
Note publiée sur le site www.e-littérature.net le 16 juin 2004. 

Je rencontrai Camille Claudel. Ce fut pour la première fois et comme un choc violent avec l’emprise de la création. Ce fut au détour d’un film sous les traits d’une Adjani plus vraie que nature.  

Je rencontrai Camille Claudel, mais ce fut bien avant le film, car sans le savoir j’allai, les jours de beau temps, lire dans les jardins de la maison Rodin. Il y avait chez cet homme une puissance à couper le souffle. Mais sans doute celle-ci ne trouva-t-elle son essor qu’à la naissance d’une rencontre, et de l’amour violent, fusionnel qu’engendra son élève. 

Je rencontrai Camille Claudel entre les lignes d’Anne Delbée. J’entrai de plein pied dans l’aventure artistique d’une vie. Je ne pouvais détacher mon regard de ce foisonnement qui m’emportait loin de moi-même, dans une existence où le rêve empiète sur la réalité, où l’amour se fait volcan d’où jaillissent des formes toutes plus pures, toutes plus imposantes. 

Je rencontrai Camille Claudel. Promenant mes pas sous la galerie lumineuse du Musée d’Orsay. Il faisait beau ce jour là, le soleil m’accompagnait. Sous la verrière je m’arrêtais: un rayon ardent venait frapper de plein fouet une toute petite sculpture presque transparente. Je m’asseyais un long moment à observer ces femmes causant dans cette tendre lumière. Je regardais plus tard le nom de l'œuvre qui me captivait ainsi: “Les causeuses” de Camille Claudel.

Je ne me souviens plus très bien si cet épisode précède le film ou lui succède. Je ne me souviens plus que de l’étonnante présence de ces petits personnages.

Plus tard, bien plus tard, le regard rivé sur mon écran informatique, je reprendrai ma course dans ce musée de rêve à la recherche de ces causeuses, sans les retrouver. Je ne les ai jamais revues. Elles hantent pourtant mon souvenir.  

2004, un livre me parvient. Il paraît qu’il fait partie des ouvrages sélectionnés pour le livre inter. Un livre de concours en quelque sorte, un livre de concours de circonstance. On me le prête et je lis. Je lis des phrases proustiennes dans leur construction: des phrases à n’en plus finir et dont il faut se dégager avant de perdre le souffle. Je lis...

Je lis et je me laisse prendre par la chaise et par l’image de Camille, de ma flamboyante Camille attendant en vain le retour du frère, et qui se souvient de sa grandeur et de sa déchéance. Difficile d’être femme et sculpteur quand le siècle n’a pas encore tourné. Mais serait-ce plus facile aujourd’hui que toute œuvre de l’esprit se doit de plier sous le joug des marchands? 

Je lis et finalement passe du scepticisme et du doute à la tendre rêverie. Michèle Desbordes a su me prendre par le regard et m’entraîner dans son dédale impressionniste. Car il ne reste au bout du compte qu’une impression: celle de ce formidable gâchis d’un vie passée à l’ombre de la grandeur de Paul. Impression de gâchis et profonde respiration poétique qui nous entraîne, de la chaise aux souvenirs, de la passion à l’obscurité de l’enfermement. Une prose peut ainsi côtoyer sans dommage le discours poétique, le roman y gagne en sensibilité. L’impression d’ensemble naît de cette rencontre entre le romanesque et la poésie. C’est l’âme de Camille qui nous guide au long de ces pages. C’est heureux.

Car il ne restera aucune trace d’elle, sinon ses œuvres éparpillées de son vivant, murées dans le silence pesant des conventions. De Camille il ne restera pas même la trace d’un squelette, la fosse où elle reposait ayant été vendue.

Rien sinon ce rêve de l’absolu créatif, d’un vie perdue dans la flamme de l’amour et de l’art. Une vie brûlée sans modération à l’ombre des grands hommes: de Rodin et de Paul, on parle, de Camille, on murmure. Rien ne pourra jamais réparer l’outrage à l’art sublime de la grande dame qu’elle fut. 

Je retourne au musée d’Orsay, j’y cherche la trace de mes rêves; je cherche en vain le film; je plonge chez Anne Delbée pour mieux me souvenir: où donc a été se promener Michèle Desbordes? On flaire ici et là mon ouvrage de référence, on sent que le film n’est pas loin, que des correspondances ont été amoureusement épluchées, mais rien n’est dit des sources. Dommage: il n’y a pas de honte à se documenter pour faire œuvre littéraire. Il n’y a pas de honte à cette modestie. 

Je retourne en mes rêves, je remercie le Musée Rodin pour mes errances étudiantes, Isabelle Adjani pour sa poignante interprétation, Anne Delbée d’avoir alimenté ma rêverie, le musée d'Orsay pour le rayon de soleil sur les causeuses. Je remercie enfin Michèle Desbordes d’avoir rouvert la porte des songes. Un instant, c’est Camille elle-même suivie de Paul qui pénétrèrent dans mon antre littéraire. 

Xavier Lainé
La Burlière
Ferrages de Guilhempierre
Manosque
31 mai - 5 juin 2004

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