"La vie est un voyage"
à propos de Claude Albarède, Ajours,
éditions L'arbre à Paroles, collection traverses.
éditions L'arbre à Paroles, collection traverses.
C'est toujours un plaisir d'ouvrir
un ouvrage de L'arbre à paroles, c'est toujours un plaisir pour la qualité du
papier, pour la relation charnelle qui s'établit d'entrée avec le livre.
C'est un plaisir admiratif aussi du
courage de publier autant, et de la poésie de surcroît. Car il en faut du
courage sur ce territoire inutile, et pourtant aussi nécessaire que l'air que
l'on respire.
C'est un plaisir enfin par les
découvertes que l'on fait à l'ouverture de la boîte aux lettres, et de
l'enveloppe qu'elle contient.
On découvre par exemple Claude
Albarède. On le découvre alors qu'il n'en est pas à son coup d'essai, mais
comment savoir ce qu'un poète publie quand ses ouvrages ne sont quasiment pas
diffusés, que la plupart des libraires ignorent un genre littéraire bien plus
durable que la littérature people en vogue sur le PAF.
On ouvre Claude Albarède, on glisse
de page en page avec légèreté, l'œil se fait complice de ses errances poétiques
au creux de vallons ensoleillés. Car la poésie jaillit aussi de la contemplation
naturelle des choses. Le poète est d'abord cet être contemplatif qui se laisse
traverser par une ambiance, une chaleur ou l'ombre de la nuit. Le poète est cet
être dont la chair frémit de chaque seconde passée au chevet du monde.
Et, lorsque sa plume affleure la
page, c'est toute la responsabilité du monde qui le porte à écrire. Toute sa
complexité aussi qui prend langue au détour des mots.
Claude Albarède nous invite non à le
suivre dans un chant à la suavité bucolique, mais à lui emboîter le pas en ses
cheminements diurnes et nocturnes. Il nous invite chez lui avec cette chaleur
méditerranéenne qui fleure le pays sec, la lumière éclatante et la douceur
fraîche de la nuit. Douceur propice aux songes, aux rêves et aux muses.
L'écriture se fait saisonnière, on
reste étonnés d'une telle légèreté. Mais sans doute est-ce pure philosophie que
de détecter la caresse d'une aile dans un monde qui ploie sous le fardeau de
l'immonde. Sans doute est-ce nécessité de proclamer en cet espace de mots, l'impérieux
besoin de s'inventer des respirations pour ne pas sombrer.
Le poète est celui qui nous montre
la respiration sur la partition de la vie. Il est celui qui nous prend la main
et nous dit: "Vois, c'est ici que tu souffles un peu avant de reprendre
ton chant".
"Aux lisières perdues
sans partitions et sans errances
on a parfois dans l'herbe
une impression d'été
un cœur de vieille souche
où s'agenouille
l'amadou."
Le poème se fait alors
prédicateur d'un avenir autre, un avenir dégagé de toutes vicissitudes
quotidiennes, un avenir libre de contraintes, léger comme l'aile des anges qui
peuplent tant et tant de nos nuits poétiques. Le poème est un égarement dans le
monde tangible, son anachronisme nous mène au bout de l'humain, si extrémité il
peut y avoir dans l'adaptation sans fin de notre espèce qui doute.
"Il attend l'avenir
ce rêveur solitaire
qui lustre les objets
balaie devant sa porte"
Il attend l'avenir et le
prépare aussi. Il en fait ce que le monde refuse de devenir, il lui confère une
raison d'exister qui détourne nos pas de la course suicidaire. Il nous fait
nous asseoir au bord du gouffre pour observer la divine grandeur de l'horizon
quand tous se précipitent dans le vide.
C'est un hymne d'espoir
et d'amour, une musique retrouvée que l'on croyait perdue. Le poème se fait
guide pour nos pas égarés.
"Quand la lumière s'accroît
par le poème
la page peu à peu
redevient blanche."
C'est un rempart aussi
contre l'usure du temps. C'est une digue dressée contre la marée qui nous
submerge et nous empêche de voir. Car pour ouvrir notre cœur à la sensibilité
du monde, il nous faut voir avec lucidité où nous mettons nos pieds. Il nous
faut vaincre l'usure du temps. L'écriture n'est-elle pas au fond cette bouée
qui nous sauve depuis la nuit des temps?
"L'usure est une trace une
écriture
qui peu à peu
pourrait percer".
C'est en même temps
prendre pour acquise la fragilité de l'existence; c'est sentir la précarité de
notre passage, l'éphémère de ce que nous sommes. C'est aborder aux rivages de
l'humilité quand la prétention mène le monde ; revenir à la terre berceau de notre
incarnation temporaire ; traverser, se laisser traverser par le soupir des
vents, s'assimiler à eux pour goûter davantage la précarité de notre être.
"Quoi traverser ?
La vie est un voyage.
Qui n'a qu'un bord."
Voyage, voyage qui nous
mène d'une rive à l'autre sans jamais trouver le bord. Nous voici portés,
emportés au-delà des mots par le silence d'une vague, par le calme de la nuit
qui borde nos souvenirs. Le poème se fait chant, davantage chant pour bercer
encore d'un somptueux espoir le jardin de nos rêves. C'est douceur dans
l'âpreté de nos trajectoires. C'est lumière dans le placard sombre de nos
erreurs.
"L'espoir c'est la racine
qui fourrage dans l'erreur."
Il nous faut enfin
revenir à ce qui nous est essentiel, ne pas emboîter le pas de nos égarements,
goûter au détour du poème ce qui nous donnerait le goût de vivre et de
survivre, simplement, pour une chose aussi inutile qu'une douce poésie.
"Asseyons-nous contre la lampe
pour décider de choses simples:
de la beauté qui se dérobe
de la raison bouleversée
de l'espérance à l'aveuglette
frôlant des roses
Pour décider de choses sûres:
le chant de l'aube dans les
buissons."
Le poème est cet acte
définitif sans lequel nous ne saurions survivre.
Xavier Lainé
La Burlière, Ferrages de Guilhempierre,
Manosque
29 avril 2004
La Burlière, Ferrages de Guilhempierre,
Manosque
29 avril 2004
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Note précédemment publiée sur Littérature.net :
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