A
propos de Georges Didi-Huberman, Ecorces, éditions de Minuit
C’est un tout petit
livre mais si grand qu’il en brille par sa beauté.
Lire les traces, les
empreintes, voir par delà ce qui peut être vu, dans l’insignifiance de
photographies prises sans volonté de montrer.
Mais voilà que
remontent les souvenirs, dans cette archéologie de l’histoire si récente
qu’elle nous en fait encore frémir.
Les camps d’hier
devenus musées, lieux de passage pour touristes, pèlerins et voyeurs, et lui,
qui vient, après de longues hésitations, boire à cette source encore brûlante.
L’histoire se lit tôt,
dans l’aube où le blanc des écorces de bouleau, sous la caresse du vent, parle
de ceux-là qui ne sont plus.
L’histoire se lit entre
deux rangées de barbelés, où se pose un oiseau, une rangée historique, une
autre pour canaliser les flots qui,
année après année, viennent ici, mais pourquoi encore ?
La mémoire lue en
griffes amères sur des sols délavés par le temps : le crématoire ne fume
plus que dans les mémoires écorchées, sur des images clandestines volées aux
bourreaux, où dans cette terre de Birkenau qui à chaque pluie libère ses
esquilles d’os, ou au fond de ce marais de terre noire où furent plongées les
cendres encore chaudes.
Georges Didi-Huberman
est revenu où les siens ont disparu à jamais. Il n’en tire aucune amertume, il
prend quelques photographies et tente d’y décrypter ce qui dans l’invisible
fait sens.
« On
ne peut donc jamais dire : il n’y a rien à voir, il n’y a plus rien à
voir. Pour savoir douter de ce que l’on voit, il faut savoir voir encore, voir
malgré tout. Malgré la destruction, l’effacement de toute chose. Il faut savoir
regarder comme regarde un archéologue. »
L’œuvre qu’il en
rapporte est si fine et si fragile qu’elle nous en tirerait les larmes.
Il nous aide à lire
dans l’écorce du temps ce qui se déchire aux lambeaux de nos pensées, ce qui se
dilue dans la fièvre d’un temps qui nie l’importance de l’histoire et se voue
au commerce des souvenirs.
Ce qu’il nous invite à
lire, dépasse le récit, est au-delà de ces mots, se cache derrière l’écorce du
temps.
« L’écorce
n’est pas moins vraie que le tronc. C’est même par l’écorce que l’arbre, si
j’ose dire, s’exprime. En tous cas se présente à nous. Apparaît d’apparition et
pas seulement d’apparence. L’écorce est
irrégulière, discontinue, accidentée. Ici elle tient à l’arbre, là elle se
défait et tombe entre nos mains. Elle est l’impureté qui vient des choses
mêmes. Elle dit l’impureté – la contingence, la variété, l’exubérance, la
relativité – de toute chose. Elle se tient quelque part dans l’interface d’une
apparence fugitive et d’une inscription survivante. Ou bien elle désigne,
précisément, l’apparence inscrite, la fugitivité survivante de nos propres décisions
de vie, de nos expériences subies ou agies. »
C’est un petit livre à
ranger aux côtés de plus grands : « Si
c’était un homme » de Primo Levi ou « Etre sans destin » de Imre Kertész, sinon que ceux-là
furent des témoins, et Georges Didi-Huberman un archéologue du temps présent.
Xavier
Lainé
Manosque,
17 décembre 2011
Cette note de lecture a été publiée, le 17 décembre 2011, ici : http://www.e-litterature.net/publier3/spip/spip.php?page=article5&id_article=89
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