Drôle
de goût pour une étrange rencontre
A
propos de « La synthèse du camphre », d’Arthur Dreyfus, publié chez
Gallimard
Je ne devrai rien dire,
rien écrire, tant la peur s’installe de blesser, d’enfreindre la sacro-sainte
loi qui s’impose de respecter par le silence les livres incompris.
Arthur Dreyfus nous a
fait l’honneur de venir hanter les rues manosquines, lors des dernières
« Correspondances ».
Je n’avais guère
apprécié sa prestation, avais commis le crime de l’écrire. Il s’en est suivi un
bref échange téléphonique, puisqu’il avait pris la peine de me joindre. Nous
devions nous revoir. Il est parti glaner un prix sous d’autres cieux, sans que
nous puissions échanger vraiment.
J’eus beau affirmer
qu’on ne critique que ce qu’on aime, l’échange s’en est arrêté là.
Mais j’ai pris la peine
de lire avec attention son roman. Si j’y reviens c’est pour dire toute mon
incompréhension.
Mon incompréhension,
mais aussi mon attirance : car se profile derrière l’ouvrage une plume
encore malhabile.
Ce serait mensonge de
dire que je n’ai pas aimé. Ce serait même erreur que d’affirmer que je fus
transporté.
Je suis simplement
resté dubitatif. Car je n’ai pas bien compris le croisement de ces deux
histoires. Même si, à la fin, il s’éclaire (bien qu’il ne soit pas impossible
de saisir dès le début les filiations internes au roman).
Mais voilà :
autant je me suis laissé transporter par le drame de Félix et de son frère
Victor, déportés, et de cette difficulté si fréquente à relater ce qui fut de
leur vie, au seuil de la mort latente ; autant la pauvre histoire de ces
deux êtres qui se découvrent dans leur amour homosexuel par mail interposés,
pour finalement laisser supposer à une somptueuse manipulation d’un obsédé
comme il en erre tant sur cette toile incontrôlable (et dont je ne souhaite
absolument pas le contrôle absolu), m’a laissé dubitatif.
Quel rapport entre
l’atrocité des camps et cette frivolité qui agite le microcosme mondial ?
Me voilà donc,
contraint par cette brève conversation téléphonique d’exprimer mes doutes. Non
pour salir ou démolir, mais pour m’interroger : jusqu’où peut-on mélanger
les genres ?
L’histoire de Félix a
la force de l’indicible. Celle d’Ernest sonne faux d’un bout à l’autre, car
elle ponctue la première d’une question permanente : quel rapport entre
l’une et l’autre ?
Je suis resté sur ma
faim. Je suis resté dans mes doutes, mes incompréhensions. Arthur Dreyfus m’en
voudra-t-il cette expression, ce bémol mis aux prétentions bien naturelles,
lorsque, si jeune, on trouve son premier roman publié chez Gallimard, et
titulaire de nombreux prix des lycéens ?
J’aimerais lire ce que
les lycéens en question ont pu saisir de ce curieux entrelacement de destinées.
Or, je ne le saurai sans doute jamais, et, peut-être même, comme beaucoup
d’autres, ce roman ne sera-t-il qu’une étoile filante au ciel de la littérature
parisienne. Ce serait regrettable car on peut y entrevoir une belle plume en
devenir.
Xavier
Lainé
Manosque,
21 décembre 2010
*
Note précédemment publiée ici, sur Littérature.net :
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