dimanche 19 septembre 2021

L’amour, plus fort que les spasmes de l’histoire

À propos de «  Quelque chose delle » de Jackie Dervichian, éditions Dergham, Beyrouth, 2018





À qui veut comprendre quelque chose au mystère du Liban, il faut lire « Quelque chose delle » de Jackie Dervichian.

En effet, avec tout son coeur, et comme cest un coeur immense, son livre dit un peu, beaucoup, à la folie quelque chose delle.

On y découvre un tissus d’émotions à fleur de peau, dans cette vie moyen-orientale chahutée par les identités et les migrations.

On traverse avec lhéroïne la tendresse partagée dune mère, dun père qui savent toute la difficulté d’être dailleurs, dici, de partout, éternellement chahuté de pays en pays, sans vraiment pouvoir planter ses racines quelque part, ou si ces racines existent, lendroit en est interdit daccès, les rejetant en éternel exil.

Cest toute la force et la faiblesse du Liban, dernier pays héritier dune cosmopolitisme sacrifié sur lautel des particularismes, des nationalismes.

Ce Liban là, multiculturel, véritable mosaïque, vibre dans ce foisonnement, cette exubérance. 

On suit pas à pas, au rythme dune prose poétique toute de tendresse et damour, les pas balbutiant de Saune. 

Il lui en faut de la tendresse et de lamour pour franchir les obstacles, avancer en terre tantôt accueillante, tantôt ravagée par les bombes et les attentats.

Lorsquon vit dans le confort européen, on a du mal à sentir tout ce quil faut damour pour survivre à lhostilité, traverser les périodes où les communautés sopposent jusqu’à sentretuer.

Pourtant cest ce quil lui faut, à Saune, cet amour salvateur qui est là, entre les lignes, comme une main tendue pour aider à ne retenir que la tendresse du monde.

Cest toute la force de l’écriture de Jackie Dervichian que de nous donner à sentir, à voir. Les mots se font poème, chant vibrant au rythme des battements du coeur.

Tout est là, il ne manque que les images. Bien que, en fermant les yeux et en suivant le rythme des phrases, on voit, on imagine.

Lamour est tellement fort quil nest plus de frontières, plus de barrières. 

Cest un monde qui souvre où les convulsions du siècle se trouvent apaisées dune main fraîche sur le front fiévreux.

Cest une étoile qui brille dans le ciel dOrient et donne envie douvrir les bras et de la bercer, Saune, sauvage et rebelle, belle comme un jour oriental, si pleine de son histoire qui traverse les spasmes de lHistoire.

On imagine cet élan retenu, cette infinie douceur qui se décline au fil dune vie, ce baiser qui sesquisse mais ne sexprime pas, sinon dans un murmure intérieur.

Cest un film dont les images en noir et blanc, ou en couleur sépia donnerait envie de ne cesser de le regarder pour la seule beauté des âmes qui se croisent.

Cest un hymne damour permanent, déposé sur les paupières du soir, un baiser tendre sur le front des étoiles, histoire de poursuivre dans les rêves toute la beauté de vivre.


Xavier LAINÉ


15 septembre 2021

jeudi 13 mai 2021

Lire la Commune 2


 À propos de : Le cri du peuple, de Tardi et Vautrin ; « les damnés de la Commune », de Raphaël Meyssan ; « Communardes », de Lupano Fourquemin, Mazel et Jean ; « Rouges estampes », de Jean-Louis Robert Carole Trésor et Nicola Gobbi


Je disais la difficulté à commémorer la Commune.

Je disais même ma répugnance à cette commémoration et mon attrait pour en faire vivre et revivre les idées maîtresses.

Après de brèves ouvertures entre 1792 et 1793, en 1830, 1848, elle fut le premier évènement notoire d’accès du peuple ouvrier (au sens large) à l’Histoire.

Une intrusion que, bien sur, la bourgeoisie thermidorienne, ayant donné naissance à la dictature napoléonienne, puis au rétablissement de la monarchie, ne pouvait tolérer.






C’est de cette intrusion foisonnante du peuple dans la grande histoire dont les bandes dessinées rendent compte.

Elles nous disent cette irruption soudaine d’un autre monde possible, jetant à bas les esprits de domination sans partage.

Ainsi, dans « Le cri du peuple », de Tardi et Vautrin, on suit pas à pas cette construction fragile, son exubérance heureuse, jusqu’à cette semaine sanglante où quarante mille communards et communardes furent fusillés, tandis que les cadavres de vieillards, de femmes et d’enfants tués sur les barricades pourrissaient dans les rues et dans les fosses communes.

Tout l’art de la bande dessinées trouve ici son expression : nous faire vivre de l’intérieur un évènement que les vainqueurs voulurent et veulent encore rayer des livres d’histoire.






On retrouve cette veine en toute beauté dans les trois volumes signés Raphaël Meyssan, « Les damnés de la Commune », mis en forme, partiellement, de documentaire pour la chaine ARTE (Arte documentaire Les damnés de la Commune). Une oeuvre magistrale, dessinée selon les techniques d’époque de la gravure de presse et d’illustration.






Parti à le recherche de Lavalette, membre du comité central de la Commune, on croise un peuple de Paris fier de sa prise de pouvoir, persuadé de sa raison sans avoir conscience des fragilités naïves qui poussait les responsables à croire impossible que des soldats français, tirent sur leurs compatriotes.






Ils croyaient bien pouvoir triompher. C’est la mort, le sang et la déportation qu’ils trouvèrent au bout de leur chemin.

Et la tentative d’effacer à tout jamais les hauts fait d’un peuple conscient de sa force et de ses idées en rupture avec le monde ancien.






Les femmes n’y furent pas en reste avec en tête l’icône Louise Michel. 

Elle ne fut pas seule. Nombre de femmes s’investirent aux côtés des gardes républicaines et des communards, tant dans la constitution de cette brève république sociale, que dans la défense des barricades contre la folie meurtrière des versaillais.






La commune vit pour la première fois, à quelques exceptions près lors des révolutions de 1789, 1830, 1848, l’irruption des femmes revendiquant leur égalité au sein même des institutions.

On vit aussi pour la première fois leur rôle plein et entier, à l’égal des hommes, reconnu par les institutions de la Commune.

Lupano et ses associés nous invitent sur leurs traces. Encore une facette à laquelle l’art de la bande dessinée nous donne accès avec brio.






Enfin, et de façon sans doute un peu plus anecdotique (mais on ne peut pas douter que la période communarde eut aussi son lot d’anecdotes et de faits divers plus ou moins sordides, on pourra lire « Rouges estampes », de Jean-Louis Robert, Carole Trébor et Nicola Gobbi.

Voilà une entrée en matière façon polar avec une enquête policière menée par un commissaire nommé par le comité central de la Commune qui, en traversant les évènements de ce mois de mai hallucinant, suit la trace d’un noble criminel que la police officielle ne cherchait pas vraiment à confondre.

La commissaire nommé est un artiste graveur et la connaissance de son art lui permettra de résoudre l’énigme à l’instant où les versaillais triomphent dans le sang répandu, mettant un terme à l’enquête.






Ainsi, la bande dessinée se trouve à l’aise pour nous inviter à voyager dans cette intense période de l’histoire. Il faut tout l’art du dessin et du scénario pour nous faire pénétrer dans ce monde éclatant où des écrivains et des artistes se trouvent promus dirigeants, aux côtés des prolétaires, d’une république sociale visionnaire.

On conçoit que les versaillais aujourd’hui au pouvoir puissent mettre autant de hargne à saboter les acquis, ultérieurement conquis, dont les prémisses jalonnaient les décisions de la Commune. 

On conçoit aussi que ceux-là n’aient aucune envie d’en commémorer la mémoire.

Paix à leur âme, nous nous chargerons de cette mémoire et garderons vif le flambeau des idées généreuses.


Xavier Lainé


13 Mai 2021





vendredi 7 mai 2021

Lire la commune 1


À propos du dictionnaire de la commune, de Bernard Noël






Je ne savais pas trop comment parler de la Commune.

Alors, j’ai repris le Dictionnaire de la commune de Bernard Noël, posé là, dans ma bibliothèque depuis sa parution en 2001 aux éditions Mémoire du livre.

La Commune, cet évènement insaisissable depuis 150 ans qui échappe à toute commémoration tant il reste douloureux dans nos mémoires de lutte.

Après les thermidoriens de 1793 qui n’ont jamais vraiment lâché la pression, noyant dans les sang les révoltes de 1830 et de 1848, leurs héritiers à l’Assemblée Nationale, sous la figure de Thiers, ne pouvaient que faire un bain de sang de cet instant qui ne fut pas seulement parisien, mais qui ouvrit pour la première fois dans l’histoire, la perspective d’une véritable démocratie au service du peuple, une démocratie sociale.

Une démocratie sociale, voilà qui ne pouvait que faire frémir les bourgeois victorieux  depuis 93 et qui entendait dominer l’espace d’une République qui, à leurs yeux, ne pouvait que demeurer à leur service.

Les mêmes qui renversèrent 1789 à leur profit, oscillant entre royalisme à l’ancienne, bonapartisme de bon aloi, néo-libéralisme aujourd’hui, le principal étant que leurs profits soient saufs, ne pouvaient supporter que leur dictature économique puisse être contredite.

Mais comment lire un évènement aussi divers et multiple que la volonté du peuple d’entrer sur la scène de l’histoire ?

« La vérité d’un évènement se limite au fait qu’il a eu lieu. C’est donc son « avoir lieu » qu’il faut saisir, autrement dit tous les aspects de sa survenue dans leur concomitance. Mais voilà très exactement ce que ne peut pas faire l’écriture qui, condamnée au successif, doit développer une chose après l’autre et donner de la ligne là où il serait nécessaire de produire des précipitations. »

La vie a du mal à entrer dans un mode d’expression linéaire.

Écrire, lire, c’est suivre cette ligne qui va d’un point A à un point B et qui ne connaît pas l’embrouillamini, les circonvolutions, les contractions et les dilatations de l’espace et du temps.

Les convulsions de l’histoire n’entrent que difficilement entre deux couvertures, elles sont, dans leur complexité même inconciliables avec la linéarité de l’écriture.

C’est tout l’intérêt du dictionnaire de la Commune, oeuvre monumentale de Bernard Noël qui vient de nous quitter.

Cette oeuvre là va demeurer comme un phare donnant lisibilité à l’illisible d’un mouvement social situé dans une époque, certes, mais qui ne cesse d’interroger notre présent.

Car la Commune est une plaie ouverte dans le mouvement ouvrier, au coeur même de la dynamique qui permettrait au mot démocratie de puiser à sa source : un pouvoir par et pour le peuple.

Chaque expérience, chaque volonté explicite du peuple de prendre ce qui lui revient, c’est-à-dire non seulement parole mais pouvoir se heurte, partout dans le monde, à la barbarie financière qui n’hésite pas à noyer dans le sang toute velléité de faire entendre « le cri du peuple ».

Le Dictionnaire de la Commune, de Bernard Noël a connu de multiples éditions, pour en connaître la gestation et la vie, on peut s’en référer au site de l’atelier Bernard Noël : L'Atelier Bernard Noël/Dictionnaire de la Commune

Une ultime éditions vient de paraître aux éditions L’Amourier : Editions L'Amourier/Dictionnaire de la Commune

L’ouvrage est incontournable à qui veut tenter de comprendre l’insaisissable mouvement qui travaille les peuples dans leur profondeur lorsqu’ils veulent s’affranchir de la tutelle d’une bourgeoisie qui ne tolère aucune parole contraire.


Xavier Lainé


7 mai 2021


samedi 27 février 2021

Et si l’anarchie était l’avenir de l’homme ?



À propos de Viva l’anarchie ! La rencontre de Makhno et Durruti, de Bruno et Corentin Loth, aux éditions La Boite à Bulles







Bien avant que l’insoumission soit une marque déposée, des humains, sans doute visionnaires, ont appris à vivre hors de toutes contraintes.

Ils ont appris à construire leur vie, sans répondre à la dictature des règles et de la domination.

Résolument réfractaires aux lois d’un ordre établi, quelqu’en soit la nature, ils décidèrent de réfléchir et d’agir, chaque jour, dans un monde à portée de main.

Leur monde est celui des hommes libres, sans état et sans maîtres, monde rêvé depuis les origines, tissant un lien de génération en génération de révoltés.

Ils sont depuis toujours dans la trame de tous les soulèvements.

Ils sont les garde-fous lorsque les soulèvements finissent par retomber aux mains des assoiffés de pouvoir.

Et ils ne manquent pas, ces êtres qui surfent sur la vague des colères pour en détourner les rouleaux à leur unique profit.

Toutes les révolutions passées témoignent de ces reprises en mains qui vouent aux gémonies les rêves de liberté au nom de principes qui toujours légitiment la domination.

Il en est ainsi depuis la seule révolution que l’humanité ait vraiment accomplie, celle du néolithique, révolution qui donna aux humains la domination sur la nature et sur leurs congénères.

Depuis, nous vivons avec cette soif de liberté, absolue et irréductible.

Soif qui ne trouve jamais à être étanchée, tant l’humain porte en lui cette marque du profit, de l’exploitation et de la soumission aux règles imposées par les plus forts.







On ose appeler civilisation ce qui n’est qu’ordre établi sur les bases obscures de l’esclavage et de la soumission.

Si le mot anarchie est devenu au fil du temps un fourre-tout un peu étrange dans la bouche des dominants de toutes espèces, il est bon de nous rafraîchir la mémoire et de nous souvenir de celles et ceux qui n’ont pas accepté de marcher au pas cadencé de règles inhumaines.

Il est bon de voir leur empreinte dans l’histoire de tous les soulèvements collectifs, de réactiver leur souvenir dans nos mémoires maltraitées par le rouleau compresseur des idées toutes faites.

Hors de toute organisation mensongère, ceux-là firent beaucoup pour que les plus pauvres apprennent à s’organiser face au pouvoir et à la domination de l’argent.

Qu’ils aient usé de moyens légaux ou non, ils ont aidé à maintenir le rêve d’une humanité libérée de ses entraves.

Et, après tout, qu’appelle-t-on légalité lorsque celle-ci ne sert qu’à renforcer le parti d’une classe, celle des oppresseurs, des profiteurs ?

Ceux qu’aujourd’hui les journalistes vendus, les intellectuels embourgeoisés affublent de toutes les images délirantes liées à leur insoumission, bien avant qu’être insoumis ne soit une marque déposée sur les bancs d’une assemblée, ceux-là sont les porteurs de rêves et d’utopies.

Ceux-là, dont Makhno et Durruti furent, sont sans doute les porteurs d’un avenir humain libéré des pièges tendus par tous les pouvoirs.

Et si l’anarchie, hors de toute organisation létale à notre liberté de pensée, était l’avenir de l’homme ?


Xavier Lainé


27/28 février 2021