samedi 26 septembre 2015

Lettre sans correspondance 4





Rien vu non plus, sinon place vide à l'heure de proclamer poèmes écrits de mains presque anonymes, sur le Radeau des médusés1.
Place presque vide à l'heure où vous faisiez la sieste, tandis qu'ailleurs...
J'hésite encore à tremper ma plume dans le vinaigre.

Une venait, un peu étonnée de découvrir Manosque sous le jour de son étroite bourgeoisie. Et je riais de son étonnement : une si jolie petite ville sans histoire !
Tellement qu'elle s'étonne elle-même de recevoir presque sans rien faire, sinon larguer subsides, le gratin d'une rentrée littéraire plus à l'aise entre les pages des médias à la mode.
Mais comment donc, vous rentrez ? C'était donc que vous étiez sortis ?

Dois-je avouer ne pas avoir à subir ces affres puisque ne m'en sors jamais. M'arrive bien plus souvent de râler (hé oui, encore!) après ce temps inventé pour m'empêcher de faire et écrire tout ce que ma tête ne cesse d'inventer !
Ne m'en sors jamais.
Et le plus souvent écris et lis dans ce no man's land où poésie n'a plus d'espace. Plus d'espace pour dire ce qui me glace le sang, ce qui me tire les larmes.
Les journaux et informations (est-ce bien le mot?) en disent tant, à l'heure du déjeuner, en montrent tant, à l'heure du dîner, que poésie devrait proposer autre chose : compter fleurette insouciante, à l'ombre des jeunes filles en fleurs, peut-être. Mais même l'ami Marcel Proust, au fond, ne faisait que dénoncer l'artifice de cette bourgeoisie triomphante et qui ne cesse de remporter ses victoires sur l'immense peuple des dépossédés, masquant sa violence d'une pudique culture.

Ne m'en sors jamais, parfois me contredit. Parfois me faut m'excuser de m'être un peu emporté. On ne vit pas avec passion sans quelques dommages collatéraux (ils sont dans l'air du temps, ceux-là ; et j'ose espérer ceux provoqués par mes mots moins violents que d'autres dont le monde abonde).
Suis quand même entré chez ma libraire qui comme toutes les libraires a un tout petit rayon de poésie, et comme sa librairie est toute petite, le rayon mesure un mètre, en allant vers l'alcôve (j'aime bien, cette idée : les vers se lisent désormais ainsi, chuchotés en des lieux discrets, tandis qu'éclate au grand soleil la littérature spectacle).
Je suis entré, et ressorti, le porte-feuille délesté mais la besace pleine : Boualem Sansal et son « 2084 »2, pas invité aux réjouissances, Matthew T. Kapstein et ses « Tibétains »3, pas invité non plus, et Patrick Boucheron en compagnie de Mathieu Riboulet, invité, lui, avec « Prendre dates »4. Va me falloir un jour envisager de pousser les murs...

Ne m'en sors pas, vous dis-je !
Puis voilà que j'aperçois, là, devant moi, Isabelle Alentour5, en chair et en os, que je ne connaissais que de très médiatique façon. Et ce fut comme si nous nous connaissions de toujours.
Peut-être, finalement, ne suis-je pas le sauvage que je voudrais paraître.
Notre participation commune au Radeau nous rapproche un instant, nous sommes de ce monde qui écrit dans la marge, et la marge bientôt tiendra toute la place, à force de miser sur autre chose que la littérature.
Je l'ai profondément déçue, Isabelle : elle s'attendait à un type aigri, replié, en colère permanente. Je l'ai déçue. Tant pis pour elle : rien à voir, circulez, je ne suis que le reflet des aigris qui peuplent cette ville, repliés sur eux-mêmes au point de râler contre ces empêcheurs de penser en rond qui occupent la place Saint Sauveur depuis trois jours ! Un reflet, ça ne fait pas une personne, et si souvent nous y sommes réduits, faute de ce lien qui nous tisse en humanité quand le seul spectacle nous en éloigne.
Puis je me retourne, et qui je vois ? Sonia Chiambretto, dont « l'état civil »6 traine sur mon bureau depuis longtemps. Je lui dois des excuses, à Sonia. Nous nous connaissons depuis si longtemps et je lui en ai tellement voulu que nous puissions nous croiser dans la rue sans le moindre signe de reconnaissance (ce que j'avais pris pour un geste de suffisance).
J'avais mal compris, tant l'appel à ce qu'elle lise ses propres textes avait été lancé du fond du cœur ! Nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d'onde : celle de l'auteur qui se fond derrière son œuvre, fuyant la galère d'un monde éditorial dont la seule boussole se tourne vers le Nord glacé du rapport financier.

Et puis je suis rentré, avant que ma tribu ne vitupère trop. Je suis rentré, puisque, pour une fois, j'étais sorti, et c'est au crépuscule que mes voisins se sont étonnés que mon Autre lieu7 ne soit inscrit en rien dans ce grand chambardement.
Qui sait s'il ne faudrait pas, finalement, chercher à en être, et ouvrir ma porte au monde singulier des écrits souterrains...

27 septembre 2015

Xavier Lainé

2 Boualem Sansal, 2084, La fin du monde, éditions Gallimard collection Blanche
3 Matthew T. Kapstein, Les tibétains, éditions Les belles lettres
4 Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet, Prendre dates, éditions Verdier
5 Il faudrait qu'un éditeur se penche sur son ouvrage autoédité sous son nom, avec des photographies de Zaspi : Isabelle Pellegrini, Parenthèse(s), introuvable comme de bien entendu...
6 Sonia Chiambretto, Etat civil, éditions Nous

7 L'autre lieu : http://autrelieu.blogspot.fr 

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