jeudi 24 septembre 2015

Lettre sans correspondance 2





Je regarde sur face de bouc le parterre de têtes chenues présentes pour l'inauguration. Etrange comme cette génération des trente glorieuses (ou piteuses) a su s'approprier tout un monde hérité de la bonne bourgeoisie industrielle !
Relisez donc Zola, et vous verrez les travers de ce monde, inchangé sinon par une démographie galopante qui après mai, vient s'asseoir sagement écouter journalistes et auteurs mener leur psychanalyse publique.

Je me suis donc arrêté un instant, carnet sur la table et stylo prêt à bondir.
L'écriture de Carole Martinez1 m'invitait à prendre ce temps d'écoute.
Me voilà donc à la fois subjugué et compatissant. Quelle horreur ce doit être de devenir un « auteur ». Franchement, je trouve le retrait bien plus confortable, au moins, il n'oblige pas à expliquer le pourquoi du comment d'une inspiration !
Elle ne m'a pas déçu, Carole, du tout, j'ai même retrouvé à l'écouter des réminiscences de ces sentiments que son écriture avait fait jaillir, dans le silence de mon bureau.
Mais voilà, j'aurais aimé qu'on lui foute la paix. J'aurais aimé qu'elle se contente de lire des passages de son travail avec son émotion dans la voix et rester ignorant de ce qui, en elle, a permis ce jaillissement. J'aurais aimé lire et relire (ce que je ferai), rien que pour voir la lumière d'Esclarmonde ou de Blanche errer entre les rayonnages de ma bibliothèque.

Deuxième jour, et je demeure atterré.
C'est quoi un écrivain ? A partir de quand mérite-t-il ce statut ronflant dans la bouche d'un public ?
Etre écrivain, est-ce se faire devoir de passer sous les fourches Caudines d'une célébrité médiatique dont on sait qu'elle ne peut être qu'éphémère ?
N'est-on écrivain qu'à partir du moment où Gallimard a décidé de te reconnaître parmi les siens ?

Ecrire c'est un acte secret et combien n'ont cessé de noircir des pages sans que rien, de leur vivant, ne laisse soupçonner cet envahissement ?
Combien donc d'écrivain n'eurent (et n'auront) reconnaissance de ce statut qu'une fois six pieds sous terre ?

Dans cette société où tout fait spectacle, le meilleur comme le pire, je regarde avec effarement cette agitation aux antipodes de ce silence nécessaire au jaillissement de la source intarissable.
Ecrire ne donne rien de plus, et je n'en ai rien à faire qu'un René Frégni soit allé chez ses amis, écrire un mot. Savez-vous combien en écrivent de bien plus beaux en secret.
Je n'en ai rien à faire du talent de Sonia Chiambretto qui viendra lire « ses » textes demain : je lui préfère la discrétion militante d'un Erri de Luca, celle, bien obligée d'un Faraj Bayrakdar oublié, et de tous ces simples écrivains qui ont contribué au Radeau des médusés2, loin des flon-flons admiratifs d'une foule captive.
Ce fétichisme de l'auteur m'est insupportable.

25 septembre 2015

Xavier Lainé

1 Carole Martinez : Le cœur cousu (Folio), Du domaine des murmures et La terre qui penche (Gallimard collection Blanche)

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