dimanche 26 août 2012

Erri De Luca




Il était heureux dans le vent, il l’accueillait, à l’écoute. Il était de ceux qui saisissent une phrase là les autres n’entendent que du vacarme.
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Il voulait se souvenir. On est hommes pour ça, sans mémoire un homme est un précipice.
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Ils apprenaient à marcher, du pas qui fait aller ensemble le jeune et l’ancien, les petits et les femmes enceintes. Ils avançaient tous ainsi donnant l’effet d’un chœur sur la terre. Ils chantaient pour remplir l’espace menaçant de la liberté, qui n’est pas une liste d’avantages et de droits, mais le risque de pénétrer en territoire vide.
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L’œuvre était finie, mais pour l’achever et l’amener à la perfection il fallait encore la septième, qui en musique s’appelle la dominante. Le monde avait été créé avec un arrangement musical, ses règles répondent à une combinaison de temps, de tons, de dièses et de bémols. Le couple dernier-né entendait les plus vastes fréquences, la basse continue de la création.
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Les mains sont devant l’homme, elles soutiennent son travail, le verbe « faire ». Et les paroles font l’homme, elles sont devant lui, elles le guident ou bien l’égarent.

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Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits public pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d’un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l’hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n’importe comment sauf d’ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l’étagère.
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Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d’élégance. La beauté qui leur est nécessaire c’est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d’étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches.
Le moteur qui pousse la lymphe vers le haut dans les arbres, c’est la beauté, car seule la beauté dans la nature s’oppose à la gravité.
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Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur le soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.
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Nous apprenons des alphabets et nous ne savons pas lire les arbres. Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes, les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations, le romarin est une chanson, le laurier une prophétie.
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Il y a des créatures destinées les unes aux autres qui n’arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder l’absence. Elles sont sages.

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Ils sont maladroits les mots de l’absence.
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C’est dans la mort seule que la vie est tout entière à qui l’a vécue, et sa possession est sans donateurs, sans reproches.
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L’enfance aurait bien pu durer éternellement, je ne m’en serais jamais lassé.
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On grandit en se taisant, en fermant les yeux de temps en temps, on grandit en se sentant tout à coup très loin de tous les autres.

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L’homme savait prévoir, croiser l’avenir en conjuguant sens et hypothèses, son jeu préféré. Mais l’homme ne comprend rien au présent. Le présent était le roi au-dessus de lui.


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Bibliographie
 - Et il dit, éditions Gallimard, 2012
Trois chevaux, éditions Gallimard Folio, 2001
 Pas ici, pas maintenant, éditions Gallimard Folio, 2008
Première heure, éditions Gallimard Folio, 2012
Au nom de la mère, éditions Gallimard Folio, 2006
Aller simple, éditions NRF Gallimard, coll Du Monde entier, 2012
Le poids du papillon, éditions NRF Gallimard, coll Du Monde entier, 2011

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