jeudi 29 novembre 2012

Joli passage




 Rencontre au Petit Pois 1 – Photographie de Xavier Lainé, tous droits de reproduction réservés


Une page se tourne en ma ville, mais pas vraiment. Et ce n’est qu’une page ; le livre, lui, reste ouvert.

Comme toujours je suis entré, un peu gourd et si peu sûr.

Il y avait beaucoup de lumière et d’amitié. Il y en avait même tant que me voilà étourdi.

C’est que je l’avais attendu ce moment où viendrait un « libraire », en ma ville. Un « libraire », pas un marchand de livre.

Je m’en moque que mon libraire vende des livres. Non que je lui souhaite d’être un crève la faim, mais je n’aime pas qu’il se contente de vendre.

Ce que j’aime chez mon libraire, c’est qu’il fasse du livre l’occasion d’une rencontre.
Ce que j’aime c’est que derrière chaque couverture ne s’animent pas que des pages, mais une vie, indescriptible d’humanité.
L’auteur, s’il en est un, s’efface derrière ce lieu de conjonction que devient son livre.

Je n’attends rien d’autre de mon libraire, sinon qu’il m’invite à me sentir trop bête, et donc à lire, toujours plus et mieux.
Plus non pour qu’il vive mieux mais pour le plaisir d’aller à cette conférence de l’inutile qu’est la littérature. Inutile mais aussi indispensable que l’air que nous respirons.
Et quand je dis littérature, je ne me contente pas des romans à la mode, des « prix littéraires » de l’année, des ouvrages mis en avant à grand renfort médiatique en des rentrées qui n’en sont pas. Car à lire, on dépense largement le prix d’un séjour aux Seychelles, voyez-vous. Alors on se contente de revenir en ce lieu aimanté où fondent les dernières économies.

Mais que de joyeuses complicités qui se tissent, par dessus les tables ou devant les étagères. Nul besoin de dire, un regard suffit qui en dit long sur la passion commune.
Hélas pas si commune, et tellement mise à mal en pays qui ne sait plus lire.
On me dira que non, que c’est faux et pourtant, comme mon libraire, je reçois les chiffres implacables de l’Agence Régionale du Livre. Et comme lui, je suis atterré devant la tâche immense à accomplir pour qu’un peu de curiosité émerge qui rayonne par delà la vitrine.
Et pour que ça rayonne, il ne faut pas vendre des livres, mais que celui-là soit à l’origine d’un réseau dont les mots sont le fil, les pages le conducteur, la couverture l’appât, parfois. Mais pas que…

Car le livre n’est pas un objet comme les autres. A se vautrer entre mains de marchands, il perd une bonne part de son sens. Il est cette coquille vide qui apparaît pour un festival, puis disparaît aussitôt sous l’impitoyable pilon.
Le livre, je l’achète, et puis je le garde. Je le garde tant qu’il me faudrait deux ou trois maisons pour tous les aligner. Alors, je les fait circuler, de piles à lire, en piles lues, puis en rayon à peu près rangés qui se dérangent aussitôt, pour finir en caisses d’où parfois je les extirpe, redécouvrant quelque bijou oublié que je relis avec ardeur.

Ce que j’aime chez mon libraire, c’est qu’il invite à aimer cette chose qui depuis Gutenberg n’a pas encore trouvé son équivalent et qui ne sera jamais remplacé.

Et nous avons eu ici, depuis je ne sais combien d’année, Monsieur et Madame Petit pois, qui étaient libraires.
Ils nous ont ouvert les papilles, au point qu’il aurait été impensable de les voir rendre leur tablier.
Alors, voilà que le miracle s’accomplit et que le relais est passé.
Il faut aimer les livres pour en vendre un peu. Il faut une passion de rencontre pour en vendre assez. Mais en vendre ne suffira jamais : il faudra toujours ce moment de douce rencontre qui le fait circuler et vivre, bien au-delà de son commerce.

Bien sûr, ce monde mercantile se méfie de ces lieux de vérité et de partage, et il a raison. Car en cette fraternité du livre, nous puisons la force d’espérer et de construire autre chose. Quelque chose qui a trait d’humanité.
Et c’est un vrai tour de force de passer si joliment le flambeau. Bonjour, Madame Petit Pois !

Xavier Lainé
24 novembre 2012

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