dimanche 5 janvier 2025

Comme la nuée porte…

 




À propos de l’ouvrage : Extrême droite : la résistible ascension[1]


Il faut saluer tout ce qui contribue à la réflexion.

Depuis tant d’années la marée brune ne cesse de monter, non plus seulement dans les sondages, mais dans la réalité des esprits en errance.


Il faut donc saluer tout effort qui vise à mieux comprendre ce qui nous arrive.

Ce qui nous arrive est si peu glorieux lorsqu’on est de ce bord de l’humanité où, justement nous parlons de l’humain non vu de haut ou de loin, mais comme l’horizon permanent de nos rêves, de nos désirs, de nos utopies parfois, de nos combats le plus souvent.


Comprendre ce qu’il y a de résistible à cette ascension du glauque.

Comprendre ce qui conduit certains d’entre nous à oublier le passé pour se jeter dans ses bras visqueux du sang versé mais enfouis dans les geôles d’une histoire fort peu ou mal enseignée.

Comprendre comment le néo-libéralisme peu à peu nous montre son vrai visage qui n’est pas démocratique, à l’envers de son discours.

Comprendre comment des citoyens se jettent dans la gueule du loup prêt à entrer dans Paris et faire ses choux gras des ruines de nos libertés si laborieusement conquises.

Comprendre


Extrême droite : la résistible ascension y contribue.

Le livre aborde en effet les rives de ce qui s’est élaboré depuis cinquante ans, sur les ruines de nos rêves d’une construction socialisante du monde capable de répondre aux attentes du commun.

Du commun au communisme, il n’y a qu’un pas qui peut être franchi, à condition d’observer comment l’idée même portée par ce mot a été dévoyée par ce qui se faisait passer pour le « socialisme existant », pendant d’un capitalisme sans limites broyant les êtres exploités sous sa férule.

De ce blanc et noir psalmodié comme alpha et oméga de toute pensée de gauche, ne pouvaient que naître les monstres de la domination jaillissants du cratère de nos divisions.

Divisions machiavéliques dont plus personne, les années passant, n’est en mesure de comprendre leurs fondations.

Les difficultés de vivre et de survivre finissent par rendre tout discours inopérant dans le flot continu d’informations unilatérales diffusées par les  médias traditionnels livrés pieds et poings liés à ceux qui n’ont pour toute ambition que l’esclavage et la servitude, si possible volontaire.


Si le livre aborde les thèmes essentiels permettant de saisir la résistible montée des idées rances, il n’en reste qu’à l’aspect électoral de la tempête.

Pour aller plus loin, il faudrait remonter aux origines de ce qui se nomme capitalisme, système qui feint toujours de n’être pas ce qu’il est.

Alors il s’habille de libéralisme, comme si, à partir d’un mot, il était possible de masquer une réalité bien moins glorieuse.

Il faudrait creuser aux fondements de la naissance du système.

Plus loin même aller chercher dans de possibles racines anthropologiques comment l’esprit de domination est venu gangrener la marche de notre humanité.

Pour comprendre le fleuve, il faut remonter à sa source.


Il y eut un moment, dans notre humanité, comme le diraient David Graeber et David Wengrow[2], où nous avons merdé.

L’humanité a pu expérimenter, dans son histoire, d’autres modes d’organisation en société. Sans, par exemple, se rendre esclave d’un chef, au nom de dieux brandis comme vérité ultime justifiant la construction de temples magnifiques mais dont les fondations reposent sur le sang des esclaves[3].


Tout commencerait donc lorsqu’un homme se prenant pour un dieu ou se disant son interprète décréta la nécessaire soumission de ses semblables.

Et les semblables, se détournant de l’esprit de liberté dont le néolithique porte la trace, acceptèrent cette domination.

L’apothéose en fut la résistible conquête de la terre et la volonté farouche de dominer la nature[4].

Pour compléter la réflexion de ce livre, il faut lire le livre de Sylvie Laurent, Capitalisme et race[5].

On y découvre que, si le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage, comme le disait Jaurès[6], il porte aussi en lui l’aboutissement de millénaires de dominations et d’esclavages ; ainsi que le racisme qui est son fond de commerce depuis 1492.


Ce n’est donc pas pour rien que les tenants du système s’offrent le luxe de posséder quasiment tous les moyens d’information existants.

Il leur faut assujettir les esprits autant que possible pour que nul ne songe à en renverser les dogmes.

C’est ainsi que nous baignions tous dès notre petit enfance dans cette histoire où le blanc européen est le seul à détenir les connaissances, se tenant à la tête d’une galerie de l’évolution dont il serait l’élément éternellement triomphant.

L’esprit colonial et dominant fait partie d’un programme dont la mise en doute est strictement interdite et surveillée.

Toute parole discordante n’est tolérée qu’à la condition de ne jamais remettre en cause les fondements raciaux du système : aux oubliettes de l’histoire Senghor, Césaire ou Frantz Fanon.

Il y a donc là aussi un hiatus dans l’ouvrage : bien sûr il y est souligné l’erreur de l’entre-soi, mais quelle est l’ouverture à ceux dont la parole aurait le poids de l’expérience de vivre en victime de l’esprit colonial ?


De même au chapitre portant sur la place des écrivains dans l’endoctrinement raciste, xénophobe d’extrême droite, il est bon de rappeler qu’après tout, Victor Hugo, Émile Zola et presque tous les écrivains de l’époque ne se sont pas révélé en farouches partisans de la Commune[7].

Quid des écrivains issus de la classe ouvrière ? Quelle place pour une parole qui s’ouvre à la souffrance subie en direct par celles et ceux qui sont exploités, celles et ceux à qui on explique que la culture est celle des grands écrivains, tant que possible issus de la bonne bourgeoisie, et non la leur, celle qui se fabrique les mains de la cambouis de la nécessité de survivre à l’exploitation du marché du travail qui n’est au fond, et historiquement qu’une version soft du marché aux esclaves.


On rêve donc, à la lecture de Extrême droite: la résistible ascension qu’une suite lui soit donnée qui aborderait les questions de fond et permettraient d’expliquer comment les ouvriers blancs, sous la pression de leurs employeurs, en arrivent à se considérer comme supérieurs à leurs collègues de couleur, comment la littérature est plus souvent une littérature qui parle du monde du travail comme sujet d’étude et non comme témoignage.

Comment la parole des « riens » (pour reprendre la formulation profondément raciste du Président de la République[8]), sans cesse soumise à la pression, à l’oppression, aux interdits finit par se retourner et être confisquée par ceux qui attendent dans l’ombre leur heure pour maintenir le système dominant pétri de racisme et de xénophobie.

Il s’agit d’un problème il me semble profondément « culturel » au sens paradigmatique, tel que l’aborde Edgar Morin[9].

Car même en étant de gauche, nous avons bien du mal à nous extraire de ces réflexes condescendants qui alimentent en retour les sentiments de rejet et conduisent les plus faibles à se jeter dans les bras avides des pires soutiens du système oppresseur.


Xavier Lainé

Manosque, 2 janvier 2025


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[1] Extrême droite : la résistible ascension, ouvrage collectif, éditions Amsterdam/Institut La Boétie, 2024

[2] David Graeber & David Wengrow, Au commencement était…, éditions Les liens qui libèrent, 2021

[3] Poirier, R. (1957). La grande muraille de chine. Revue des Deux Mondes (1829-1971), 286‑302. https://www.jstor.org/stable/44597251, pages 290-291

[4] Descola, Philippe. Par-delà nature et culture. Gallimard, 2015.

[5] Sylvie Laurent, Capital et race, Histoire d'une hydre moderne. Seuil, 2024

[6] Jaurès, La paix et la démocratie, page 8, sur la site de l’Université de Bourgogne : https://pandor.u-bourgogne.fr/pleade/functions/ead/detached/BMP/brb4466.pdf

[7] Les écrivains contre la Commune, in Manuel d’autodéfense intellectuelle, Histoire, page 17, Le Monde Diplomatique, 2024

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_gens_qui_réussissent_et_les_gens_qui_ne_sont_rien#:~:text=« Les gens qui réussissent et,up Station F à Paris.

[9] Edgar Morin, La Méthode tome 4, Les Idées, éditions du Seuil/Opus, 2008 : pages 1811 et suivantes pour la définition du Paradigme, pages 1820 et suivantes pour Le grand paradigme d’Occident