Elle
ne sait rien de la distance, ni de la durée du voyage. Arrêts brefs, sans
pause, portes ouvertes aussitôt closes dans un fracas de ferraille. De brusques
éblouissements, des plaques d’air frais laissent tout juste entrevoir
l’alternance du jour et de la nuit, de la nuit et du jour. Trois nuits, quatre
jours. A un moment on passe la frontière, forcément…
.
Maintenant
les quatre cents femmes passent les barrières et entrent dans le camp. Les
chiens, les hurlements, les projecteurs. On est où ici, demandent des voix,
c’est quoi ce merdier. On frappe, on hurle, on compte, on recompte. Elles
traversent une place vide, remontent une allée de bâtisses au cordeau puis sont
bouclées, ventres contre ventres contre dos, quatre cents femmes moins les
mortes, debout dans une seule salle obscure…
.
Chaque
nuit répète le jour, le jour traversé deux fois, donc, revécu la nuit, et
chaque journée nouvelle semblable à la précédente. C’est à perdre toute notion
du temps, de ses ruptures dans le monde du dehors, en dehors du camp, le camp
est une journée sans fin qui dure toute la nuit et tous les jours qui suivent,
une longue journée sans coutures infectée par des images de mort.
.
Le
jour du lilas, le 24 avril 1945, j’ai pensé à une amie, à ma sœur de Ravensbrück,
Teresa, à qui je dois de vivre. C’est à Teresa que je pense encore alors que je
vous parle. Et d’ailleurs regardez, cette branche de lilas blanc, oui, juste
derrière vous jeune homme ; regardez-la, qui cogne tout doucement à la
fenêtre.
*
Bibliographie
- Kinderzimmer,
éditions Actes Sud, 2013
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