En
vérité, en consacrant ma vie à la musique, je me suis porté secours à moi-même,
je me suis rendue à mon propre cœur. Sans cette incarnation, la musique n’a
aucun sens : ce n’est pas le musicien qui compte, ni d’ailleurs le
compositeur. C’est cette disposition à l’entendre avec tous ses sens, et à la
faire entendre avec sa chair. C’est dans cet échange, et dans cet échange
seulement, que la musique existe. Sinon, elle n’est que brouhaha, une masse de
sons de plus, certes plus harmonieuse, mais anecdotique. La musique est cet
échange ; le musicien, celui qui l’initie. Et cet échange ne peut être
fructueux que s’il nous accorde au monde.
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Il
s’agit, en fait, d’être capable de cette extrême attention qui conduit à
l’occupation physique et totale du territoire de l’instant. Cela peut sembler
obscur, et pourtant, une fois qu’on a saisi cette idée en la vivant au moins
une fois dans sa vie, elle devient lumineuse. Vivre l’instant et dans
l’instant, ce n’est pas se laisser aller au flot du temps, ni s’abandonner tel
un petit bouchon au cours de la journée, sans permettre aux regrets – la
concrétion des instants passés - , ou à l’inquiétude – la perspective des
difficultés à venir-, de polluer ce moment précis. Vivre l’instant, c’est
apprendre à rester conscient de tout ce qui nous entoure et d’en nourrir notre
âme.
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On
met toujours très longtemps à comprendre que, dans ce qui constitue notre être,
il y a la part des autres, qu’on leur doit, et qui induit une gratitude.
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Ce
qu’on appelle progrès, désormais, n’est autre qu’un fatalisme pernicieux,
l’abandon des forces de son propre destin à des entités inconnues, avides non
pas de progrès au sens propre, mais d’argent et de pouvoir. Le développement
scientifique, nous ne pouvons peut-être pas l’empêcher, mais nous pouvons le
contrôler sur le critère du bénéfice à la fois pour l’homme et pour la nature.
Nous devons inviter l’avenir à tenir sa place dans le cours des décisions, et
non plus l’occulter, le nier, comme c’est le cas aujourd’hui, remettant à de
futures découvertes – aux quelles personne ne se consacre – la solution des
catastrophes en cours.
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Les hautes heures de l’humanité, dans les
civilisations les plus raffinées qu’elle a su élaborer, sont celles où, dans un
pas de deux, indissociablement liées, l’expression artistique a accompagné la
science.
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La
musique, pour se déployer, a besoin d’un être vivant qui l’incarne.
« Vivant » veut dire relié au monde, participant à son élaboration, à
la construction de l’univers tout entier.
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Quels
que soient les temps, les lieux, les cultures, la grande difficulté pour chacun
restera toujours l’effort à accomplir pour se mettre à la place de l’autre,
pour admettre que ses raisons ne répondent pas toujours à notre mode de pensée,
qu’il n’agit pas systématiquement dans le même sens, ni pour sacrifier aux
mêmes intérêts.
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Notre
culture s’est isolée du monde, et dans le blanc qui nous sépare de lui, dans ce
no animal’s land, il y a désormais tout l’espace de la destruction.
*
Bibliographie
- Retour
à Salem, éditions Albin Michel, 2013
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