Dans le rapport que Friedrich Brenske, officier de la
section secrète, rédigea un peu plus tard pour ses supérieurs à Berlin sur le
cas de ces hommes (faits prisonniers en Italie après le 9 juillet 1943, munis
jusqu’à la fin de passeports américains et si vilainement reniés par leur
propre gouvernement, comme si les généraux et autres hauts dignitaires
allemands valaient plus encore que leur pesant d’or), il fit état aussi des
détails. Il décrivit le voyage pénible mais, de son point de vue, réussi qu’il
entreprit avec eux jusqu’à la mer, à Hambourg, et qui fut pour lui l’occasion
d’acquérir de nouvelles expériences précieuses (outre une somme rondelette pour
la Banque du Reich) ; il mentionna aussi la mutinerie de Katarzyna
Horowitz, insistant sur sa beauté et son air d’ingénuité quasi enfantine pour
expliquer la mort et la blessure de cadres de la Waffen-SS : notamment de
l’officier Horst Schillinger, mais aussi du jeune Sepp Hoyer, familièrement
surnommé « le blanc-bec », qui fut atteint d’une balle en tentant de
désarmer la prisonnière ; le danger, écrivit-il, aurait pu se solder par
des blessures graves pour une bonne douzaine d’hommes, et le susdit Sepp Hoyer
resterait vraisemblablement infirme à vie. Son dernier mot fut cependant pour
l’argent encaissé. Point final. Signature. Malgré toute sa culture et la
richesse de son expérience, il ne vint pas à l’esprit de M. Brenske que ses
supérieurs pourraient trouver une lointaine parenté entre sa propre rencontre
avec Katarzyna Horowitz et l’aventure d’une autre femme, entrée dans l’histoire
pour avoir décapité un chef d’armée, il est vrai, après l’avoir au préalable
enivré. Il était donc tout naturel qu’il n’en fît pas mention dans son rapport.
Le texte n’en était pas moins d’une lecture captivante.
M. Friedrich Brenske contempla son œuvre, satisfait de la
présentation soignée. Pendant ce temps il fit ouvrir la fenêtre à son
adjudant ; le chant du rabbin Dayem de Lodz, plaintif mais indéniablement
beau, lui parvint de la salle de séchage proche.
« Pour eux c’est normal et, pour nous, insensé. Ou
serait-ce l’inverse ? »
Mais il laissa la question sans réponse.
Et le rabbin Dayem de Lodz se mit à caresser les cheveux de
Katarzyna Horowitz, comme une fois déjà, puis aussi ses joues. Sans cesser de
lui parler :
« Ô ma toute petite, ma tendre, ma courageuse. Loué
soit ton nom, avant même le nom de Dieu. Ô ma vaillante, ma combattante. Que
ton nom soit cent fois loué. »
Et après il regarda brûler son corps, dépouillé de la
chevelure, et il redit tout dans son chant que ni M. Friedrich Brenske ni son
adjudant ni aucun des autres ne comprenait. « Cent fois courageuse, cent
fois bonne, mille fois juste, belle mille fois. »
*
Bibliographie
- La danseuse de Varsovie, éditions Galaade, 2012
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