Je ne m'étendrai pas.
Tandis que sur scène vous causiez (mais de quoi donc?), notre petit
noyau solidaire tentait d'inscrire sa démarche dans la durée.
C'est pas facile de
durer. C'est pas facile de vivre : faudrait être à la fois
dans cette intensité servie à domicile, disponible pour famille et
amis, ne rien lâcher de ce qui vous alimente, donc travailler
toujours plus pour toujours moins, faire les courses, entretenir la
maison, accompagner les enfants ici et là, écrire, réfléchir,
lire, lire, lire...
C'est pas facile de
vivre. On est toujours déchiré entre quelque chose et autre chose.
Puis on s'assoit sur le bord du chemin, avec le regret de voir la
retraite s'éloigner toujours, tandis que d'autres...
Mais sans jalousie aucune, hein ! T'avais qu'à pas naître après les trente piteuses.
Mais sans jalousie aucune, hein ! T'avais qu'à pas naître après les trente piteuses.
T'avais qu'à pas...
Et tandis que vous
causez, suis là à me demander ce que pourrait être ma ville et ma
vie si...
Si on n'crevait plus
devant ma porte, si des mains fébriles ne se tendaient plus dans la
rue Grande, chaque samedi, si le gite de nuit était enfin vide, et
si nous faisions quelques petites choses pour tous les humains en
errance, en déshérence, en partance et qui n'arrivent plus jamais
nulle part puisque le monde s'enferme dans les barbelés de sa
défunte mémoire.
Robert Antelme1,
vous avez lu ?
A sa lecture me suis dit
que nous avons atteint l'idéal du monde tel qu'il fut rêvé dans
les camps : même plus besoin de barbelés, on te les colle en
dedans, et tu peux voir des êtres partir en lambeaux sur les routes
désespérées, il se trouve toujours un festival pour détourner ton
attention et te ramener gentiment, comme le chien son troupeau, dans
le droit chemin de tes étroits égoïsmes.
Mais peut-être je lis
trop. Peut-être.
Peut-être je rêve trop.
Peut-être.
Je me fais mon festival de mot douze mois sur douze et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Comme vous je cause. Je tente de comprendre, et puis j'écris des textes sans importance, puisqu'on crève toujours autant un peu partout.
J'voudrais faire mon
festival de rêves qui se réalisent. Et ne plus me réveiller matin
avec cette amertume de vivre dans un grand écart permanent entre ce
que je dis, écris, et vis. Mais pour ça faudrait seulement qu'on
rallume les lumières et que, juste un peu, je n'ai plus cette sale
impression, en venant vous écouter, que mon attention se trouve détournée de l'essentiel : la mort d'un homme qui ne
demandait qu'à vivre est toujours une mort de trop.
J'ai beau lire, c'est ce
cri là que je lis et qui traverse les siècles. Ma généalogie se
tisse dans l'errance et le métissage. Elle ne me pose aucune
question, sinon qu'elle m'impose de participer à la construction
d'une littérature qui ne fait pas semblant d'ignorer ce qui se trame
par-delà la couverture où elle rêve.
28 septembre 2015
Xavier Lainé
Post scriptum :
quelques extraits de Robert Antelme peuvent être lus ici : http://lesnourritureslivresques.blogspot.fr/2013/07/robert-antelme.html
1 Robert
Antelme, L'espèce humaine, éditions Gallimard, collection Tel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu, avec vos commentaires qui sont modérés. Il vous faudra attendre avec patience leur modération pour les voir apparaître au bas de chaque article. Merci de votre compréhension