vendredi 25 septembre 2015

Lettre sans correspondance 3





Je ne peux pas vivre sans livres, sans me livrer au délice de ces mots qui dansent sur des pages, sans l'odeur du papier dans mon antre surchargée.

J'ai vécu très longtemps sans jamais rencontrer un « auteur ». Je n'imaginais d'ailleurs absolument pas qu'ils puissent avoir une existence concrète.
Sauf que parfois, encore aujourd'hui, ils sortent, nuitamment, de mes rêves et viennent chatouiller ma mémoire, me contraindre à reprendre mes lectures interrompues, en de longues insomnies.

J'ai ainsi croisé les illustres de mon panthéon, parfois tombant sur quelque biographies qui alimentent mes songes.
Parfois aussi, m'en voulant un peu de ce voyeurisme, j'entre dans leurs correspondances, m'imagine que leurs lettres me sont adressées et me mets à répondre, sans souci du temps ni de l'espace qui nous sépare.

Je garde un souvenir tellement intimidé des premières rencontres littéraires. Je ne dirai pas leur nom, et parfois je suis resté tellement réservé qu'il me fut impossible d'attirer leur attention.
J'ai une peur panique de paraître présomptueux, en étalant ce que je sais faire de mieux, écrire et, surtout, lire.
On me pousse pourtant, ici ou là, à franchir le Rubicon, mais jamais je n'ose et mes tiroirs débordent d'un flot dont mes successeurs auront à se débarrasser.

D'autres me disent que c'est par frustration que je critique cette grand-messe de rentrée, mais non, ils se trompent, c'est que je suis sans cesse la proie de mes doutes, que je ne suis sûr de rien et qu'à chaque livre ouvert, je mesure d'avantage la distance qui me sépare de ce que je voudrais encore écrire.
Je me retourne alors vers mes pages et d'un geste rageur, parfois, les déchire, ou les efface de mon écran. Si souvent j'eus à supporter l'intraitable jugement « peut mieux faire » sur mes copies que l'étiquette me colle à la peau.

Si aujourd'hui je jette mes bouteilles à la mer, c'est que l'écran me permet ce que le réel ne m'autorise pas : montrer mes mots et, si rougeur me monte au front, nul n'en est jamais témoin.
Je peux jeter ici mes poubelles de mot et marcher dans la rue sans faire état de cette tare d'écrire qui ne me lâche pas. Je peux me fondre dans le décor de ma ville, et n'être rien de plus que tous les passants anonymes.

Je ne demande plus rien depuis si longtemps qu'à voir ces « auteurs » parler de leur vie d'auteur, de leur désirs d'auteur, du pourquoi du comment qui guide leur écriture, moi qui ne sait que chercher sans jamais trouver, je reste stupéfait.
Gide me prend par la main pour passer la porte étroite du silence, à Giono je préfère celles et ceux qui tracèrent leur chemin de mots dans son ombre, parfois je reste en arrêt sur les vôtres, vous qui venez ici vous montrer, mais, rien que de vous voir, j'ai envie de fuir tant ma déception est grande.
Vous ressemblez si rarement à ce que vos ombres montrent, lorsque nuitamment, pour ne pas déranger la maisonnée, je me réfugie dans les lumières tamisées de cette pièces dont vous êtes les rois !

Hier donc, je n'ai rien vu. Il me fallait accompagner à voix commune une amie trop vite partie ; puis ouvrir ma porte comme chaque jour aux souffrances particulières et répandues que ce temps lègue. Et ce fut comme si mon monde quotidien ne pouvait croiser le votre, éphémère, qui pourtant me soutient. Nous ne nous croisons qu'à l'horizon des livres.

26 septembre 2015


Xavier Lainé

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