Je ne peux pas vivre sans
livres, sans me livrer au délice de ces mots qui dansent sur des
pages, sans l'odeur du papier dans mon antre surchargée.
J'ai vécu très longtemps sans jamais rencontrer un « auteur ». Je n'imaginais d'ailleurs absolument pas qu'ils puissent avoir une existence concrète.
Sauf que parfois, encore
aujourd'hui, ils sortent, nuitamment, de mes rêves et viennent
chatouiller ma mémoire, me contraindre à reprendre mes lectures
interrompues, en de longues insomnies.
J'ai ainsi croisé les
illustres de mon panthéon, parfois tombant sur quelque biographies
qui alimentent mes songes.
Parfois aussi, m'en
voulant un peu de ce voyeurisme, j'entre dans leurs correspondances,
m'imagine que leurs lettres me sont adressées et me mets à
répondre, sans souci du temps ni de l'espace qui nous sépare.
Je garde un souvenir
tellement intimidé des premières rencontres littéraires. Je ne
dirai pas leur nom, et parfois je suis resté tellement réservé
qu'il me fut impossible d'attirer leur attention.
J'ai une peur panique de
paraître présomptueux, en étalant ce que je sais faire de mieux,
écrire et, surtout, lire.
On me pousse pourtant,
ici ou là, à franchir le Rubicon, mais jamais je n'ose et mes
tiroirs débordent d'un flot dont mes successeurs auront à se
débarrasser.
D'autres me disent que
c'est par frustration que je critique cette grand-messe de rentrée,
mais non, ils se trompent, c'est que je suis sans cesse la proie de
mes doutes, que je ne suis sûr de rien et qu'à chaque livre ouvert,
je mesure d'avantage la distance qui me sépare de ce que je voudrais
encore écrire.
Je me retourne alors vers mes pages et d'un geste rageur, parfois, les déchire, ou les efface de mon écran. Si souvent j'eus à supporter l'intraitable jugement « peut mieux faire » sur mes copies que l'étiquette me colle à la peau.
Je me retourne alors vers mes pages et d'un geste rageur, parfois, les déchire, ou les efface de mon écran. Si souvent j'eus à supporter l'intraitable jugement « peut mieux faire » sur mes copies que l'étiquette me colle à la peau.
Si aujourd'hui je jette
mes bouteilles à la mer, c'est que l'écran me permet ce que le réel
ne m'autorise pas : montrer mes mots et, si rougeur me monte au
front, nul n'en est jamais témoin.
Je peux jeter ici mes poubelles de mot et marcher dans la rue sans faire état de cette tare d'écrire qui ne me lâche pas. Je peux me fondre dans le décor de ma ville, et n'être rien de plus que tous les passants anonymes.
Je peux jeter ici mes poubelles de mot et marcher dans la rue sans faire état de cette tare d'écrire qui ne me lâche pas. Je peux me fondre dans le décor de ma ville, et n'être rien de plus que tous les passants anonymes.
Je ne demande plus rien
depuis si longtemps qu'à voir ces « auteurs » parler de
leur vie d'auteur, de leur désirs d'auteur, du pourquoi du comment
qui guide leur écriture, moi qui ne sait que chercher sans jamais
trouver, je reste stupéfait.
Gide me prend par la main
pour passer la porte étroite du silence, à Giono je préfère
celles et ceux qui tracèrent leur chemin de mots dans son ombre,
parfois je reste en arrêt sur les vôtres, vous qui venez ici vous
montrer, mais, rien que de vous voir, j'ai envie de fuir tant ma
déception est grande.
Vous ressemblez si rarement à ce que vos ombres montrent, lorsque nuitamment, pour ne pas déranger la maisonnée, je me réfugie dans les lumières tamisées de cette pièces dont vous êtes les rois !
Vous ressemblez si rarement à ce que vos ombres montrent, lorsque nuitamment, pour ne pas déranger la maisonnée, je me réfugie dans les lumières tamisées de cette pièces dont vous êtes les rois !
Hier donc, je n'ai rien
vu. Il me fallait accompagner à voix commune une amie trop vite
partie ; puis ouvrir ma porte comme chaque jour aux souffrances
particulières et répandues que ce temps lègue. Et ce fut comme si
mon monde quotidien ne pouvait croiser le votre, éphémère, qui
pourtant me soutient. Nous ne nous croisons qu'à l'horizon des
livres.
26 septembre 2015
Xavier Lainé
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