Je regarde sur face de
bouc le parterre de têtes chenues présentes pour l'inauguration.
Etrange comme cette génération des trente glorieuses (ou piteuses)
a su s'approprier tout un monde hérité de la bonne bourgeoisie
industrielle !
Relisez donc Zola, et
vous verrez les travers de ce monde, inchangé sinon par une
démographie galopante qui après mai, vient s'asseoir sagement
écouter journalistes et auteurs mener leur psychanalyse publique.
Je me suis donc arrêté
un instant, carnet sur la table et stylo prêt à bondir.
L'écriture de Carole
Martinez1
m'invitait à prendre ce temps d'écoute.
Me voilà donc à la fois
subjugué et compatissant. Quelle horreur ce doit être de devenir un
« auteur ». Franchement, je trouve le retrait bien plus
confortable, au moins, il n'oblige pas à expliquer le pourquoi du
comment d'une inspiration !
Elle ne m'a pas déçu,
Carole, du tout, j'ai même retrouvé à l'écouter des réminiscences
de ces sentiments que son écriture avait fait jaillir, dans le
silence de mon bureau.
Mais voilà, j'aurais
aimé qu'on lui foute la paix. J'aurais aimé qu'elle se contente de
lire des passages de son travail avec son émotion dans la voix et
rester ignorant de ce qui, en elle, a permis ce jaillissement.
J'aurais aimé lire et relire (ce que je ferai), rien que pour voir
la lumière d'Esclarmonde ou de Blanche errer entre les rayonnages de
ma bibliothèque.
Deuxième jour, et je
demeure atterré.
C'est quoi un écrivain ?
A partir de quand mérite-t-il ce statut ronflant dans la bouche d'un
public ?
Etre écrivain, est-ce se faire devoir de passer sous les fourches Caudines d'une célébrité médiatique dont on sait qu'elle ne peut être qu'éphémère ?
Etre écrivain, est-ce se faire devoir de passer sous les fourches Caudines d'une célébrité médiatique dont on sait qu'elle ne peut être qu'éphémère ?
N'est-on écrivain qu'à
partir du moment où Gallimard a décidé de te reconnaître parmi
les siens ?
Ecrire c'est un acte secret et combien n'ont cessé de noircir des pages sans que rien, de leur vivant, ne laisse soupçonner cet envahissement ?
Combien donc d'écrivain
n'eurent (et n'auront) reconnaissance de ce statut qu'une fois six
pieds sous terre ?
Dans cette société où
tout fait spectacle, le meilleur comme le pire, je regarde avec
effarement cette agitation aux antipodes de ce silence nécessaire au
jaillissement de la source intarissable.
Ecrire ne donne rien de
plus, et je n'en ai rien à faire qu'un René Frégni soit
allé chez ses amis, écrire un mot. Savez-vous combien en écrivent
de bien plus beaux en secret.
Je n'en ai rien à faire
du talent de Sonia Chiambretto qui viendra lire « ses »
textes demain : je lui préfère la discrétion militante d'un
Erri de Luca, celle, bien obligée d'un Faraj Bayrakdar
oublié, et de tous ces simples écrivains qui ont contribué au
Radeau des médusés2,
loin des flon-flons admiratifs d'une foule captive.
Ce fétichisme de
l'auteur m'est insupportable.
25 septembre 2015
Xavier Lainé
1 Carole
Martinez : Le cœur cousu (Folio), Du domaine des murmures et
La terre qui penche (Gallimard collection Blanche)
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