Rien vu non plus, sinon
place vide à l'heure de proclamer poèmes écrits de mains presque
anonymes, sur le Radeau des médusés1.
Place presque vide à
l'heure où vous faisiez la sieste, tandis qu'ailleurs...
J'hésite encore à
tremper ma plume dans le vinaigre.
Une venait, un peu
étonnée de découvrir Manosque sous le jour de son étroite
bourgeoisie. Et je riais de son étonnement : une si jolie
petite ville sans histoire !
Tellement qu'elle
s'étonne elle-même de recevoir presque sans rien faire, sinon
larguer subsides, le gratin d'une rentrée littéraire plus à l'aise
entre les pages des médias à la mode.
Mais comment donc, vous
rentrez ? C'était donc que vous étiez sortis ?
Dois-je avouer ne pas
avoir à subir ces affres puisque ne m'en sors jamais. M'arrive bien
plus souvent de râler (hé oui, encore!) après ce temps inventé
pour m'empêcher de faire et écrire tout ce que ma tête ne cesse
d'inventer !
Ne m'en sors jamais.
Et le plus souvent écris
et lis dans ce no man's land où poésie n'a plus d'espace. Plus
d'espace pour dire ce qui me glace le sang, ce qui me tire les
larmes.
Les journaux et
informations (est-ce bien le mot?) en disent tant, à l'heure du
déjeuner, en montrent tant, à l'heure du dîner, que poésie
devrait proposer autre chose : compter fleurette insouciante, à
l'ombre des jeunes filles en fleurs, peut-être. Mais même l'ami
Marcel Proust, au fond, ne faisait que dénoncer l'artifice de
cette bourgeoisie triomphante et qui ne cesse de remporter ses
victoires sur l'immense peuple des dépossédés, masquant sa
violence d'une pudique culture.
Ne m'en sors jamais,
parfois me contredit. Parfois me faut m'excuser de m'être un peu
emporté. On ne vit pas avec passion sans quelques dommages
collatéraux (ils sont dans l'air du temps, ceux-là ; et j'ose
espérer ceux provoqués par mes mots moins violents que d'autres
dont le monde abonde).
Suis quand même entré
chez ma libraire qui comme toutes les libraires a un tout petit rayon
de poésie, et comme sa librairie est toute petite, le rayon mesure
un mètre, en allant vers l'alcôve (j'aime bien, cette idée :
les vers se lisent désormais ainsi, chuchotés en des lieux
discrets, tandis qu'éclate au grand soleil la littérature
spectacle).
Je suis entré, et
ressorti, le porte-feuille délesté mais la besace pleine :
Boualem Sansal et son « 2084 »2,
pas invité aux réjouissances, Matthew T. Kapstein et ses
« Tibétains »3,
pas invité non plus, et Patrick Boucheron en compagnie de
Mathieu Riboulet, invité, lui, avec « Prendre dates »4.
Va me falloir un jour envisager de pousser les murs...
Ne m'en sors pas, vous
dis-je !
Puis voilà que
j'aperçois, là, devant moi, Isabelle Alentour5,
en chair et en os, que je ne connaissais que de très médiatique
façon. Et ce fut comme si nous nous connaissions de
toujours.
Peut-être, finalement, ne suis-je pas le sauvage que je voudrais paraître.
Peut-être, finalement, ne suis-je pas le sauvage que je voudrais paraître.
Notre participation
commune au Radeau nous rapproche un instant, nous sommes de ce monde
qui écrit dans la marge, et la marge bientôt tiendra toute la
place, à force de miser sur autre chose que la littérature.
Je l'ai profondément déçue, Isabelle : elle s'attendait à un type aigri, replié, en colère permanente. Je l'ai déçue. Tant pis pour elle : rien à voir, circulez, je ne suis que le reflet des aigris qui peuplent cette ville, repliés sur eux-mêmes au point de râler contre ces empêcheurs de penser en rond qui occupent la place Saint Sauveur depuis trois jours ! Un reflet, ça ne fait pas une personne, et si souvent nous y sommes réduits, faute de ce lien qui nous tisse en humanité quand le seul spectacle nous en éloigne.
Je l'ai profondément déçue, Isabelle : elle s'attendait à un type aigri, replié, en colère permanente. Je l'ai déçue. Tant pis pour elle : rien à voir, circulez, je ne suis que le reflet des aigris qui peuplent cette ville, repliés sur eux-mêmes au point de râler contre ces empêcheurs de penser en rond qui occupent la place Saint Sauveur depuis trois jours ! Un reflet, ça ne fait pas une personne, et si souvent nous y sommes réduits, faute de ce lien qui nous tisse en humanité quand le seul spectacle nous en éloigne.
Puis je me retourne, et
qui je vois ? Sonia Chiambretto, dont « l'état
civil »6
traine sur mon bureau depuis longtemps. Je lui dois des excuses, à
Sonia. Nous nous connaissons depuis si longtemps et je lui en ai
tellement voulu que nous puissions nous croiser dans la rue sans le
moindre signe de reconnaissance (ce que j'avais pris pour un geste de
suffisance).
J'avais mal compris, tant
l'appel à ce qu'elle lise ses propres textes avait été lancé du
fond du cœur ! Nous nous sommes retrouvés sur la même
longueur d'onde : celle de l'auteur qui se fond derrière son
œuvre, fuyant la galère d'un monde éditorial dont la seule
boussole se tourne vers le Nord glacé du rapport financier.
Et puis je suis rentré,
avant que ma tribu ne vitupère trop. Je suis rentré, puisque, pour
une fois, j'étais sorti, et c'est au crépuscule que mes voisins se
sont étonnés que mon Autre lieu7
ne soit inscrit en rien dans ce grand chambardement.
Qui sait s'il ne faudrait
pas, finalement, chercher à en être, et ouvrir ma porte au monde
singulier des écrits souterrains...
27 septembre 2015
Xavier Lainé
2 Boualem
Sansal, 2084, La fin du monde, éditions Gallimard collection
Blanche
3 Matthew
T. Kapstein, Les tibétains, éditions Les belles lettres
4 Patrick
Boucheron, Mathieu Riboulet, Prendre dates, éditions Verdier
5 Il
faudrait qu'un éditeur se penche sur son ouvrage autoédité sous
son nom, avec des photographies de Zaspi : Isabelle
Pellegrini, Parenthèse(s), introuvable comme de bien entendu...
6 Sonia
Chiambretto, Etat civil, éditions Nous
7 L'autre
lieu : http://autrelieu.blogspot.fr
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