Comme
un chien pisse et aboie, comme un rossignol chante, un cerf brame, un éléphant
barrit... un chasseur sonne du cor, un vil dragueur siffle une femme... un
fabricant répand ses produits et crie dans le plus de volume possible la publicité
de leur excellence prétendue. Chacun s'expanse dans l'espace. Ils pissent dans
la piscine. Même le fumeur, même l'adolescent amateur du tintamarre émané de
son deux-roues... crient la même affirmation de soi dans le volume ainsi envahi
de volutes ou de sons: ego, ego, pète la moto de l'ado, révolté obéissant,
puisque imitant servilement les proprios de son espace et de son temps, télé,
pub et radio. Ses pets sortant d'un pot dut d'échappement, tout aussi bien
nommé, je l'ai dit, que le fondement naturel ou, des vestales, la porte
stercoraire. Inondé de pub, qui, assourdi, ne voit un anus dans le baffle d'un
haut-parleur ?
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Comment
ne pas pleurer de dégoût et d’horreur devant le saccage des entrées de nos
villes de France, autrefois ruralement aimables, où les entreprises remplissent
l’espace de la hideur de leurs marques en se livrant la même bataille forcenée
que les espèces de la jungle, pour s’approprier, par images et phrases, comme
les animaux par leurs cris et leur pisse, l’étendue et l’attention
publiques ? Exclu de ladite entrée, je n’y habite plus ; seuls les
puissants, chiant dessus, de leur laideur, la hantent. Vieille Europe, quelle
classe dominante inculte te tue ?
*
Saisi par le roulis, le corps du marin
devine pour la première fois le sens littéral du terme : vertèbres.
Verticales, certes, mais venues du verbe latin verto, qui signifie tourner,
virer vertigineusement. Vertèbres : autrement dit roulis.
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Qui navigue n’est pas là, au sens de
l’être-là ; il tangue et roule comme l’embryon dans le ventre élastique de
la poche utérine, nage dans une mobilité amniotique, remonte vers des temps où
il retrouve l’origine de sa courte vie, mais aussi celle, milliardaire, des
espèces.
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Platement terriennes et donc courtes, nos
philosophies oublient l’océan comme espace-temps principiel, berceau
primordial, utérus liquide, mère universelle, soupe primitive, oui,
commencement.
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De l’oubli, assumé par la philosophie, de
ce temps gigantesque ; de cet effacement, consommé par elle, des origines
de la vie, pourtant largement étalées devant elles, découlent certains crimes
d’aujourd’hui, perpétrés par nos techniques.
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Le verbe appareiller signifie d’abord
quitter le sol statique et se lancer dans le temps versatile et follement
contingent de l’évolution.
*
Notre culture a horreur du monde.
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Brûlante, l’histoire reste aveugle à la
nature.
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Procédé usuel dans les batailles d’ondes
et d’images : le brouillage. Le soir, dans les foyers, la clameur de la
télévision fait taire toute discussion.
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Nous ne discutons plus, c’est le cas de
le dire. Pour nous l’interdire, notre civilisation fait hurler moteurs et
haut-parleurs.
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Le changement global qui s’amorce
aujourd’hui non seulement amène l’histoire au monde, mais transforme aussi la
puissance de ce dernier en précarité, en infinie fragilité.
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Quand tous se battent contre tous, il n’y
a pas d’état de guerre, mais violence, crise pure et déchaînée, sans arrêt
possible, et menace d’extinction de la population qui s’y adonne. En fait et
par le droit, la guerre même nous protège contre la reproduction indéfinie de
la violence.
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La croissance de nos moyens rationnels
nous entraîne, à une vitesse difficile à estimer, dans la direction de la
destruction du monde qui, par un effet en retour assez récent, peut nous
condamner tous ensemble, et non plus par localités, à l’extinction automatique.
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Se fait rare l’être là.
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La science somme fait et droit :
d’où sa place aujourd’hui décisive. En situation de contrôler ou de violenter
le monde social, les groupes savants se préparent à piloter le monde mondain.
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La beauté requiert la paix ; la paix
suppose un contrat nouveau.
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Nous devons décider la paix entre nous
pour sauvegarder le monde et la paix avec le monde afin de nous sauvegarder.
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Nous ne savons pas, pour le moment,
estimer les transformations générales sur une telle échelle de grandeur et de
complexité, sans doute et surtout même ne savons-nous pas penser les rapports
entre le temps qui passe et le temps qu’il fait : un seul mot pour deux
réalités qui paraissent disparates.
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Ne vivant plus qu’à l’intérieur, plongés
exclusivement dans le premier temps, nos contemporains, tassés dans les villes,
ne se servent ni de pelle ni de rame, pis, jamais n’en virent. Indifférents au
climat, sauf pendant leurs vacances, où ils retrouvent, de façon arcadienne et
pataude, le monde, ils polluent, naïfs, ce qu’ils ne connaissent pas, qui
rarement les blesse et jamais ne les concerne.
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Nous avons perdu le monde : nous
avons transformé les choses en fétiches ou marchandises, enjeux de nos jeux de
stratégie ; et nos philosophies, acosmistes, sans cosmos, depuis tantôt un
demi-siècle, ne dissertent que de langage ou de politique, d’écriture ou de
logique.
Au moment même ou physiquement nous
agissons pour la première fois sur la Terre globale, et qu’elle réagit sans
doute sur l’humanité globale, tragiquement, nous la négligeons.
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Pour sauvegarder la Terre ou respecter le
temps, au sens de la pluie et du vent, il faudrait penser vers le long terme,
et, pour n’y vivre pas, nous avons désappris à penser selon ses rythmes et sa
portée.
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Les administrateurs tiennent la
continuité, les médias la quotidienneté, la science enfin le seul projet
d’avenir qui nous reste.
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Le bilan des dommages infligés à ce jour
au monde équivaut à celui des ravages qu’aurait laissés derrière elle une
guerre mondiale.
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Nous ne nous battons plus entre nous,
nations dites développées, nous nous retournons, tous ensemble, contre le
monde.
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Dominer, mais aussi posséder :
l’autre rapport fondamental que nous entretenons avec les choses du monde se
résume dans le droit de propriété.
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La Terre exista sans nos inimaginables
ancêtres, pourrait bien aujourd’hui exister sans nous, existera demain ou plus
tard encore, sans aucun de nos possibles descendants, alors que nous ne pouvons
exister sans elle.
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Nous n’avons encore dressé aucune balance
où le monde entre en compte, au bilan final.
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Le parasite prend tout et ne donne
rien ; l’hôte donne tout et ne prend rien. Le droit de maîtrise et de
propriété se réduit au parasitisme. Au contraire, le droit de symbiose se
définit par réciprocité : autant la nature donne à l’homme, autant
celui-ci doit rendre à celle-là, devenue sujet de droit.
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En fait, la Terre nous parle en terme de
forces, de liens et d’interactions, et cela suffit à faire un contrat. Chacun
des partenaires en symbiose doit donc, de droit, à l’autre la vie sous peine de
mort.
Tout cela resterait lettre morte si on
n’inventait un nouvel homme politique.
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Rien de plus faible qu’un système global
qui devient unitaire. A loi unique, mort subite. L’individu vit d’autant mieux
qu’il se fait nombreux : ainsi des sociétés, ou même de l’être en général.
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Tout le monde vogue sur le monde comme
l’arche sur les eaux, sans aucune réserve extérieure à ces deux ensembles,
celui des hommes et celui des choses. Nous voici donc embarqués !
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La notion de négligence fait comprendre
notre temps.
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La modernité néglige, absolument parlant.
Elle ne sait ni ne peut ni ne veut penser ni agir vers le global, temporel ou spatial.
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Nous savions aimer le prochain, parfois,
et le sol, souvent, nous avons appris difficilement à aimer l’humanité, si
abstraite autrefois, mais que nous commençons à rencontrer plus fréquemment,
voici que nous devons apprendre et enseigner autour de nous l’amour du monde,
ou de notre Terre, que désormais nous pouvons contempler en entier.
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Il n’y a de réel que l’amour et de loi
que de lui.
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La liberté commence par l’ignorance où je
suis et désire rester sur les activités ou les pensées de mes proches et par
l’indifférence relative que l’espère qu’ils nourrissent à l’égard des miennes,
par manque d’information.
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Le local envahit le global et devient
totalitaire ou intégriste. La justice et la laïcité inversent cette tendance et
luttent contre elle en assignant places et attributions.
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Il arrive parfois que ce qui contribue à
la libération se retourne et devienne un pouvoir qui nous tienne en esclavage.
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La nature gît hors le collectif : ce
pour quoi l’état de nature reste incompréhensible au langage inventé dans et
par la société ou inventant l’homme social. La science édicte des lois sans
sujet dans ce monde sans hommes : ses lois diffèrent des lois du droit.
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Les limites de la connaissance, efficace
et précise, celles de l’intervention rationnelle, n’avoisinent plus seulement
l’ignorance ou l’erreur, mais encore le risque de mort. Savoir ne nous suffit
plus.
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Jeune et vieux en même temps, le Sage
accède à l’âge mûr.
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Depuis que nous avons décollé, en un
puissant et lointain appareillage, nous comptons sur des liens immatériels plus
que sur des racines. Serait-ce donc la fin des appartenances ?
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L’éducation forme et renforce un être
prudent qui se juge fini ; l’instruction de la raison vraie le lance dans
un infini devenir.
La Terre fondamentale est limitée ;
l’appareillage qui part d’elle ne connaît pas de fin.
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Dans l’usage, le non-droit l’emporte sur
le droit. De cette franchise des coudées vient l’aise de nos corps.
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Bibliographie
- Le
mal propre, Polluer pour
s'approprier ? Editions Le Pommier, 2008
- Philosophie Magazine n°51
- Le
contrat naturel, éditions Flammarion Champs essais, 1992
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