dimanche 28 septembre 2014

Lettre sans correspondance 5




Vu d'ici il ne se passait rien. Rien qu'un dimanche ordinaire avec ses rues vides, ses rares promeneurs. On aurait pu croire la ville déjà rendormie.
Pour une fois, dès le matin, j'ai regardé le programme. N'y trouvant aucune pépite alléchante, je suis retourné au traitement de mes boiseries avant que l'automne ne vienne me les corrompre. Tout à cette tâche j'avais affiché sur ma porte que l'exposition, en bas, en « L'autre lieu », était ouverte.
Il est vrai que très peu de gens se sont aventurés devant. Mais des rares qui le firent, il n'y eut aucune curiosité. Il est les vrai que celle-là ne fait que rarement la fête, et lorsque trop lui est offert, elle se referme comme une huitre qu'aucun couteau ne saurait ouvrir.

Car c'est une des difficultés : non que pendant quatre jours il y ait trop, c'est la nature même d'un festival que de proposer sur un plateau une pléthore. Mais lorsque ce trop vient dans la foulée d'un rien, même la plus saine curiosité ne sait plus où donner de la tête.
Je me rappelle de ces années fastes où j'achetais compulsivement tous les ouvrages des auteurs invités. Je n'en lisais pas la moitié et certains sont encore là où je les ai posés, sur la pile des ouvrages à lire. D'autres furent entamés sans pouvoir avancer dans leur lecture, faute de m'y retrouver.
Et leur crise passant par là, même le plus lecteur des lecteurs se voit contraint à la parcimonie. Peu à peu, devant l'accumulation des nouveautés, j'ai appris à rester de marbre. Voilà où mène la gigantesque confusion entre démocratisation de la culture et son cantonnement au toujours plus marchand. Trop de livre tue le livre, d'autant que ceux qui les produisent (la filière), n'ont point l'oeil rivé sur le contenu mais sur la quantité suffisante pour alimenter leurs gourmands dividendes.
Ils ont oublié que dans l'achat d'un livre, il ne suffit pas d'un petit cœur qui te fasse clin d'oeil, ni de l'image plus ou moins alléchante que l'auteur saura donner de son œuvre.
Puis-je m'aventurer à émettre cette idée que la véritable œuvre se passe volontiers de son auteur. La véritable œuvre suit sa propre route, une fois émise, non par le nom de son auteur sur une couverture rutilante, mais dans ce subtil agencement des mots qui fait qu'on reconnaît bien un cheminement de pensée, une recherche qui nous pousse, une fois lu, à regarder si celui qui écrit est bien celui auquel on pense.

C'est au fond comme en musique, Mozart n'est Mozart que dans la mesure où son œuvre le dépasse et lui ressemble. Et je n'ai pas besoin de savoir que c'est lui : je peux écouter ses symphonies, me laisser gagner par son Requiem, je sais qu'il est là derrière.
C'est l'oeuvre qui rend l'auteur immortel, non sa façon de parler en public de celle-ci.
Je lisais ici ou là, sans savoir retrouver où, l'attitude insupportable d'agressivité d'une auteur contre une autre qui briguent toutes deux quelque inénarrable prix de littérature.
Ceci contient cela. Depuis fort longtemps je n'achète aucun livre estampillé d'un prix. Et le combat des petits coqs d'écriture, chacun persuadé de mieux écrire que son voisin m'est insupportable.
Voilà à quoi mène une littérature sans âme, un divertissement sans esprit. On fait la guerre pour obtenir la notoriété sans même penser que celle-ci, dans l'histoire a toujours suivi les chemins creux, les sentes abandonnées du grand public pour comme les Sorgues, rejaillir ici ou là sans prévenir tandis que l'auteur depuis longtemps mange les pissenlits par la racine.
Et c'est fascination pour moi que tant de gens au demeurant intelligent se précipitent à regarder le doigt quand il faudrait observer la lune.

La fête est donc une fois de plus finie. La ville n'aura été qu'à peine secouée par sa présence. Leur crise marque plus son empreinte qu'un rassemblement d'intelligence. Je n'ai pas de solution à proposer. Je cherche, et désormais j'ai mon « Autre lieu » pour y travailler. Et l'an prochain sera ce qu'il sera, ni meilleur ni pire, mais si la passion d'écrire vient à la rencontre d'un quartier, peut-être verrons-nous un début d'aurore se profiler à l'horizon de nos rêves.

© Xavier Lainé

29 septembre 2014

1 commentaire:

  1. Moi, je suis certain que nous verrons un début d'aurore se dessiner à l'horizon :)

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