Vu
d'ici il ne se passait rien. Rien qu'un dimanche ordinaire avec ses
rues vides, ses rares promeneurs. On aurait pu croire la ville déjà
rendormie.
Pour
une fois, dès le matin, j'ai regardé le programme. N'y trouvant
aucune pépite alléchante, je suis retourné au traitement de mes
boiseries avant que l'automne ne vienne me les corrompre. Tout à
cette tâche j'avais affiché sur ma porte que l'exposition, en bas,
en « L'autre lieu », était ouverte.
Il
est vrai que très peu de gens se sont aventurés devant. Mais des
rares qui le firent, il n'y eut aucune curiosité. Il est les vrai
que celle-là ne fait que rarement la fête, et lorsque trop lui est
offert, elle se referme comme une huitre qu'aucun couteau ne saurait
ouvrir.
Car
c'est une des difficultés : non que pendant quatre jours il y
ait trop, c'est la nature même d'un festival que de proposer sur un
plateau une pléthore. Mais lorsque ce trop vient dans la foulée
d'un rien, même la plus saine curiosité ne sait plus où donner de
la tête.
Je
me rappelle de ces années fastes où j'achetais compulsivement tous
les ouvrages des auteurs invités. Je n'en lisais pas la moitié et
certains sont encore là où je les ai posés, sur la pile des
ouvrages à lire. D'autres furent entamés sans pouvoir avancer dans
leur lecture, faute de m'y retrouver.
Et
leur crise passant par là, même le plus lecteur des lecteurs se
voit contraint à la parcimonie. Peu à peu, devant l'accumulation
des nouveautés, j'ai appris à rester de marbre. Voilà où mène la
gigantesque confusion entre démocratisation de la culture et son
cantonnement au toujours plus marchand. Trop de livre tue le livre,
d'autant que ceux qui les produisent (la filière), n'ont point
l'oeil rivé sur le contenu mais sur la quantité suffisante pour
alimenter leurs gourmands dividendes.
Ils
ont oublié que dans l'achat d'un livre, il ne suffit pas d'un petit
cœur qui te fasse clin d'oeil, ni de l'image plus ou moins
alléchante que l'auteur saura donner de son œuvre.
Puis-je
m'aventurer à émettre cette idée que la véritable œuvre se passe
volontiers de son auteur. La véritable œuvre suit sa propre route,
une fois émise, non par le nom de son auteur sur une couverture
rutilante, mais dans ce subtil agencement des mots qui fait qu'on
reconnaît bien un cheminement de pensée, une recherche qui nous
pousse, une fois lu, à regarder si celui qui écrit est bien celui
auquel on pense.
C'est
au fond comme en musique, Mozart n'est Mozart que dans la mesure où
son œuvre le dépasse et lui ressemble. Et je n'ai pas besoin de
savoir que c'est lui : je peux écouter ses symphonies, me
laisser gagner par son Requiem, je sais qu'il est là derrière.
C'est
l'oeuvre qui rend l'auteur immortel, non sa façon de parler en
public de celle-ci.
Je
lisais ici ou là, sans savoir retrouver où, l'attitude
insupportable d'agressivité d'une auteur contre une autre qui
briguent toutes deux quelque inénarrable prix de littérature.
Ceci
contient cela. Depuis fort longtemps je n'achète aucun livre
estampillé d'un prix. Et le combat des petits coqs d'écriture,
chacun persuadé de mieux écrire que son voisin m'est insupportable.
Voilà
à quoi mène une littérature sans âme, un divertissement sans
esprit. On fait la guerre pour obtenir la notoriété sans même
penser que celle-ci, dans l'histoire a toujours suivi les chemins
creux, les sentes abandonnées du grand public pour comme les
Sorgues, rejaillir ici ou là sans prévenir tandis que l'auteur
depuis longtemps mange les pissenlits par la racine.
Et
c'est fascination pour moi que tant de gens au demeurant intelligent
se précipitent à regarder le doigt quand il faudrait observer la
lune.
La
fête est donc une fois de plus finie. La ville n'aura été qu'à
peine secouée par sa présence. Leur crise marque plus son empreinte
qu'un rassemblement d'intelligence. Je n'ai pas de solution à
proposer. Je cherche, et désormais j'ai mon « Autre lieu »
pour y travailler. Et l'an prochain sera ce qu'il sera, ni meilleur
ni pire, mais si la passion d'écrire vient à la rencontre d'un
quartier, peut-être verrons-nous un début d'aurore se profiler à
l'horizon de nos rêves.
©
Xavier Lainé
29
septembre 2014
Moi, je suis certain que nous verrons un début d'aurore se dessiner à l'horizon :)
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