Il faut remercier le pouvoir en place, le régime, ses ministres, sa
police : ils rendent aux livres (et à la pensée) une puissance qu’il n’y avait
plus personne à leur donner. Ceux-ci glissaient insensiblement dans
l’indifférence (rien de plus vieux, de plus archaïque) ; et la police s’en
inquiète qui cherche dans les bibliothèques ; et dit : «C’est un danger ; ils
mettent l’Etat en danger ; on a eu tort de croire que le divertissement les
avait tous emportés ; ils nuisent : à l’ordre, au bien, aux familles, à la
paix, au capital, à l’argent ; c’est plein de vieux rêves avec lesquels on
croyait en avoir fini ; dont on croyait s’être débarrassé ; qui sait ce qui
peut s’éveiller d’un tel rêve ? La révolution ? L’égalité ? Diable !
Surveillance, surveillance… » A tout prendre, n’est-ce pas mieux ?
*
« Le changement, c’est maintenant. » Slogan pauvre (ce
qu’on a beaucoup dit) ? Au contraire, slogan parfait, que la versatilité
de l’opinion était libre d’interpréter comme le programme d’une politique possible,
réellement promise de
« changer » (changer quoi ? c’est ce qu’on s’est
précautionneusement abstenu d’annoncer), quand il ne s’agissait en réalité
que de procéder au changement des élite
susceptibles de conférer à la même politique (à très peu près) la variante qui
la sauverait.
.
En quoi la domination est-elle parfaite ? En ayant réduit son
alternative à l’état d’illusion. Illusion elle-même parfaite qui veut que
pensent voter contre la domination ceux-là même qui la reconduisent à
l’identique (ou presque : ses excès exceptés).
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Que feront le président et le gouvernement de
« gauche » ? Du mieux qu’ils peuvent ce qu’ils veulent. Ça tombe
bien, ils ne veulent pas plus qu’ils ne peuvent.
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C’est par là que la politique va d’abord revenir (revient) – autrement
dit, par cette tromperie : tous ne jouiront par auxquels on l’avait
pourtant promis. Cette tromperie fera que la politique reviendra par son
versant violent (fasciste).
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Le président, le gouvernement réduisent-ils d’eux-mêmes la rémunération
de leur travail : ils indiquent par là que le travail devra dorénavant
consentir à de moindres rémunérations, à la différence du capital, dont les
rémunérations, elles, augmentent.
Ils indiquent aussi par là qu’ils ont fait leur l’idée selon laquelle
ce n’est plus au travail mais au capital qu’on devra à l’avenir les meilleures
rémunérations.
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En réalité, c’est avec l’idée même de « partage » qu’on en a
maintenant fini.
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Cette assurance s’est affermie : ce ne sera pas au moyen du
travail que s’établira l’égalité. Ce ne sera pas davantage au moyen des luttes.
Non : ce sera au moyen de tout ce que la fortune (les signes, le jeu, les
chiffres, la chance, etc.) est susceptible d’assembler. Il n’y a rien qu’on ne
soit prêt à sacrifier (soi-même, sa dignité, etc.) pourvu que ceux qu’on
imagine disposer de l’argent le concèdent à qui se le croit dû au titre de sa
prosternation.
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A personne l’argent n’est si cher qu’à celui à qui il se refuse.
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C’est une horreur, bien sûr, mais qui n’indigne plus. L’argent n’est pas
devenu la valeur sans que toutes les autres valeurs n’aient dû lui céder la
place. Sans que toutes les autres n’en aient été renversées. De toutes les
inversions, c’est celle à laquelle on était le moins préparés.
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Nul ne l’a statistiquement encore établi, mais il n’en semble pas moins
qu’il n’y a, tout compte fait, jamais eu autant d’argent.
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Il n’y a pas de parti à occuper le pouvoir aujourd’hui, à la tête de
quelque Etat que ce soit (la France dans le cas présent), qui ne soit
constitutivement de droite (capitaliste) du point de vue du modèle
« démocratique » (parlementaire) qui lui a permis de s’y porter.
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La gauche n’existe plus, partout, qu’à l’état aléatoire de vieille
mauvaise conscience.
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On ne rappellera pas sans arrière-pensée que proxenetês était celui qui
s’entremettait dans un marché, hors de toute acception sexuelle, autrement dit
ce qu’on appelle encore un « courtier ».
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Auto-entrepreneur : celui qui « s’entreprend » lui-même
dans l’échange ou le service ; et s’identifie au rapport qu’il établit par
leur moyen. Sans médiation, c’est-à-dire sans reste (se fait courtier de
lui-même). Tout entier ce qu’il fait et dans la mesure où ce qu’il fait
l’identifie indistinctement à ce qu’il est. La figure est parfaite qui
parachève le modèle de l’exploitation.
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Le fait n’est pas niable : c’est la gauche qui a toujours revigoré
la domination, et la finance en tant qu’elle la constitue.
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La domination n’ignore pas, au contraire de la droite, qu’on ne
conserve et consolide le pouvoir qu’en y associant étroitement qui s’y oppose,
qui s’y oppose le plus, surtout. Qu’on ne le conserve et consolide même
qu’ainsi (réservant alors à qui s’y rallie, même tardivement, tardivement
surtout, les places les meilleures pour le prix de son ralliement).
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Tout le temps qu’on a montré à l’opinion nationale des pauvres qu’on
appauvrissait un peu plus par le moyen de la force, de quoi détournait-on son
attention ? Des reniements qui l’appauvriraient elle-même, après.
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Si peu que le nouveau gouvernement de « gauche » ait dit
vouloir, il veut cent jours plus tard le contraire exactement. On ne s’en
étonnera pas. Il n’appartient à aucun gouvernement de vouloir ce que la
domination n’a pas voulu pour lui. Laquelle tient les changements politiques
pour de pauvres péripéties, qu’elle ne semble concéder dans un premier temps
(le temps que les apparences de la démocratie restent sauves) que pour les
rapporter aussitôt aux intérêts qui sont inébranlablement les siens.
*
Bibliographie
- Interview
par mails avec Thierry Guichard, parue
dans Le Matricule des Anges, n°104, juin
2009
-
Les
singes de leur idéal, sur l’usage récent du mot « changement », De la
domination 5, éditions Lignes, 2013
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