Si
la vie est un songe, c’est un songe qui exige l’éveil.
.
Ce
qui nous permet de déchiffrer les rêves, c’est le temps et eux, à leur tour,
ils nous permettent de nous approcher du temps tel qu’il est vécu par l’homme.
.
L’homme est l’être qui endure sa propre transcendance.
.
La
voie d’accès pour découvrir la structure métaphysique de la vie, le lieu où
elle se révèle sans autre conséquence que de permettre finalement d’accepter la
condition humaine, c’est l’être de l’homme.
.
Pénétrer
à l’intérieur de la réalité qui l’entoure n’est pas possible à l’homme. Mais
intérieurement, il la connaît. Intérieurement
et non « subjectivement », comme s’il avait été plongé dans le
cœur de la réalité. Et tout en lui restant étranger.
.
La
poésie, sans attendre que la validité, l’expérience de « l’autre » et
le négatif dans toutes ses variantes soient établis, a suivi le soleil dans son
cheminement, essayant de refléter ce qu’il éclaire de façon invisible pour ceux
qu’il a abandonnés dans sa course.
.
Un
humain ne manifeste jamais l’absolu de sa présence.
.
Etre
avec soi-même est toujours un état relatif et requiert également une vigilance,
comme le présent de l’être devant autrui. Sa présence est apparition,
phénomène, même pour soi-même. Et l’ici, avec autrui ou avec soi-même, n’existe
jamais complètement.
.
Ce
n’est pas dans la conscience que se génère le sentiment d’être étranger à
soi-même, mais c’est sous le regard de la conscience que l’on peut le devenir.
Celui qui se voit, n’est pas forcément avec lui-même, il se voit hors de soi.
.
La
conscience objectivise avec sa clarté la réalité dans laquelle elle trempe.
.
L’homme
souffre de sa propre transcendance, de sa propre occultation, de son immanence
ou être, jusqu’à sombrer, en elle. L’homme dort.
.
Dormir
est une chute dans un zone d’ombre de laquelle émergé l’état de veille.
.
Dans
le vide entre l’hier et l’aujourd’hui, se trouve l’irréparable du temps passé.
.
S’il
y avait une continuelle continuité, est-ce que quelque chose pourrait être
révélé à l’homme sur lui-même ? Sans le temps, l’homme aurait-il ce
minimum de perception de ce qu’il est en train de vivre ?
.
A
long terme, maîtriser le lieu de la réalité devient une tension intolérable, la
tension qui surgit du fait de rester toujours présent à soi-même.
.
Là
où commence la vie, commence la discontinuité.
.
La
maîtrise de l’espace physique par le corps implique chez l’homme l’état
d’éveil, un autre espace à parcourir et à maîtriser.
.
Il
ne s’agit pas d’être présent, mais de devenir présent, de devenir soi-même,
tout en se plongeant dans une unité qui poursuit des degrés divers.
.
Si
la vie n’était pas initialement un songe, il n’y aurait pas de rêve.
.
Dormir,
c’est régresser. Retourner à la situation prénatale, être immergé à l’intérieur
de quelque chose d’immense, d’obscur, d’invisible, revenir à la cécité
initiale, à l’invalidité congénitale ; respirer, fonction primaire du
vivant, non à l’extérieur mais à l’intérieur de quelque chose/ la température
baisse, le cœur espace ses battements, toutes les fonctions, celles qui n’ont
pas cessé, diminuent leur rythme et leur intensité. Comme si l’organisme
revenait à la situation archaïque de laquelle il ne peut se détacher. Comme si
l’état de veille, état habituel de l’homme et de l’animal qui les différencie
de la plante, était acquis et consommait une énergie qui doit être renouvelée
chaque nuit. Et comme si la nuit était un temps primaire, le temps obscur,
pré-temporel, d’où la racine surgit, où elle demeure encore enfouie.
.
Il
y a sans doute, un voyage en rêves du sujet humain à travers toutes les régions
et les confins de sa vie.
.
L’homme
qui dort, plutôt qu’image de la mort, est image de ce qui n’est pas tout à fait
né, image de celui qui est là, mais sans avoir encore ouvert ses yeux.
.
Dormir
pour l’homme, c’est s’abandonner à la vie, sous la nuit de l’être.
.
La
prière qui ferme l’état de veille du croyant est la plus adéquate des
préparations pour entrer dans le rêve, c’est l’acte de confiance absolue qui
renvoie à la situation de complet abandon, le renvoi de la réalité – toujours
relatif dans la vie humaine –, le retour à cet état initial absolu.
.
Le
squelette qui demeure est le corps qui reste dans le monde des corps, il montre
qu’il a été quelque chose, il est un signe du passé.
.
Etre
en vie, c’est être resté seul dans la vie, c’est quelque chose qui est donné au
sujet et qui dure. Etre sous le rêve, dans le rêve, c’est être dans la durée,
s’assimiler à elle.
.
Dans
le désert de la durée, tout mouvement, soit physique, soit relevant de la psyché
ou du sujet, dans leur plus profonde intimité, produit comme une sphère
temporelle sans réalité, où ce qui ne peut pas être le réel est ; il prend
l’apparence de l’être.
.
Rêver,
c’est se réveiller en l’être, sans le temps.
.
Une
nuée de rêves traverse le sommeil sans que pourtant ceux-ci apparaissent dans
le souvenir à l’état de veille. Seuls, ceux qui précèdent le réveil du matin,
ou le provoquent à n’importe quel moment, atteindront une certaine présence.
Mais, il y a quelque chose en eux qui s’évanouit immédiatement dans la
conscience, qui s’enfonce à travers elle, pour aller s’abîmer dans le lieu d’où
ils sont sortis.
.
Là
ou la réalité commence, commence la différence et, avec elle, la discontinuité.
.
Tout
rêve est l’immobilité d’un mouvement. Puisqu’il n’existe aucun état, aucune
situation d’immobilité complète dans la vie humaine. La Vie au niveau le plus
élémentaire, dans sa limite avec la non-vie, est une tension, une détermination
du mouvement, une prédisposition à un mouvement ou mouvement refoulé, subi,
captif.
.
Le
prolongement de l’attention, portée sur une expérience quelconque, ou sur
plusieurs, libère leur référence à la réalité.
.
L’être
nous est donné précisément dans le sentir, dans nos entrailles.
.
Le
sujet est certainement dans sa vie, mais il semble savoir, et par moment
sentir, que la vie a ses confins, et qu’il est en train de faire sienne une vie
qu’on lui a donnée, sa vie, puisqu’elle lui appartient. Que cette vie change
d’ampleur, et même de tonalité et de consistance, qu’elle est un milieu fluide
avant d’être flux ; que le « fleuve » de sa vie se fraye un
chemin dans la vie comme dans la mer.
.
L’oubli
de soi-même, qui dans l’état de veille crée un état analogue à celui du rêve,
permet au sujet de se laisser porter par la vi, presque immobile, de se
soutenir au-dessus d’elle par le seul fait de respirer au compas de son rythme,
en coïncidence avec ses pulsations.
.
La
vie flotte sur les eaux.
.
L’homme
n’est pas là en tant que créateur mais en tant que créé ; il ne consume ni
ne détruit. Il illumine, irradie, se détachant lentement de la vie, ce qui lui
permet de flotter au-dessus d’elle.
.
Le
songe est une intimité sans temps. Qui n’a pas encore le temps.
.
Si
la vie ne débordait pas la loi de l’auto préservation, il n’y aurait ni songe
ni rêve (la loi de la conservation biologique, bien entendu). Ce serait l’état réparateur, puisque vivre
produit une usure.
.
La
vie a tendance à échapper à son propre repos ; telle l’eau qui déborde
pour s’atteindre elle-même. Et ce débordement est déjà son temps. Ainsi le
songe n’est-il pas encore temps, temps dans le sens de temporalité. C’est une
sorte de pré-temporalité dans laquelle s’annonce le temps ; ce
vagabondage, ce courir sans cours, c’est l’avidité de temps.
.
Il
y a dans le songe, même en celui de la seule intimité avec la vie, un désir. Un
désir qui semble constituer l’essence même du vivre. Vivre, c’est désirer, et
désirer suppose de ne pas avoir et, en, même temps, d’avoir davantage ; ne
pas être arrivé et être au-delà. Désirer, c’est l’a priori de la vie.
.
Sans
désir, la vie ne se donnerait pas dans le temps, elle-même ne serait pas temps.
Le désir est le fondement du devenir qui est vie. C’est un devenir qui provient
d’un sujet, qui suppose un sujet même dans le fondement biologique de la vie,
la plus élémentaire.
.
Dans
le songe, la vie poursuit la loi élémentaire du désir, et à cause de cela,
déborde et poursuit son cours pour s’approprier un présent dans lequel on doit
être présent à soi-même. La vie se cherche dans le présent, se réveille
successivement en cherchant des présents où elle puisse se trouver et produire
une forme.
.
Du
point de vue du vivant, la matière est « un passé » qui doit faire
son chemin pour trouver son « présent », qui arrivera d’une certaine
manière à devenir passé, à être matière.
.
Songer,
c’est déjà se dématérialiser, commencer à vivre dès cet état d’occultation dans
la matière qui est passé et poids. Désirer le temps, tout le temps. Mais depuis
la forme du présent, à travers un présent immédiat.
.
L’avidité
du présent ne constitue pas le présent.
.
Songer,
c’est s’échapper de la vie, fuir la matière organique : ce passé resté là,
dépossédé.
.
La
matière est le contraire du temps, ce qui lui est irréductible, du fait d’avoir
été consumé par lui. Se souvenir, revivre, c’est comme un songe : se
sauver du révolu, sauver le révolu.
.
Songer,
c’est transformer le passé en présent en tant que temps de celui qui vit :
cesser d’être tourné vers le passé pour chercher le présent, mais sans y
parvenir, puisque le présent ce serait d’être déjà réveillé, sous la plus
élevée des formes, l’hyper-conscience.
.
Le
présent, qui signifie être présent et rendre présent, est le salut du passé
dans le futur.
.
La
vie est un continuel dévoilement. Et l’homme, par et à travers la conscience,
est l’instrument du dévoilement : ce qui entre en elle devient réalité.
.
Si
le réveil est un arrachement, le moment d’entrer dans le rêve est une entrée en
abîme de la conscience, qui se submerge comme si elle était à nouveau absorbée.
Ce sont les mouvements du corps qui prennent leur place, si on peut dire. La
respiration, en fait, diminue et devient la protagoniste de l’être vivant. En
même temps, a lieu un mouvement insaisissable qui la traverse, un élan
intérieur horizontal qui tend vers la courbe. C’est le mouvement ancestral
proposé aux enfants, pour les conduire au sommeil, le bercement.
En
berçant l’enfant, l’ancienne nourrice suivait le mouvement de la Terre, même si
elle ignorait tout de lui, et n’avait jamais eu l’intention de l’évoquer.
.
Le
bercement ou ce mouvement du bras de la nourrice déterminait sans doute un
mouvement interne, d’abord musculaire ; les muscles latéraux du thorax qui
accentuent leur mouvement de l’intérieur vers l’extérieur : la respiration
s’atténue jusqu’à la limite du possible, l’air baigne les poumons de façon
non-régulière, comme dans l’état de veille. On vérifie ainsi l’élargissement de
la boite thoracique et le creux qui correspond au diaphragme tend à s’élever.
Si
la position correcte dans le sommeil est la position horizontale, elle n’est
pas la plus spontanée ; celle-ci, on le sait, aurait tendance à être la
même que celle de l’embryon dans le sein maternel : les extrémités
inférieures pliées de façon à ce que les genoux touchent le front pour former
une figure oblongue, le corps tend à occuper un espace à la manière d’une
sphère, à se replier sur lui-même, à se blottir. Tout cela paraît indiquer que
l’attitude la plus spontanée, quand on est disposé à entrer dans le rêve, est
le retour au stade prénatal.
.
Les
rêves, (…), sont un état prénatal, qui participe d’une certaine manière de
l’état prénatal biologique…
.
Pour
une genèse des rêves il faut donc prendre en compte trois éléments : les
mouvements corporels et la position du corps ; les associations de la
mémoire profonde, ce qui est aussi fantaisie ; la situation de la
personne, le point du processus dans lequel elle se trouve.
.
Tout
rêve est un voyage.
.
Ainsi,
le Je, dans les rêves, comme dans les situations extrêmes de la vie réelle,
côtoie l’enfer, les enfers, quand il est menacé d’être anéanti. Et cela du fait
qu’il a perdu sa propre demeure. Y a-t-il un lieu du Je en rapport avec le
temps ?
.
Les
rêves sont des amorces, des étapes dans l’humanisation.
.
Le
Je apparaît comme un héros et même comme un rédempteur. Il descend, conduit et
s’éveille. Mais au réveil, du fait qu’il se trouve dans un autre monde, dans
une vie différente, il tend à agir comme à l’état de veille : il tend à
créer la vie.
.
Les
rêves considérés en tant qu’histoire, en tant qu’argument, sont des histoires
sans auteur et en quête d’auteur.
.
Les
rêves typiquement archaïques, préhistoriques ou prénatals sont ceux où le Je
apparaît en caricature, et encore plus, ce sont ceux où apparaissent plusieurs
Je sans qu’aucun d’eux n’ait la qualité du véritable Je. Le Je véritable n’est
jamais revêtu d’aucun vêtement ni déguisement.
.
Les
personnages fondamentaux du répertoire du théâtre humain sont relativement peu
nombreux ; ils ont surgi progressivement de l’homme, de ses prédispositions,
de ses élans, de ses besoins et de ses espoirs incontrôlés, ils sont les
créatures de son désir délirant d’être.
.
Le
Je n’est pas seul. Il attire vers lui tout un cortège d’expériences. Son lieu
est le vide. Mais ce vide est entouré d’expériences, les unes plus proches que
les autres.
.
Tout
ce qui est énergie provient de la psyché ou se manifeste à travers elle.
.
L’angoisse,
c’est la situation de pure condition anonyme ; on tombe en elle depuis le
plus intime dans l’anonymat. Mais, dans l’angoisse, on est dans le plus intime
de la personne ; elle est un attentat à son essence.
.
Les
rêves sont la première forme du réveil de la conscience et le premier pas sur
le chemin de la représentation.
.
La
vie de la psyché est tendancieuse.
.
La
blessure de la psyché consiste davantage dans le fait d’être, dans un être qui
doit affronter la réalité dans le temps, affronter la liberté et, donc, qui est
avide de connaissance.
.
Les
rêves ne passent pas, ils s’évanouissent ; ils ne tombent pas dans le
passé, ils ont lieu par rapport aux évènements vécus à l’état de veille.
.
On
se souvient rarement de ces rêves, c’est-à-dire, qu’ils se présentent rarement
à la conscience, à moins que l’émotion ne soit très intense, ce qui n’arrive
que lorsqu’ils sont liés à l’histoire rêvée ; ce sont les rêves du désir
et de la crainte, dans lesquels nulle action n’est proposée.
.
L’expérience
du déjà vu, du déjà vécu dans l’état de veille, a sans doute une de ses
origines dans une ouverture de la conscience qui est une façon de s’avancer
pour ensuite saisir l’objet qu’on lui présente précédé de tant de désir.
.
Si
la conscience s’accommode de la destitution, la vie tranquille ne cesse
cependant de s’écouler, comme un fleuve ajusté à son cours. Toutes les
expériences se mettent en accord entre elles, toutes suivent une même direction
et, de plus, elles suivent le même rythme, qui ne se distingue pas du rythme de
la respiration.
.
La
clarté des expériences essentielles condamne celles qui ne le sont pas.
.
On
dirait qu’une même vitesse les enveloppe toutes ; c’est la raison de
l’harmonie de la marche, qui ressemble à l’immobilité et au rythme commun, qui
semble obéir à un rythme élémentaire primaire. Nous appelons tout cela, qui est
de l’ordre de l’aspiration, la vie. La vie offerte à elle-même, à son ordre qui
semble spontané, d’où a disparu l’effort qui précède la réussite, de la même
manière que les calculs et les efforts, les tâtonnements qui ont accompagné le
cours de l’exécution d’une œuvre d’art réussie ne sont pas visibles.
Le
sujet adhère à cette situation ; il y adhère, il n’y est pas soumis comme
dans les rêves primaires de la psyché ; c’est à cause de cela qu’il se
maintient. Et du fait qu’elle est l’inverse d’un rêve, que cette situation
revient à être l’équivalent d’un degré supérieur de l’état de veille. Elle
équivaut à son contraire, puisque le rêve c’est l’immobilité d’un mouvement. Et
dans cette situation nous avons un mouvement qui coule, au rythme égal, de
façon harmonieuse.
*
La
poésie est née pour être le sel de la terre et une grande partie de la terre ne
l’accueille toujours pas.
.
La
poésie, c’est réellement l’enfer.
.
Le
poète est possédé par la beauté qui brille, par la beauté resplendissante qui
se détache entre toutes les choses.
.
On
raconte qu’un empereur de Chine ordonna qu’on joue une tendre mélodie pour
accompagner les fleurs qui s’ouvraient. Le poète ne fait rien d’autre ; il
reste en éveil jusqu’à en mourir, devant les changements, devant les minuscules
et terribles changements par lesquels naissent et meurent, se consument les
choses.
.
Le
poète n’a jamais voulu prendre de décision et quand il l’a fait, ça a été pour
cesser d’être poète.
.
Oui,
le poète est immoral. Il est juste qu’il erre dans les banlieues de la cité de
la raison, de l’être et de la décision.
.
Le
poète a ce qu’il n’a pas cherché et plus qu’il ne possède, il se sent possédé.
.
Le
poète vit dans le saisissement de la parole ; il est son esclave.
Le
philosophe veut posséder la parole, devenir son maître. Le poète est son
esclave ; il s’y consacre, il s’y consume.
.
"Un
bonheur qui ne peut pas être communiqué n’est pas un bonheur." (Kierkegaard)
.
Pour
donner corps au rêve virginal de l’existence, à ce rêve d’innocence où l’esprit
ne sait encore rien de lui-même ni de son pouvoir, il faut à la poésie toute la
lucidité dont est capable un être humain ; il lui faut toute la lumière du
monde.
.
Si
la poésie se fait avec des mots, c’est parce que le mot est la seule chose
intelligible.
.
Le
philosophe vit tourné vers l’avant, il s’éloigne de l’origine, il se cherche
« lui-même » dans la solitude, il s’isole et s’éloigne des hommes. Le
poète défait sa vie en s’éloignant de son éventuel « lui-même », par
amour de l’origine.
.
La
poésie, qui est née en Grèce, qui s’attachait au temps, refusait d’y renoncer,
le traverse aujourd’hui, le déchire parce qu’elle refuse de se séparer du rêve
originaire, de l’innocence antérieure à l’histoire.
.
La
poésie montre l’homme tel qu’il est, hors de tout évènement, excepté celui du
premier acte inconnu de ce drame où on le voit naître pour tomber de ce lieu
jamais retrouvé, antérieur au commencement de toute vie et auquel on a donné
tant de noms différents. Noms différent qui ont en commun de faire allusion à
quelque chose, à un espace, à un temps hors du temps, où l’homme fut autre
chose qu’un homme. Un espace et un temps auxquels l’homme ne peut accéder par
la mémoire, parce qu’alors la mémoire n’existait pas, mais qu’il ne peut
oublier, parce que l’oubli n’existait pas non plus.
.
Ce
n’est pas lui-même que cherche le poète, c’est tous et chacun. Son être n’est
qu’un véhicule, n’est qu’un moyen pour qu’une telle communication se réalise.
Une médiation, l’amour qui lie et délie, qui crée. La médiation de l’amour qui
détruit, qui consume et se consume, de l’amour qui s’arrache la vie.
Pourra-t-il
venir le jour bienheureux où la poésie recueillera tout le savoir de la
philosophie, tout ce que la distance et le doute lui ont appris, afin de donner
forme avec lucidité et pour tous à son rêve ?
.
La
philosophie, c’est se trouver soi-même, arriver enfin à se posséder.
.
Le
philosophe veut échapper au cours du temps, à la procession des êtres, se
détacher de la longue chaîne de la création où, condamnés au temps, ensemble
nous marchons avec les autres, avec tous les hommes, toutes les créatures
aussi, ombres et lumières qui nous accompagnent.
.
Tous
nous avons espéré voir, entièrement et pour toujours, ce qui ne s’est manifesté
que sous forme d’ombre et d’hallucination. Et, du fait de cette espérance,
certains n’osent pas entreprendre sérieusement, c’est-à-dire jusque dans ses
ultimes conséquences, la tâche de se donner un nom à eux-mêmes. D’être
eux-mêmes leur propre créateur.
.
Le
philosophe part en quête de son être par le détachement. Le poète reste
immobile, dans l’attente du don.
.
Le
poète vit dans l’amour du monde, et son attachement à chaque chose, à son
éphémère instant, à ses ombres multiples ne signifie que la plénitude de son
amour pour tout ce qui est.
.
La
poésie se sépare de la philosophie parce que le poète ne veut rien conquérir
pour lui-même.
.
Le
poète est un enfant perdu parmi les choses.
.
La
poésie, établie dès l’origine dans l’ineffable, lancée dans l’aventure de dire
l’indicible, ne voit pas son existence menacée.
*
Bibliographie
- - Les
rêves et le temps, éditions José Corti, 2003
- - Philosophie
et poésie, éditions José Corti, 2003
*
Liens internet
- Maria Zambrano chez José Corti : http://www.jose-corti.fr/auteursiberiques/zambrano.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu, avec vos commentaires qui sont modérés. Il vous faudra attendre avec patience leur modération pour les voir apparaître au bas de chaque article. Merci de votre compréhension