mardi 26 février 2013

Poètes et poésie : une éternelle absence


En prélude provocateur au "Printemps des poètes" et pour répondre au questionnaire de Victor Varjac, avec remerciement à Claude Doglio.



Que représente pour vous la poésie ?

Rien ou tout, c’est selon. Pas seulement la poésie, mais la vie, la vie selon son fil poétique que tout un chacun est en mesure de tirer ou de rompre, c’est selon.
La poésie ne représente rien, elle est ou elle n’est pas, elle est où elle n’hait pas.

Quel rôle pourrait-elle (ou devrait-elle) jouer en ce début de XXIème siècle ?

La poésie, si elle est, ne joue aucun rôle ; elle vit, elle vibre, elle ne joue pas, ne triche pas ; elle n’aborde aucune scène dans les projecteurs d’actualités médiocres, et nul ne dit si ce sont eux ou elles.
La poésie, si elle est, ne peut se masquer derrière un quelconque costume. Elle joue mal, très mal. Alors elle fuit les lieux où se massent les foules en transes. Et lorsqu’elle joue, elle perd son vrai costume de poésie, elle est nue, et elle montre l’envers de son visage qui est l’envers du poète, là où il n’est plus ce qu’il prétend être mais sa pâle imitation.

Qu’est-ce qu’un poète ?

Le poète n’est rien. Il n’existe pas, sinon dans le regard de ceux qui aiment les étiquettes et qui lui en collent une sur le regard au point qu’il ne se reconnaît plus. Ou, lorsqu’il se reconnaît sous cet étrange accoutrement, il n’est déjà plus poète. Il n’est alors plus que la fade reproduction de ce que le monde attend du poète, et il doit fermer sa gueule puisque c’est ainsi que ce dernier aime les poètes.

D’après vous a-t-il une place dans notre société moderne ?

Le poète n’a pas de place dans une société moderne. Dans une société oui, mais ni moderne ni ancienne. Dans une société qui sache faire société, peut-être, mais c’est une utopie. Et le poète ne sait vivre qu’en ces territoires inaccessibles où l’Homme serait enfin Homme. Mais ils ne savent pas, ni l’Homme, ni le poète comment s’y prendre.
Le poète ne sait pas être moderne, il ne sait qu’être là où le placent ses mots. En cet endroit il est inaccessible, évanescent, absent. Nul ne peut l’y retrouver. Même là, serait-il à sa place ? Lui-même se pose la question.

Si oui, laquelle ?

J’ai dit non, je persiste et je signe. Pas de place, trop de monde, trop de bruit, trop de vanités et de prétentions. Les Poètes qui s’y complaisent ne sont qu’horribles prétentieux qui se collent eux-mêmes leur pédigrée, histoire d’amuser la galerie, de s’y montrer. Et on les voit, mais dès l’instant où ils apparaissent sur la scène, ils ne sont plus poètes : ils ne sont que ce que le monde veut faire d’eux. Alors ils parlent. Mais que disent-ils ?

Le poète est-il un être dangereux ? Si oui, pourquoi ?

Le poète n’est pas dangereux, il est. C’est la société qui est dangereuse, et il est bien dommage que seuls les poètes voient où les non poètes, ceux qui parfois parlent de poésie sans rien en savoir, mènent les humains que nous ignorons être.
Les non poètes qui tiennent le haut du pavé, ne sont même plus capables de les lancer à la petite gueule bien sympathique des gentils présentateurs de dame poésie, en déshabillé transparent, si transparent qu’elle est nue sous les rires gras d’un monde qui s’écroule.

Connaissez-vous un ou plusieurs poètes vivants ?

Je nie l’existence de toute poésie et donc de tout poète. N’est poète que celui qui garnit mes étagères, et là, il est déjà mort, même s’il est encore en vie. Car tout poète meurt avec ses mots lâchés. Il part en lambeaux de pages et de livres jusqu’à son extinction complète. Il construit de belles œuvres posthumes, et, six pieds sous terre il mange les poèmes par la racine et se marre devant les mines attristées de celles et ceux qui lui crachèrent à la gueule de son vivant pour lui tresser couronnes de louanges quand il n’a plus que ses os à offrir en partage.
Et ça crève vite un poète vivant puisque sa poésie ne le nourrit pas. Ça laisse même pitoyable descendance de sans le sous, de traînes savates, de gueux et de miséreux qui ignorent eux-mêmes la portée et la richesse d’une vie si vite passée de vie à trépas.

Si oui, lequel (ou lesquels) ?

Je persiste et je signe : je ne connais que des poètes morts dans et à travers leurs œuvres. Basses ou hautes, elles sont leur cercueil. Et plus ils se montrent vivants en se proclamant  « poètes » et plus ils sont morts à toute poésie.

A votre avis, pour quelles raisons le poète est-il le grand absent des médias ?

Mais pourquoi les médias porteraient-ils le moindre intérêt à une chose aussi inutile et vaine que la poésie. Ils ont bien mieux à faire : parler des guerres et des famines, parler des petites combines et tricheries des poètes de la banque mondialisée, parler des non propos d’hommes politiques dépourvus de tout rêve, dépouillés de toute utopie.
Le rêve et l’utopie n’ont jamais rapporté le moindre dividende, alors, comment des médias dont la seule vocation est de remplir quelques coffres forts très pudiquement cachés sous le cache-sexe de fortunes encensées, montrées comme l’idéal absolu d’un monde pourtant à l’agonie, comment donc de tels médias pourraient s’intéresser à ces traines savates que certains nomment poètes.
Non, les médias ne s’intéressent aux poètes et à la poésie qu’à l’instant où ils et elle n’ont plus rien à dire, à proclamer, et donc où ils et elle ne sont plus ni poètes ni poésie mais marchandises.
Alors je le dis haut et fort, je m’en moque que les médias ignorent la poésie qui soit digne d’en être une, et d’ailleurs je les ignore : ils ne m’intéressent pas plus que ça ; parce que depuis longtemps leurs cœurs et leurs esprits ne sont plus perméables à rien d’autre qu’aux monnaies grappillées sur le dos des miséreux.
Ce que je crains le plus c’est d’être dénommé poète et le jour de ma reconnaissance par ces imbéciles, je sais que je devrai tirer ma révérence, pour satisfaire à la mort de toute poésie en moi.
C’est pourquoi je ne reconnais le droit à aucun printemps autre que celui des peuples écrivant la poésie de leur propre destinée. Et je dis que toutes ces célébrations du poème et des poètes m’emmerdent.

Xavier Lainé, 10 février 2013

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