En prélude provocateur au "Printemps des poètes" et pour répondre au
questionnaire de Victor Varjac, avec remerciement à Claude Doglio.
Que
représente pour vous la poésie ?
Rien ou tout, c’est selon. Pas seulement
la poésie, mais la vie, la vie selon son fil poétique que tout un chacun est en
mesure de tirer ou de rompre, c’est selon.
La poésie ne représente rien, elle est ou
elle n’est pas, elle est où elle n’hait pas.
Quel
rôle pourrait-elle (ou devrait-elle) jouer en ce début de XXIème siècle ?
La poésie, si elle est, ne joue aucun
rôle ; elle vit, elle vibre, elle ne joue pas, ne triche pas ; elle n’aborde
aucune scène dans les projecteurs d’actualités médiocres, et nul ne dit si ce
sont eux ou elles.
La poésie, si elle est, ne peut se
masquer derrière un quelconque costume. Elle joue mal, très mal. Alors elle
fuit les lieux où se massent les foules en transes. Et lorsqu’elle joue, elle
perd son vrai costume de poésie, elle est nue, et elle montre l’envers de son
visage qui est l’envers du poète, là où il n’est plus ce qu’il prétend être
mais sa pâle imitation.
Qu’est-ce
qu’un poète ?
Le poète n’est rien. Il n’existe pas,
sinon dans le regard de ceux qui aiment les étiquettes et qui lui en collent
une sur le regard au point qu’il ne se reconnaît plus. Ou, lorsqu’il se
reconnaît sous cet étrange accoutrement, il n’est déjà plus poète. Il n’est alors
plus que la fade reproduction de ce que le monde attend du poète, et il doit
fermer sa gueule puisque c’est ainsi que ce dernier aime les poètes.
D’après
vous a-t-il une place dans notre société moderne ?
Le poète n’a pas de place dans une
société moderne. Dans une société oui, mais ni moderne ni ancienne. Dans une
société qui sache faire société, peut-être, mais c’est une utopie. Et le poète
ne sait vivre qu’en ces territoires inaccessibles où l’Homme serait enfin Homme.
Mais ils ne savent pas, ni l’Homme, ni le poète comment s’y prendre.
Le poète ne sait pas être moderne, il ne
sait qu’être là où le placent ses mots. En cet endroit il est inaccessible,
évanescent, absent. Nul ne peut l’y retrouver. Même là, serait-il à sa
place ? Lui-même se pose la question.
Si
oui, laquelle ?
J’ai dit non, je persiste et je signe.
Pas de place, trop de monde, trop de bruit, trop de vanités et de prétentions.
Les Poètes qui s’y complaisent ne sont qu’horribles prétentieux qui se collent
eux-mêmes leur pédigrée, histoire d’amuser la galerie, de s’y montrer. Et on
les voit, mais dès l’instant où ils apparaissent sur la scène, ils ne sont plus
poètes : ils ne sont que ce que le monde veut faire d’eux. Alors ils
parlent. Mais que disent-ils ?
Le
poète est-il un être dangereux ? Si oui, pourquoi ?
Le poète n’est pas dangereux, il est. C’est
la société qui est dangereuse, et il est bien dommage que seuls les poètes
voient où les non poètes, ceux qui parfois parlent de poésie sans rien en
savoir, mènent les humains que nous ignorons être.
Les non poètes qui tiennent le haut du
pavé, ne sont même plus capables de les lancer à la petite gueule bien
sympathique des gentils présentateurs de dame poésie, en déshabillé
transparent, si transparent qu’elle est nue sous les rires gras d’un monde qui
s’écroule.
Connaissez-vous
un ou plusieurs poètes vivants ?
Je nie l’existence de toute poésie et
donc de tout poète. N’est poète que celui qui garnit mes étagères, et là, il
est déjà mort, même s’il est encore en vie. Car tout poète meurt avec ses mots
lâchés. Il part en lambeaux de pages et de livres jusqu’à son extinction
complète. Il construit de belles œuvres posthumes, et, six pieds sous terre il
mange les poèmes par la racine et se marre devant les mines attristées de
celles et ceux qui lui crachèrent à la gueule de son vivant pour lui tresser
couronnes de louanges quand il n’a plus que ses os à offrir en partage.
Et ça crève vite un poète vivant puisque
sa poésie ne le nourrit pas. Ça laisse même pitoyable descendance de sans le
sous, de traînes savates, de gueux et de miséreux qui ignorent eux-mêmes la
portée et la richesse d’une vie si vite passée de vie à trépas.
Si
oui, lequel (ou lesquels) ?
Je persiste et je signe : je ne
connais que des poètes morts dans et à travers leurs œuvres. Basses ou hautes,
elles sont leur cercueil. Et plus ils se montrent vivants en se proclamant « poètes » et plus ils sont morts à
toute poésie.
A
votre avis, pour quelles raisons le poète est-il le grand absent des
médias ?
Mais pourquoi les médias porteraient-ils
le moindre intérêt à une chose aussi inutile et vaine que la poésie. Ils ont
bien mieux à faire : parler des guerres et des famines, parler des petites
combines et tricheries des poètes de la banque mondialisée, parler des non
propos d’hommes politiques dépourvus de tout rêve, dépouillés de toute utopie.
Le rêve et l’utopie n’ont jamais rapporté
le moindre dividende, alors, comment des médias dont la seule vocation est de
remplir quelques coffres forts très pudiquement cachés sous le cache-sexe de
fortunes encensées, montrées comme l’idéal absolu d’un monde pourtant à
l’agonie, comment donc de tels médias pourraient s’intéresser à ces traines
savates que certains nomment poètes.
Non, les médias ne s’intéressent aux
poètes et à la poésie qu’à l’instant où ils et elle n’ont plus rien à dire, à
proclamer, et donc où ils et elle ne sont plus ni poètes ni poésie mais
marchandises.
Alors je le dis haut et fort, je m’en
moque que les médias ignorent la poésie qui soit digne d’en être une, et
d’ailleurs je les ignore : ils ne m’intéressent pas plus que ça ;
parce que depuis longtemps leurs cœurs et leurs esprits ne sont plus perméables
à rien d’autre qu’aux monnaies grappillées sur le dos des miséreux.
Ce que je crains le plus c’est d’être
dénommé poète et le jour de ma reconnaissance par ces imbéciles, je sais que je
devrai tirer ma révérence, pour satisfaire à la mort de toute poésie en moi.
C’est pourquoi je ne reconnais le droit à
aucun printemps autre que celui des peuples écrivant la poésie de leur propre
destinée. Et je dis que toutes ces célébrations du poème et des poètes
m’emmerdent.
Xavier Lainé, 10 février 2013
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