lundi 27 avril 2020

Le pire ne vient jamais d’où on l’attend




A propos de « La bombe », de Alcante, Bollée et Rodier, éditions Glénat

On ne lit jamais assez et chaque lecture apporte un éclairage partiel sur le monde, ses tenants, ses aboutissants.
Bien souvent, à regarder l’action des plus puissants, on se prend à douter qu’un jour, notre humanité puisse arborer fièrement ce nom.
A ne regarder l’histoire que par ce bout étroit, l’écoeurement nous vient : combien de morts sur la liste, passés en pertes et profits d’une comptabilité macabre dans le déchainement des violences cupides ?

Je me souviens d’avoir lu que « la découverte des réactions en chaîne doit causer aux hommes aussi peu d’anéantissement que la découverte des allumettes. Nous devons faire seulement tout ce qui écarte l’abus des moyens. Dans l’état actuel des moyens techniques, seule une organisation supranationale peut nous protéger, jointe à une pouvoir exécutif suffisamment fort. Quand nous aurons reconnu cela, nous trouverons aussi la force de faire les sacrifices nécessaires pour la sauvegarde du genre humain. Chacun de nous serait coupable, si le but n’était pas atteint à temps. Le danger est que chacun reste inactif et attend que d’autres agissent à sa place. » (Albert Einstein, Comment je vois le monde, éditions Flammarion, 1958)
Or voici qu’Einstein n’avait rien pu empêcher du dévoiement des découvertes de la physique atomique. C’est donc à partir de l’uranium que Alcante, Bollée et Rodier vont enquêter.
Comme si rien ne pouvait empêcher l’irrésistible course à l’absurde et définitive violence.

De la découverte de l’atome à la bombe, c’est une longue histoire, avec d’infinies controverses qui animèrent le groupe des découvreurs.
De ce foisonnement scientifique du début du XXème siècle allaient jaillir bien des inquiétudes pour notre espèce.
Bohr, Einstein, Pauli, Schrödinger, Heisenberg, nous voici dans une Allemagne d’avant la montée du nazisme, berceau de philosophie et de culture qui sera impitoyablement « épuré » par une idéologie manichéenne visant à la destruction de l’humanité dans sa diversité.
C’est donc en Allemagne que furent élaborées les bases de connaissances donnant accès à la fusion nucléaire, aux réactions en chaine, et à la physique quantique.
Il aurait été étonnant qu’à l’idéologie nazie puisse échapper une aussi fertile et féconde hypothèse.
Imaginez la figure du monde si Hitler avait eu la puissance de la bombe atomique ?
Ce fut course contre la montre, ou, du moins, ce qu’on a cru être course contre le montre.

J’ai lu un des piliers scientifique de cette course, incité en cela par le livre de Jérôme Ferrari, intitulé, « Le principe ». Je l’abordais non sous l’angle de la bombe et du danger d’hiver nucléaire, mais bien sous langue de ce « principe d’incertitude », élaboré par Heisenberg, pilier incontournable dans la connaissance de la physique quantique.
J’ai donc lu, que dis-je, dévoré, le livre d’Heisenberg, « La partie et le tout », qui est en fait en quelque sorte son journal.
Bien sur on y distingue les doutes du scientifique devant ses découvertes, mais surtout la crainte qui est la sienne, ayant refusé de quitter l’Allemagne nazie, de voir ses recherches dévoyées par une idéologie dont il n’approuve manifestement pas les théories.
Sans doute a-t-il fait le choix difficile de rester au risque d’y laisser sa peau, et d’accepter la direction d’un groupe de recherche, et en ralentissant la progression pour ne pas donner l’opportunité au pouvoir nazi de mettre au point l’oeuvre de destruction massive.
Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que l’oeuvre de mort soit accomplie par l’idéologie honnie. Le pire n’est pas venu de ce côté là mais bien du côté des « libérateurs ». Les USA à grands frais mirent au point la bombe et déclenchèrent l’hiver nucléaire sur les innocents d’Hiroshima et de Nagasaki, le 6 août 1945. 

Le pire ne vient jamais là où on pourrait l’attendre. 
On avait cru, le 8 mai 1945, en avoir fini avec l’horreur, ce n’était que le préambule d’un monde qui allait entrer dans la guerre froide et dans la surenchère d’un « équilibre » de la terreur, chacun suspectant l’autre  d’être potentiellement le fossoyeur de l’avenir.
On aurait cru le pire venait de la bombe, il est finalement aussi apparu au détour des deux accidents majeurs (il y en eut bien d’autres dont on parle peu) de Tchernobyl et Fukushima.

Alors qu’Hiroshima n’avait pas encore pansé toutes ses plaies, Werner Heisenberg écrit : « Déclarer publiquement que l’on est pour la paix et contre la bombe atomique n’est qu’un bavardage stupide. Car tout être humain doué de bon sens ne peut qu’être pour la paix et contre la bombe atomique, et n’a pas besoin d’une déclaration des physiciens pour le maintenir dans ces  sentiments. Sans doute les gouvernements tiendront-ils compte  de ce genre de manifestes dans leurs calculs politiques ; ils affirmeront  qu’ils sont eux-mêmes pour la paix et contre la bombe atomique, en ajoutant accessoirement qu’il s’agit naturellement d’une paix qui doit être avantageuse et honorable pour leur propre nation, et qu’il s’agit essentiellement  des bombes atomiques, condamnable, des autres. Mais, avec tout cela, rien n’est gagné. »
Il ne croyait pas si bien dire. 

75 ans plus tard, après l’effondrement en 1989 du mur de Berlin, plus personne ne sait très bien à quel équilibre contribue l’arsenal nucléaire, sans cesse renouvelé et perfectionné au point qu’il suffirait sans doute d’une seule de ces bombes, alliée au spectre d’un embrasement des nombreuses centrales nucléaires « civiles », pour que toute vie sur terre soit éliminée pour longtemps, mettant un terme à l’expérience humaine.

C’est bien pourquoi, mettant, dans « La bombe », en cohérence tout ce que l’histoire nous a révélé de cette sombre marche qui mena à Hiroshima, Alcante, Bollée et Rodier ont accompli une oeuvre fertile, accessible à tous, une oeuvre magistrale qui devrait nous aider à réfléchir à nos engagements pour un monde d’où la puissance nucléaire serait une fois pour toute abolie, mettant un terme à ce stigmate d’un XXème siècle qui ne brilla guère par son humanité.

Xavier Lainé

28 avril 2020

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