Je termine, sous un soleil ardent, ma lente lecture de Jacques Darras, « L’indiscipline de l’eau », anthologie de ses poèmes de 1988 à 2012, parue dans la collection Poésie/Gallimard en 2015.
Il en est ainsi parfois des livres qu’il faut n’en laisser aucune miette pour y trouver la perle rare.
Ici c’est cette lettre à Hélène dont je ne peux m’empêcher de recopier des passages. Elle me plonge dans les délices de mes amours perdues.
« La beauté est la réalité.
L’inverse n’est pas sûr.
La beauté n’est pas réversible.
Elle est le sujet absolu.
Elle ne tolère que vous, que moi.
Qui sommes ses serviteurs
Qui nous asservissons à nous-mêmes.
La beauté nous libère.
La beauté de l’amour est plus belle que la mort.
La beauté de l’amour nous libère de la mort.
*
Vous étiez devant moi à l’instant.
J’ai votre image devant les yeux.
Je la convoque elle vient docilement.
Vous n’êtes pas passivement passive.
Vous êtes nue, vous êtes la réalité.
Il n’y a plus rien au-delà de vous.
Je me le murmure à voix basse.
Vous êtes la prière avec l’adoration.
*
Il n’y a pas d’autre religion.
Il n’y a pas d’autre lien que celui de vos bras.
Vos mains se posent sur mes épaules.
Vous me mesurez avec les yeux, ils rient.
Ils rient à l’intérieur d’eux-mêmes.
Votre bouche est sérieuse, votre bouche s’approche.
Vous me prenez la bouche, vous donnez la vôtre.
Il n’y a pas de religion de l’échange comme l’amour.
Les religions sont de l’amour dénaturé.
Les religions sont une imitation de l’amour.
*
Votre nudité, je la pose dans ma phrase.
Voyez elle ne tient pas, elle tremble.
L’ensemble du mobilier de ma phrase tremble.
Il n’y a plus de pronoms qui tiennent.
Ils sont dans la distance, nos corps les effacent.
Ce n’est plus vous ce n’est plus moi.
Nous aurons besoin d’une grammaire géante.
La phrase nous l’accouplerons autrement. »
Je me nourris de cette sensualité si cruellement absente de la vie.
Je plonge avec allégresse dans ce fleuve.
« Être savant en amour s’apprend.
Il y faut de la patience de la domesticité.
De la domesticité sauvage. »
Ô comme je rêverais tout savoir de cette science là.
Les instants de domesticité sauvage sont si rares !
« Le volume de l’amour augmente l’espace.
L’amour accroît.
L’amour convoque le maximum d’images naturelles.
Sa nudité veut se dénuder multiplient.
Le secret le mieux gardé se divulgue à la profusion.
Des millions de feuilles nous cachent nous exposent. »
C’est ainsi que j’envisage ma vie : augmentée d’un volume d’amour infini, jusqu’à l’infini.
Je ne peux rien retenir de cet élan qui me multiplie à chaque instant où mon corps et mon coeur vont frémissants à la pointe imaginaire des seins de l’aimée.
« Commencer c’est au milieu de l’amour.
Il n’y a pas de commencement à l’amour.
L’amour est au milieu de l’amour.
L’amour a déjà commencé nous ouvrons le livre par le milieu.
Nous savons lire tout seuls. »
Nous savons lire tout seuls, oui, lorsque l’amour se révèle.
Il ne nous quitte plus. Il est ce que nous sommes si nous savons le recueillir.
Il est notre sève, notre lieu de recueillement à l’infini des lèvres assoiffées.
C’est sans doute pour lui et par lui que le poème jaillit, sans cesse renouvelé.
« Le poème est le prolongement amoureux naturel de la main.
La paume le poème.
Le poème aime la paume amoureuse.
Le poème s’ajoute deux jambes.
Il marche il marche en équilibre sur les paumes. »
Il est l’alpha et l’omega par lequel l’amour sans cesse se renouvelle.
Mes yeux ne peuvent quitter la beauté, chaque mot prononcé m’y ramène.
Ta nudité d’un instant est la source de tout art.
« Nous ne sommes pas des oeuvres d’art.
L’art existe précisément pour nous le dire.
L’art est la mise en perspective de notre minceur. »
L’art et le poème sont la mise en perspective de la beauté touchée du doigt dans l’instant de grâce où l’amour se révèle.
Xavier Lainé
9 août 2018
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Bibliographie
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