mardi 10 septembre 2013

Carla Guelfenbein


Carla m’avait raconté qu’en arrivant en Angleterre, la vue d’un uniforme lui donnait des vertiges. Elle crut même qu’elle ne pourrait plus jamais marcher dans les rues tranquillement. Quand on avait emmené son père, tout était devenu menaçant. Les voisins prirent leurs distances de façon polie mais implacable. Ils ne posèrent jamais de questions, comme si les évènements de cette nuit-là étaient le fruit d’une imagination débordante. Elle continua d’aller à l’école,  aux anniversaires des copines, prenant des glaces avec elles le samedi matin, mais au bout d’un certain temps les amis de ses parents et tout leur monde avaient plongé, et ce qui restait en surface ne leur appartenait plus.

*

Elle contemple son ventre, ses pieds ont disparu sous son volume impressionnant. Elle allume la radio. On a bombardé les tours de Radio Portales et de Radio Corporacion. Elle ouvre la fenêtre du salon, orientée vers le centre ville, et elle s’assied  dans le rocking-chair. Elle se balance en rythme de façon obsessionnelle. Le bruit régulier l’apaise.
Des hélicoptères patrouillent au-dessus de sa tête. La ville est agitée.
Les minutes sont d’une morosité exaspérante. Elles passent sur elle, l’écrasent.
Le temps s’écoule. A la radio, le speaker annonce qu’il y a des affrontements au palais du gouvernement. Quarante civils armés accompagnent le président.
Diego lui a dit que les militaires n’oseront pas fermer le Congrès, que la lutte continuera dans le cadre de la démocratie civile. Alors pourquoi est-il sur la ligne de feu ?
A la radio, la voix du speaker lui parvient, en sourdine : « Les commerçants ferment leurs portes. » Et soudain, le son métallique de la voix tranquille du président : « Qu’ils sachent… Qu’ils l’entendent… ce n’est qu’en nous criblant de balles qu’ils pourront empêcher la volonté qui est celle de réaliser le programme du peuple… » Une douleur électrique s’enfonce dans sa poitrine.
- En nous criblant de balles, répète-t-elle dans un murmure.
Encore le président : « En ce moment passent les avions. Il est possible qu’ils nous bombardent. Mais qu’ils sachent que nous restons ici et que par notre exemple nous montrerons que dans ce pays il y a des hommes qui ne se déroberont pas aux obligations qu’ils ont investis… »

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Bibliographie



Ma femme de ta vie, éditions Actes Sud Babel, 2007


Nager nues, éditions Actes Sud, 2013

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