Rencontre au Petit Pois 1 – Photographie
de Xavier Lainé, tous droits de reproduction réservés
Une
page se tourne en ma ville, mais pas vraiment. Et ce n’est qu’une page ;
le livre, lui, reste ouvert.
Comme
toujours je suis entré, un peu gourd et si peu sûr.
Il y
avait beaucoup de lumière et d’amitié. Il y en avait même tant que me voilà
étourdi.
C’est
que je l’avais attendu ce moment où viendrait un « libraire », en ma
ville. Un « libraire », pas un marchand de livre.
Je
m’en moque que mon libraire vende des livres. Non que je lui souhaite d’être un
crève la faim, mais je n’aime pas qu’il se contente de vendre.
Ce
que j’aime chez mon libraire, c’est qu’il fasse du livre l’occasion d’une
rencontre.
Ce
que j’aime c’est que derrière chaque couverture ne s’animent pas que des pages,
mais une vie, indescriptible d’humanité.
L’auteur,
s’il en est un, s’efface derrière ce lieu de conjonction que devient son livre.
Je
n’attends rien d’autre de mon libraire, sinon qu’il m’invite à me sentir trop
bête, et donc à lire, toujours plus et mieux.
Plus
non pour qu’il vive mieux mais pour le plaisir d’aller à cette conférence de
l’inutile qu’est la littérature. Inutile mais aussi indispensable que l’air que
nous respirons.
Et
quand je dis littérature, je ne me contente pas des romans à la mode, des
« prix littéraires » de l’année, des ouvrages mis en avant à grand
renfort médiatique en des rentrées qui n’en sont pas. Car à lire, on dépense
largement le prix d’un séjour aux Seychelles, voyez-vous. Alors on se contente
de revenir en ce lieu aimanté où fondent les dernières économies.
Mais
que de joyeuses complicités qui se tissent, par dessus les tables ou devant les
étagères. Nul besoin de dire, un regard suffit qui en dit long sur la passion
commune.
Hélas
pas si commune, et tellement mise à mal en pays qui ne sait plus lire.
On
me dira que non, que c’est faux et pourtant, comme mon libraire, je reçois les
chiffres implacables de l’Agence Régionale du Livre. Et comme lui, je suis
atterré devant la tâche immense à accomplir pour qu’un peu de curiosité émerge
qui rayonne par delà la vitrine.
Et
pour que ça rayonne, il ne faut pas vendre des livres, mais que celui-là soit à
l’origine d’un réseau dont les mots sont le fil, les pages le conducteur, la
couverture l’appât, parfois. Mais pas que…
Car
le livre n’est pas un objet comme les autres. A se vautrer entre mains de
marchands, il perd une bonne part de son sens. Il est cette coquille vide qui
apparaît pour un festival, puis disparaît aussitôt sous l’impitoyable pilon.
Le
livre, je l’achète, et puis je le garde. Je le garde tant qu’il me faudrait
deux ou trois maisons pour tous les aligner. Alors, je les fait circuler, de
piles à lire, en piles lues, puis en rayon à peu près rangés qui se dérangent
aussitôt, pour finir en caisses d’où parfois je les extirpe, redécouvrant
quelque bijou oublié que je relis avec ardeur.
Ce
que j’aime chez mon libraire, c’est qu’il invite à aimer cette chose qui depuis
Gutenberg n’a pas encore trouvé son équivalent et qui ne sera jamais remplacé.
Et
nous avons eu ici, depuis je ne sais combien d’année, Monsieur et Madame Petit
pois, qui étaient libraires.
Ils
nous ont ouvert les papilles, au point qu’il aurait été impensable de les voir
rendre leur tablier.
Alors,
voilà que le miracle s’accomplit et que le relais est passé.
Il
faut aimer les livres pour en vendre un peu. Il faut une passion de rencontre
pour en vendre assez. Mais en vendre ne suffira jamais : il faudra
toujours ce moment de douce rencontre qui le fait circuler et vivre, bien
au-delà de son commerce.
Bien
sûr, ce monde mercantile se méfie de ces lieux de vérité et de partage, et il a
raison. Car en cette fraternité du livre, nous puisons la force d’espérer et de
construire autre chose. Quelque chose qui a trait d’humanité.
Et
c’est un vrai tour de force de passer si joliment le flambeau. Bonjour, Madame
Petit Pois !
Xavier Lainé
24 novembre 2012
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