samedi 10 novembre 2012

Cassandre Horschamp





« Allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté »
à propos de la revue Cassandre Horschamp

« Pauvre ou riche, l’oxygène que vous respirez est le même et les pluies acides tombent sur votre tête »
Gilles Clément, Cassandre Horschamp n°90, été 2012

L’homme vit de pain certes, mais voilà que parfois le prix du pain s’envole et qu’il reste sur sa faim.
Il fut un temps de feuilles volantes, distribuées, vendues à grands cris, collées aux murs citadins. Elles énuméraient l’histoire en train de se faire, terreau où l’historien pourrait puiser matière à sa façon.
Puis vint le temps d’indigence grossière. Il vint remplacer celui des rêves fomentés dans la nuit d’un siècle qui brilla d’abord par sa barbarie. Au point que certains allèrent jusqu’à affirmer la fin de l’histoire et l’impossible écriture d’après Auschwitz.
Insidieusement, ils viennent reprendre en main tout ce qui s’écrit, ceux qui, hier, armèrent les dictateurs. Et, aujourd’hui, ils arment encore le bras des tyrans sanguinaires. Ceux-là ont repris l’argument qui imposent le joug d’une autocensure plus sûre que la censure elle-même, une fois répandue la sensure du commun, plus prompt aux jeux du cirque qu’à la nécessaire moisson de l’esprit. Leur tâche est de vider l’information de tout contenu fiable.
On navigue depuis sur la vague des audimats. On zappe à volonté sur centaines de chaînes dont les maillons nous prennent au gosier jusqu’à nous flanquer nausée sous la barque chaloupante de l’indigence et la famine de la pensée.
Ce qui ne se fait plus après Auschwitz, c’est de penser, de se penser, de se savoir acteur d’un monde à notre ressemblance.
Si le monde nous tend un miroir, alors, en ce début de siècle, qui n’en est plus à ses balbutiements, nos traits ont singulièrement vieillis et nous ne pouvons que regretter la beauté d’un passé où nous savions encore rêver.
Ceci dit de ce versant obscur, il me faut en venir à ce qui me nourrit, à ce qui ne se trouve jamais dans la cour des grands, à ces infimes mouvements du corps et de l’esprit qui nous prouvent qu’il est encore possible de prendre souffle.
« Inspiration », voilà le mot. Mais pour inspirer, encore faut-il : 1, trouver l’air respirable ; 2, savoir qu’il est un mouvement intime, infime qui me permet de me maintenir en vie, même sous la pire des obscénités.
Reconnaissons toutefois que l’air respirable s’est assez raréfié en moins de trente ans (en gros de 1983 à 2012).  Reconnaissons aussi que, sur la question de prendre conscience que, quoi qu’il arrive, nous respirons, le joug du corps contraint (« Mon Docteur m’a dit que je ne savais pas respirer, pourriez-vous m’apprendre ? – Mais oui, bien sûr, respirer c’est faire comme ça, ou ci - & me voilà dans l’embarras de devoir penser à mon mode respiratoire, ce qui en exclut tout autre), nous devons repasser. Tant de bonnes raisons accumulées nous invitent à nous penser somatiquement comme des objets à parer, décorer, enluminer, mais bien rarement à vivre !
Donc : 1, trouver les lieux d’air respirable, même si rares (et parfois un peu chers) ; 2, prendre le temps de se laisser respirer sans la contrainte d’y penser, juste pour laisser jaillir l’inspiration, qui est de la pensée à l’état brut.
Pour ce qui est des lieux, 2007 et l’arrivée au pouvoir des singes financiers permit enfin qu’en de multiples endroits, pour certains déjà embryonnaires par le passé, mais, ô combien, hésitants quant à leur justesse, viennent au grand jour les foyers de résistances au mortel ennui. Qu’ils en soient remerciés (comme quoi, parfois, il faut de sacrés coups sur la tête pour qu’enfin nous apprenions à réagir).
Donc ayant pu inventer, répertorier les lieux où respirer sans masque, il faut aussi subir la noyade assurée sous la pression d’un commerce débridé, d’un racisme sans vergogne, d’une violence impunie, pour qu’enfin nous prenions conscience de notre instinct primitif de survie (à l’heure où j’écris ces lignes, il n’y a, d’ailleurs rien de bien sûr, et, pour un grand nombre encore, le processus de plongée dans la baignoire des tortionnaires patentés du système semble toujours de mise, mais une fois touché le fond, peut-être oseront-ils taper du pied pour remonter à la surface et prendre un grand bol d’air, pollué, certes, mais quand même).
Ayant donc commencé à ressentir les effets de l’abandon aux délices de la consommation étouffante, sous la botte des plus purs produits de la dictature financière internationale, ayant pris conscience qu’à ne pas se laisser respirer, il n’y aurait sous peu plus aucune inspiration, il devient possible d’ouvrir certaines belles revues.
Car l’homme, je le disais, ne se nourrit pas seulement de pain, mais aussi d’esprit. Mais si le pain, même mal fait, infâme et hors de prix se trouve toujours à proximité de chez lui, les revues de qualité prennent souvent des chemins chaotiques et incertains, avant d’être disponible.
C’est le cas de Cassandre/ Horschamp, bien sûr difficile à trouver sous le sabot d’un cheval, mais pourtant nourriture irrégulière et dense, pour les affamés que nous sommes d’une culture enfin respectée dans sa diversité.
Notre désir de culture ne s’improvise pas. Il prend source dans une démarche téméraire de ne pas se satisfaire de ce que disent les uns, de soulever les feuilles de choux livrées aux appétits du quotidien pour découvrir, en dessous, le foisonnement d’une vie jusque là ignorée, par le seul fait qu’elle ne rapporte rien aux apprentis dictateurs qui ont fait profession de foi de liquider l’histoire et les hommes qui la construisent.
Je me suis donc mis de mèche avec mon libraire (il s’en trouve encore qui en soit, et ne se contentent pas de vendre des livres sans contenu). Voici que l’objet de mes délices me parvient enfin (parfois avec retard, mais quand même). Lorsque trop, en retard, j’imagine Cassandre se moquant de ma soif, ou projetée du haut de quelque rocher par quelque Avida Dollar.
Seul problème, c’est qu’il n’y pas qu’elle. Lorsqu’enfin un contenu vient devant l’esprit, il se donne comme consigne de tout lire, avec avidité. On consomme moins lorsqu’on prend le temps de lire et de rêver, de respirer et de rêver, d’agir et de rêver.
Ça ne rapporte rien, sinon soutenir la cause de l’air culturellement respirable, et ça fait du bien par où sa passe, avec pour seul défaut de devoir porter chaque jour un gros sac contenant toutes les revues qui aident à se penser autrement en ce monde perdu, et, parmi elles, les derniers numéros de Cassandre/Horschamp, car bien sûr, à vouloir n’en laisser aucune page, c’est toujours avec retard qu’on y arrive.

Xavier Lainé
2 novembre 2012

Pour retrouver Cassandre Horschamp : http://www.horschamp.org

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu, avec vos commentaires qui sont modérés. Il vous faudra attendre avec patience leur modération pour les voir apparaître au bas de chaque article. Merci de votre compréhension