« Allier le pessimisme
de l’intelligence à l’optimisme de la volonté »
à propos de la revue
Cassandre Horschamp
« Pauvre
ou riche, l’oxygène que vous respirez est le même et les pluies acides tombent
sur votre tête »
Gilles Clément, Cassandre
Horschamp n°90, été 2012
L’homme vit de pain certes, mais voilà
que parfois le prix du pain s’envole et qu’il reste sur sa faim.
Il fut un temps de feuilles volantes,
distribuées, vendues à grands cris, collées aux murs citadins. Elles
énuméraient l’histoire en train de se faire, terreau où l’historien pourrait
puiser matière à sa façon.
Puis vint le temps d’indigence grossière.
Il vint remplacer celui des rêves fomentés dans la nuit d’un siècle qui brilla
d’abord par sa barbarie. Au point que certains allèrent jusqu’à affirmer la fin
de l’histoire et l’impossible écriture d’après Auschwitz.
Insidieusement, ils viennent reprendre en
main tout ce qui s’écrit, ceux qui, hier, armèrent les dictateurs. Et, aujourd’hui,
ils arment encore le bras des tyrans sanguinaires. Ceux-là ont repris
l’argument qui imposent le joug d’une autocensure plus sûre que la censure
elle-même, une fois répandue la sensure du commun, plus prompt aux jeux du
cirque qu’à la nécessaire moisson de l’esprit. Leur tâche est de vider l’information
de tout contenu fiable.
On navigue depuis sur la vague des
audimats. On zappe à volonté sur centaines de chaînes dont les maillons nous
prennent au gosier jusqu’à nous flanquer nausée sous la barque chaloupante de
l’indigence et la famine de la pensée.
Ce qui ne se fait plus après Auschwitz,
c’est de penser, de se penser, de se savoir acteur d’un monde à notre
ressemblance.
Si le monde nous tend un miroir, alors,
en ce début de siècle, qui n’en est plus à ses balbutiements, nos traits ont
singulièrement vieillis et nous ne pouvons que regretter la beauté d’un passé
où nous savions encore rêver.
Ceci dit de ce versant obscur, il me faut
en venir à ce qui me nourrit, à ce qui ne se trouve jamais dans la cour des
grands, à ces infimes mouvements du corps et de l’esprit qui nous prouvent
qu’il est encore possible de prendre souffle.
« Inspiration », voilà le mot.
Mais pour inspirer, encore faut-il : 1, trouver l’air respirable ; 2,
savoir qu’il est un mouvement intime, infime qui me permet de me maintenir en
vie, même sous la pire des obscénités.
Reconnaissons toutefois que l’air
respirable s’est assez raréfié en moins de trente ans (en gros de 1983 à 2012). Reconnaissons aussi que, sur la question de
prendre conscience que, quoi qu’il arrive, nous respirons, le joug du corps
contraint (« Mon Docteur m’a dit que je ne savais pas respirer,
pourriez-vous m’apprendre ? – Mais oui, bien sûr, respirer c’est faire comme
ça, ou ci - & me voilà dans l’embarras de devoir penser à mon mode
respiratoire, ce qui en exclut tout autre), nous devons repasser. Tant de
bonnes raisons accumulées nous invitent à nous penser somatiquement comme des
objets à parer, décorer, enluminer, mais bien rarement à vivre !
Donc : 1, trouver les lieux d’air
respirable, même si rares (et parfois un peu chers) ; 2, prendre le temps
de se laisser respirer sans la contrainte d’y penser, juste pour laisser
jaillir l’inspiration, qui est de la pensée à l’état brut.
Pour ce qui est des lieux, 2007 et
l’arrivée au pouvoir des singes financiers permit enfin qu’en de multiples
endroits, pour certains déjà embryonnaires par le passé, mais, ô combien,
hésitants quant à leur justesse, viennent au grand jour les foyers de
résistances au mortel ennui. Qu’ils en soient remerciés (comme quoi, parfois,
il faut de sacrés coups sur la tête pour qu’enfin nous apprenions à réagir).
Donc ayant pu inventer, répertorier les
lieux où respirer sans masque, il faut aussi subir la noyade assurée sous la
pression d’un commerce débridé, d’un racisme sans vergogne, d’une violence
impunie, pour qu’enfin nous prenions conscience de notre instinct primitif de
survie (à l’heure où j’écris ces lignes, il n’y a, d’ailleurs rien de bien sûr,
et, pour un grand nombre encore, le processus de plongée dans la baignoire des
tortionnaires patentés du système semble toujours de mise, mais une fois touché
le fond, peut-être oseront-ils taper du pied pour remonter à la surface et
prendre un grand bol d’air, pollué, certes, mais quand même).
Ayant donc commencé à ressentir les
effets de l’abandon aux délices de la consommation étouffante, sous la botte
des plus purs produits de la dictature financière internationale, ayant pris
conscience qu’à ne pas se laisser respirer, il n’y aurait sous peu plus aucune
inspiration, il devient possible d’ouvrir certaines belles revues.
Car l’homme, je le disais, ne se nourrit
pas seulement de pain, mais aussi d’esprit. Mais si le pain, même mal fait,
infâme et hors de prix se trouve toujours à proximité de chez lui, les revues
de qualité prennent souvent des chemins chaotiques et incertains, avant d’être
disponible.
C’est le cas de Cassandre/ Horschamp,
bien sûr difficile à trouver sous le sabot d’un cheval, mais pourtant
nourriture irrégulière et dense, pour les affamés que nous sommes d’une culture
enfin respectée dans sa diversité.
Notre désir de culture ne s’improvise pas.
Il prend source dans une démarche téméraire de ne pas se satisfaire de ce que
disent les uns, de soulever les feuilles de choux livrées aux appétits du
quotidien pour découvrir, en dessous, le foisonnement d’une vie jusque là
ignorée, par le seul fait qu’elle ne rapporte rien aux apprentis dictateurs qui
ont fait profession de foi de liquider l’histoire et les hommes qui la
construisent.
Je me suis donc mis de mèche avec mon
libraire (il s’en trouve encore qui en soit, et ne se contentent pas de vendre
des livres sans contenu). Voici que l’objet de mes délices me parvient enfin
(parfois avec retard, mais quand même). Lorsque trop, en retard, j’imagine
Cassandre se moquant de ma soif, ou projetée du haut de quelque rocher par
quelque Avida Dollar.
Seul problème, c’est qu’il n’y pas
qu’elle. Lorsqu’enfin un contenu vient devant l’esprit, il se donne comme
consigne de tout lire, avec avidité. On consomme moins lorsqu’on prend le temps
de lire et de rêver, de respirer et de rêver, d’agir et de rêver.
Ça ne rapporte rien, sinon soutenir la
cause de l’air culturellement respirable, et ça fait du bien par où sa passe,
avec pour seul défaut de devoir porter chaque jour un gros sac contenant toutes
les revues qui aident à se penser autrement en ce monde perdu, et, parmi elles,
les derniers numéros de Cassandre/Horschamp, car bien sûr, à vouloir n’en
laisser aucune page, c’est toujours avec retard qu’on y arrive.
Xavier Lainé
2 novembre 2012
Pour retrouver Cassandre Horschamp : http://www.horschamp.org
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